Chapitre 6 - Partie 4

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Les enfants se redressèrent, tenant Hugo dans leurs bras. Il était pâle et sa silhouette vascillait telle la flamme d'une petite bougie, mais ses traits étaient calmes et détendus.

« Est-ce... est-ce qu'il se réveillera ? demanda Marguerite, échevelée.

— Oui, fit Sergeï en se massant une épaule.

— Le Yéyé, qu'est-ce qui s'est passé ? Où...

— Il n'est pas prêt de revenir, je peux vous l'assurer. »

La voix de Sergeï était ferme, il tira de sa poche sa pipe à opium et aspira une longue goulée.

« Juste Ciel ! fit le Baron en se redressant. Alfred, mon cher, vous avez fait tomber votre chapeau. Et Patrick..., sa voix tremblait de confusion. Et bien, bon débarras ! Sieur Levachov, qu'est-ce que nous pouvons faire pour vous à présent ?

Sergeï machonna l'embout en argent de sa pipe et lâcha :

— Que vous me laissiez tranquille ! Occupez-vous de faire passer cet enfant de l'Autre-Coté, sinon il finira par rebasculer un jour ou l'autre.

— Mais... on pourrait peut-être..., commença Marguerite.

Sergeï se baissa à sa hauteur :

Niet. Sa place n'est plus dans cette dimension. »

Son ton ferme et ses yeux remplis de colère empêchèrent Grégory d'insister à son tour.

Sergeï se redressa une nouvelle fois, souffla un grand nuage par le nez, caressa sa barbe et disparut dans des étincelles dorées.

« Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Charles en se tournant vers ses amis.

— Venez avec moi les enfants, dit le Baron en s'époussetant d'un revers de main. Je vous propose de séjourner quelques temps dans la réserve du Musée, vous allez voir, c'est un endroit formidable. »

Les Trépassés hochèrent la tête, fébriles. Ils descendirent du silo sans prendre la peine de regarder si d'autres SDF ou membres de la bande d'Enzo se tenaient là quelque part, cachés ou assommés.

Le Gentleman et le Vieux Noyé les accompagnèrent jusqu'aux portes du grand bâtiment. Après une marche silencieuse, Alfred les salua avec un sourire :

« Je m'en vais colporter les nouvelles aux autres fantômes de la ville. Une réunion se tiendra sûrement au stadium dans plusieurs jours... En attendant, reposez-vous les enfants. Et vous aussi Siméon. Je serai amené à retrouver notre ami Sergeï bientôt, il séjourne en ce moment à l'Opéra. »

Le Baron les guida jusque dans les réserves du musée et leur désigna des statues et des tableaux. Des draps et des bâches blanches étaient empilées sur des étagères, il leur demanda de se reposer.

Marguerite, Charles et Grégory le remercièrent et s'assirent sur le sol, entourant Hugo de leurs bras.

Plusieurs jours passèrent, les Trépassés n'osaient plus sortir. Ils savaient que la nouvelle s'était propagée à toute vitesse, car des fantômes vinrent les voir pour constater le sommeil d'Hugo. Sur la défensive, les enfants ne le laissaient jamais sans surveillance et restèrent groupés, effrayés à l'idée que les Clodos ou Enzo puissent revenir. Mais personne ne vint.

En leur absence, une réunion générale fut organisée, et le Gentleman expliqua à tous ce qui s'était produit. Chacun fut scandalisé d'entendre que les SDF avaient en réalité absorbés l'éther du premier Dévoreur. En apprenant qu'ils planifiaient probablement d'aspirer celui d'Hugo, une vague de colère envahit les esprits.

Les Clodos se défendirent, justifiant qu'ils avaient besoin de défendre la ville face aux Miasmes et aux potentiels nouveaux démons. Ils affirmèrent que les Trépassés étaient instables en prenant l'exemple de Grégory, qui avaient brièvement perdu le contrôle.

Sergeï expliqua alors qu'un Dévoreur passant de l'Autre-Côté permettait à tous ceux qu'il avait absorbé de partir avec lui.

« Se répartir l'éther d'un fantôme pour récupérer sa puissance, c'est potentiellement trop l'affaiblir pour le laisser réaliser sa propre Ascension. Les fantômes les plus faibles disparaissent et ne peuvent plus jamais quitter leur territoire, communiquer avec les autres esprits devient impossible et ils restent éternellement passifs et invisibles. »

Les explications de l'Esprit Errant, appuyées par les fantômes les plus anciens, réussirent à convaincre l'assemblée de laisser Grégory et Hugo tranquilles et de limiter les actions des SDF.

Mais la plupart d'entre eux ne désiraient pas vraiment chercher plus de réponses, ne se souciant que de leur errance. Aucun ne demanda vengeance ou à chercher le Yéyé qui avait disparu. Ils ne manifestèrent de l'intérêt qu'à l'évocation de l'Autre-Coté et furent heureux pour tous ceux qui partiraient avec le petit Hugo.

Enzo fut le seul à réclamer que les Trépassés soient dissous et qu'il fallait éradiquer les enfants, certains SDF et fantômes furent d'accord avec lui. Mais le grabuge qu'il causait avec sa bande agaçait tant les autres esprits qu'ils ne voulurent écouter aucune de ses demandes.

Chacun repartit de son côté, colportant les nouvelles à tout ceux qui ne pouvaient pas quitter leur point d'ancrage ou aux fantômes capables de comprendre une phrase sans se mettre à se lamenter.

