Prologue

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Prologue

La nouvelle décapotable rouge freina dans un grand crissement de pneus. Marine conduisait vraiment comme un mec. Elle se gara telle une loque devant le garage de la grande maison où elle vivait avec Tristan.

- J'en ai pour un bon quart d'heure quand même, lança-t-elle à Luan, tu m'accompagnes à l'intérieur ou tu m'attends dans la voiture ?

La rue était déserte. Il faisait noir, un peu frisquet. La jeune fille frissonna.

- Je viens avec toi. Je dois faire pipi ! