Chapitre 6 - Partie 5

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« Maître Adam, réveillez-vous ! fit la voix de Lancelot au travers la porte. C'est l'heure ! »

Adam ouvrit lentement les yeux et se redressa sur son lit. Il entendit toquer, la voix de Lancelot se fit plus pressante :

« Vous m'entendez ?

— Oui, répondit-il en essayant de cacher sa nervosité. J'arrive. »

Il posa les pieds sur les dalles froides de sa chambre, et mécaniquement remonta la couette en velours jusqu'à son oreiller.

Il ouvrit sa commode et en retira une longue chemise en lin et un pantalon mal cousu, lorsqu'il referma le tiroir d'un mouvement sec, le crucifix posé sur le dessus se mit à trembler.

Son regard se posa brièvement sur les photos de son frère, accrochées tout autour de lui. Sirius le regardait en souriant, tenant une coupe à la main. Son cœur se serra, cela faisait déjà plusieurs semaines qu'il ne l'avait pas vu. La dernière fois, Sirius lui avait fait promettre de demander à leur père s'il pouvait assister à sa prochaine compétition.

Il fallait qu'il le fasse, qu'il ose regarder leur père droit dans les yeux et lui pose la question. Cela faisait déjà trois ans qu'il n'avait pas quitté la propriété. Il tira sur sa chemise, mis par-dessus une ceinture en soupirant. Il s'en voulait, Sirius affrontait ces compétitions la tête haute, il était devenu un champion au sein de son équipe, lui n'arrivait même pas encore à demander sortir. Il devait le faire pour lui.

La voix de Lancelot se fit encore entendre. C'était un homme ennuyeux, en adoration constante devant le culte, qui répétait sans cesse les mêmes phrases. Mais il avait toute la confiance de son père et Lancelot faisait presque partie de la famille. Sirius avait l'habitude de dire que c'était un comptable à la vie pourrie qui n'avait que ça à faire, traîner toutes ces journées au Temple et dans la propriété.

Adam ouvrit la porte, un homme replet et chauve au visage étroit avec des lunettes démodées sur le nez lui fit face. Il ne savait pas pourquoi on lui avait donné le nom de Lancelot au sein de la congrégation. Il faisait insulte au chevalier légendaire, avec ses mains tremblantes et son air effaré. Sirius lui avait dit que son vrai nom était Georges.

« Je suis là, Lancelot, dit Adam avec un sourire calme.

— Votre père vous attend pour les salutations du matin, » annonça-t-il avec véhémence.

Ils s'enfoncèrent dans un large couloir, leurs pas résonnaient sur le sol en dalles marbrées qui jurait avec l'austérité de sa propre chambre. Son père lui avait toujours dit que c'était son devoir de vivre dans la simplicité et en faisant preuve d'humilité.

Adam se renfrogna, il savait que les principes de son père ne s'appliquaient jamais à lui.

Ils entrèrent dans la salle de réception, qu'un membre du Temple était en train de nettoyer. Adam s'arrêta pour regarder en contrebas, au travers des immenses baies vitrées, une femme assise sur un banc.

Sa mère se tenait là, seule et silencieuse, semblant encore avoir passé toute la nuit dans le jardin.

« La Vierge est encore en pleine méditation, dit Lancelot en observant la femme maigre dont les yeux étaient fermés. Une de ses visions nous sera peut-être révélée ce soir. »

Mais Adam eut un doute, sa mère semblait plutôt assoupie.

Il ne lui avait jamais trop parlé, son père lui avait toujours dit que ses crises la faisaient atrocement souffrir et que c'était là sa pénitence pour avoir un don si proche de Dieu. Petit, elle lui faisait peur, il ne comprenait pas son comportement hystérique ni ces moments où elle entrait en extase durant des heures. Les membres du Temple notaient alors tout ce qu'elle disait. Sirius pensait simplement qu'elle était folle et que les médicaments qu'on lui donnait la rendait encore plus dingue.

Adam haussa les épaules, trop concentré sur la rencontre qu'il allait avoir avec son père. De grosses voitures étaient garées dans l'entrée du jardin, il devina qu'une Assemblée se réunirait ce soir.

Ils traversèrent plusieurs salons pour enfin arriver devant le bureau de leur père. Sa secrétaire se redressa à son approche et se leva pour faire une révérence.

Adam ne répondit rien et attendit qu'on lui ouvre la porte. Il entra dans le bureau, son regard se posa sur une grande tenture portant en son centre une grande croix rouge brodée. Il déglutit légèrement sa salive.

Assis dans un grand fauteuil en cuir se trouvait un homme mince, habillé d'un costume coupé sur-mesure et portant des lunettes griffées par un célèbre architecte. Il y avait à côté d'une pile de lettres et de parchemins enroulés une tasse de café fumante. Il portait au doigt une grosse chevalière en argent semblant venir d'un autre âge. En voyant arriver son fils, l'homme jeta un coup d'œil à Lancelot qui était entré à son tour et se leva. Il s'inclina à son tour face au jeune garçon.

« Maître Adam... », dit-il avec respect.

Adam ne rendit pas son salut, se contenta selon l'étiquette établie par le Temple, de lui dire bonjour en toute simplicité.

Adam savait qu'il était d'un niveau plus élevé que son père. C'était lui, le jeune garçon, qui était au sommet du Temple. Mais il savait que cette place lui avait été accordée par le Grand Maître. Il savait aussi qu'une fois Lancelot parti de la pièce, son père se mettrait à le traiter comme le gamin qu'il était. Adam hésita quelques instants. Il regarda les yeux gris qui lui faisaient face et qui l'observaient avec une bienveillance feinte. Ses pensées allèrent vers son frère, il se ressaisit.

« Grand Maître, commença t-il en essayant de donner de l'assurance à sa voix, je souhaiterais vous faire part de mon désir de voir mon frère Sirius.

Il commencerait par là, tâtonnant pour le convaincre.

— Votre frère est pour l'instant en classe, Maître Adam, répondit simplement l'homme en s'enfonçant dans son fauteuil.

— Après sa classe, je veux dire....

Le Grand Maître ne semblait toujours pas convaincu. Adam sentit son cœur battre, il savait qu'une fois Lancelot parti du bureau, il ne pourrait plus s'opposer à lui.

— Notre connexion..., continua t-il en choisissant ses mots, à besoin d'être renforcée. Une assemblée se prépare ce soir.

— Comment le savez-vous ? questionna Lancelot avec incrédulité.

Son père s'était redressé et avait pris entre ses doigts la tasse de café. Adam retint son souffle, il avait joué le jeu du Grand Maître.

L'homme ouvrit la bouche pour refuser mais la secrétaire fit son entrée, se tortillant dans un tailleur trop court pour la bienséance, elle annonça d'une voix sucrée l'arrivée d'un député :

« Le Chevalier du Lac vient d'arriver, Grand Maître.

— J'ai eu une prédiction, dit Adam d'un ton sérieux. C'est comme ça que je sais que nous allons nous réunir ce soir. Je... je vais avoir quelque chose à annoncer.

Son père constata que Lancelot avait des yeux écarquillés, c'était ce dernier qui était chargé d’annoncer qu'une prédiction était en cours et il prenait son rôle au serieux. Le Grand Maître hocha la tête :

— Le lien entre des jumeaux n'est compréhensible que pas les étoiles et par Dieu. Vous pourrez voir votre frère dès que l'Assemblée se terminera.

— Il me semble qu'il a un... match aujourd'hui, reprit Adam d'une voix un peu moins assurée, serait-il possible...

— Non, tonna la voix de son père avec une emphase voulue. Votre présence est requise pour nous faire part de cette prédiction. Le Chevalier du Lac m'attend à présent, salutations. »

Adam tourna les talons, le cœur lourd. Il n'avait pas réussi et pourtant il avait osé mentir.

« Les lèvres mensongères font horreur à l’Éternel... », pensa t-il en rougissant.

Il n'avait eu aucune prédiction. Il n'en avait jamais eu. Il soupira en pensant à son frère, ne sachant pas comment lui avouer qu'il avait échoué. Il lui avait promis.

Adam poussa un soupir, il savait ce qu'il allait faire ensuite :

« Maître Adam, dit Lancelot avec une voix admiratrice, j'aimerais tant déjà savoir ce que vous avez vu ! Il est l'heure de vos cours de latin... »

Adam s’enfonça dans les sous-sols de la propriété. Les caves étaient immenses, aménagées de meubles en bois et de tentures. Ils passèrent devant la salle de la Table Ronde et de l'Assemblée. Ils entrèrent dans la bibliothèque, aux rayons remplis de livres anciens.

Il n'y avait là que des livres en latin, sur la Bible, l'Astronomie et la Légende du Roi Arthur. C'était, selon le Temple, les livres de la vraie foi et Lancelot leur livrait un respect démesuré.

Aucun membre du Temple ne parlant le latin, son père avait décidé que ce serait à Adam de les lire durant les repas et les Assemblées. Mis à part les douze Grand Chevaliers et lui, personne d'autres ne pouvait y toucher.

Les livres étaient plus ou moins anciens. Il avait compris depuis longtemps qu'ils n'avaient rien de magique ni de divin. Les dates d'impression étaient anciennes, certains avaient été volés à des bibliothèques, d'autres venaient de marchés d'occasion. Quelques-uns avaient été imprimés par l'ordre et le Temple n'en tirait aucun bénéfice. C'était les seuls livres auxquels il avait accès. 

Adam les connaissait tous par cœur, n'avait pas progressé en latin depuis des années. Il récitait la Bible depuis des années.

Petit, il avait apprécié les textes de la Légende du Roi Arthur ; leur père leur racontait sans cesse l'histoire du Graal et des chevaliers de la Table Ronde. Ils y croyaient durs comme fer.

« Choisissez l'oeuvre que vous souhaitez lire ce matin pour notre petit-déjeuner, lui demanda Lancelot d'une voix véhémente.

Le jeune garçon tira une œuvre dont le vernis de la couverture était craquelé, elle portait sur les Templiers.

« Bien, à présent, commençons. »

Les journées d'Adam étaient les mêmes depuis des années, levé à 6h, salutations à son père, puis étude du latin pendant deux heures. Ensuite, messe et petit déjeuner avec les membres du Temple en séjour à la propriété puis à nouveau études jusqu'à midi... Repas avec son père dans le silence et enfin, l'après-midi, sortie dans les jardins et prières. Il assistait parfois, immobile, aux réunions du Grand Maître dont il ne comprenait rien.

Sirius avait la chance d'être né le second, mais Adam n'en voulait pas à son frère. Il le savait depuis longtemps, Sirius était le fils de la lumière, lui le fils de l'ombre. Leur père avait eu l'idée de les séparer rapidement, mais jamais ils ne réussit à briser l'affection qu'ils avaient l'un pour l'autre. Le Grand Maître s'était rendu compte que éloignés trop longtemps, les jumeaux tombaient malades. Ils se voyaient donc deux fois par mois en dehors des fêtes religieuses.

Le seul passe-temps que possédait Adam était l'astronomie. C'était le seul qu'on lui avait proposé avec le jardinage. Son père l'avait encouragé et lui avait offert un luxueux télescope, arguant qu'il était naturel pour l’Élu Solaire d'être attiré par les étoiles.

Adam baissa la tête, ses yeux se brouillèrent de larmes. Sirius lui manquait tellement. Que faisait-il aujourd'hui ? Il savait qu'il était à l'école, son frère lui racontait les matières qu'il apprenait, il connaissait tout de sa vie. Est-ce qu'il se sentait mal pour les qualifications d'aujourd'hui ?

Il finit par se ressaisir, leur père l'avait autorisé à le voir après l'Assemblée, il pourrait tout lui raconter.

Pendant le déjeuner, Adam traduisit à voix haute les textes sur les Templiers, tous écoutaient dans un silence pesant, on entendait seulement les bruits des couverts qui tintaient dans la grande salle en pierre.

Lui avait la tête ailleurs, essayant de ressentir ce que son frère devait vivre à l'instant présent.

Adam savait que sa vie était d'un ennui terrible et que son quotidien n'était pas normal. Il l'avait compris dès que Sirius était parti. Lui vivait dans une autre maison avec une fidèle qui se faisait passer pour sa mère. Il allait à l'école, avait des amis, une télé, un ordinateur et une console de jeux. Il était champion de tennis, parmi les premiers de sa classe. Lui, personne en dehors du Temple ne savait qu'il existait.

Sirius le savait, dès qu'ils se voyaient, il lui racontait absolument tout : la vie du dehors, ses journées, la moindre de ses pensées. Adam vivait grâce à lui.

Le jeune garçon réfléchit quelques instants à la prédiction qu'il allait inventer ce soir. Il savait que les fidèles les attendaient avec impatience. C'était la première fois qu'il était à l'initiative de l'une d'elles. Son père, habituellement, réunissait les « signes » pour lui et il lui demandait de les interpréter dans les étoiles qu'il observait.

Sirius lui avait appris que c'était un mélange d'astrologie et de légendes historiques. Leur père avait essayé de lui expliquer plusieurs fois et Adam avait écouté attentivement, pour comprendre au fil du temps qu'il se contredisait parfois.

Le Grand Maître avait lu les mêmes livres que lui il y a longtemps, mais en avait oublié le contenu pour moitié. Adam se pliait à ses interprétations, effrayé par le regard sérieux de son père, qui semblait croire à tout ce qu'ils trouvaient. Adam lui donnait le positionnement des constellations et lui rappelait leur symbolique, le Grand Maître s'occupait du reste, n'hésitant pas à rajouter des éléments et à inventer des liens entre leurs positions dans le ciel, et la destinée du Temple.

Il pensa quelques instants aux grosses voitures garées devant la propriété, il savait que beaucoup de gens arrivaient ces derniers jours et s'entretenaient avec son père. Ce dernier partait plus souvent et plus longtemps qu'à l'accoutumée, le Temple préparait probablement quelque chose. Adam sourit, soulagé, il avait trouvé sa prédiction. Il continua sa lecture, impatient que la journée se termine.

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