Marguerite, Charles et Grégory n'avaient donc plus besoin de se cacher. Mais ils ne s'en préoccupaient pas car malgré tous leurs efforts, Hugo ne se réveillait pas.

« Jusqu'où peuvent aller les pouvoirs de Sergeï ? demanda Grégory en essayant de soulever un vieux pinceau couvert de colle séchée. Qu'est-ce qu'il a fait pour devenir aussi puissant ?

— Je ne sais pas, j'ai l'impression que la lumière dorée qu'on a vu..., répondit Marguerite d'un air songeur. On dirait la même que celle qui est apparue quand Fiona est partie de l'Autre-Coté. Peut-être qu'il arrive à maîtriser cette lumière chaude et qu'elle lui donne de l'énergie.

— Vous pensez que si on lui demande, il nous répondra ? se questionna Charles à voix haute.

Da... Si je connais moi-même la réponse », fit la voix roccailleuse du russe à leurs cotés.

Ils sursautèrent, cela faisait depuis l'attaque sur les silos qu'ils ne l'avaient pas vu.

« Je suis désolé de ne pas être venu vous voir plus tôt, mais j'ai été assez faible. Je suis sans aucun doute très puissant, mais pas immortel... Si vous voyez ce que je veux dire.

Il se mit à rire bruyemment en se caressant la barbe.

Le Gentleman et la Ballerine étaient avec lui.

— Qu'est-ce que vous vouliez me demander ?

Marguerite osa :

— Le Yéyé, vous l'avez absorbé, n'est-ce pas ?

— Oui, répondit Sergeï avec un sourire. J'ai à l'intérieur de moi beaucoup de fantômes différents. Il me demandent de les absorber, mais je ne choisis pas n'importe qui. Ceux qui sont en moi sont calmes et ne me dérangent en rien. Ils me prêtent leur éther et lorsque le jour sera venu, je ferai l’Ascension avec eux. Mais votre ami le Yéyé était mauvais, son éther et celle d'Hugo vont me ronger pendant plusieurs années de l'intérieur. Je vais devoir faire très attention durant mes prochains voyages.

— C'est grâce à eux que vous arrivez à voyager où vous voulez ? demanda Grégory avec fascination.

— Non, cela je l'ai appris tout seul. Je ne suis pas le seul Esprit Errant, je sais qu'il y en a d'autres... Combien, je l'ignore, je n'en ai croisé que deux. Mais nous ne sommes pas plus d'une dizaine, de ce que j'en sais...

Il s'arrêta, voyant que les fantômes autour de lui étaient tout ouïe, désireux d'en savoir plus.

— Ah..., soupira t-il. Pour voyager où vous voulez, cela prend des années et beaucoup d'efforts. Si je m'arrête de bouger et possède ce que vous appelez un point d'ancrage, il me sera difficile de le changer. Je ne saurai pas l'enseigner, les autres Esprits Errants y sont arrivés de façon très différente. Cela dépend de chacun d'entre nous, de notre histoire de vivant.

— Je ne comprends pas, dit Grégory en se renfrognant.

— J'ai réussi à me déplacer par hasard, durant une période où j'étais très en colère, dévoila Sergeï en s'asseyant sur un coffre en bois. Lorsque je me suis calmé, j'étais au beau milieu de nulle part, loin de mon territoire. J'ai mis des années et des années à le quitter, pour ne pas réussir à aller bien loin. Je changeais de phases tout le temps, restais bloqué sur les mêmes frustrations. Et puis un jour, je ne vous dirai pas quand ni comment, j'ai eu l'occasion de faire mon Ascension. La brèche était là, devant moi, mais j'ai refusé de la traverser. J'ai choisi de rester.

— Mais mon cher, questionna le Baron en lissant sa moustache, qu'en est-il des fantômes à l'intérieur de vous ? Si vous avez refusé de passer, comment vont-ils vous suivre ?

Sergeï répondit tranquillement :

— Un jour, j'irai, mais pas maintenant. »

Il n'ajouta rien à cela, les esprits comprirent qu'il n'ajouterait rien de plus à ses confidences.

Marguerite se racla subitement la gorge :

« Avant de faire passer mon petit frère de l'Autre-Côté, je voudrais vous demander quelque chose...

Le russe tourna vers elle un regard interrogateur.

— Je voudrai que vous m'aidiez à contrôler Charles lorsque je vais lui dire qui il est.

Charles se redressa, surpris. Grégory applaudit d'excitation. Sergeï hocha la tête.

— Je suis assez faible pour le moment mais les autres fantômes ici présents pourront aider. Je vais leur dire comment faire.

— Très bien, alors allons-y.

— Comment ça ? Maintenant ? lança Charles avec angoisse.

Il se recula, hésitant quelques instants à fuir. De la détermination se lisait dans les yeux de Marguerite.

— C'est que..., commença t-il d'une voix hésitante, tout va bien pour moi, je suis stable.

— Il faut que tu le fasses ! » annonça t-elle d'un ton sans réplique.

Charles tripota sa gourmette, nerveux. Les fantômes se mirent autour de lui, Grégory prit Hugo sur son dos et se recula avec un sourire sur le visage. Il n'était pas prêt, il sentit monter en lui une peur sombre, tournoyant et se tordant dans tous les sens.

Marguerite redressa ses lunettes ronde et lança d'une voix ferme :

« Rappelle-toi de Sirius ! »

Sirius... Le mot frappa les oreilles de Charles et pénétrèrent dans son éther. Il vacilla sous le choc. Sirius... Un voile obscur se posa sur ses yeux, un son sifflant lui perça les oreilles.

Sirius...

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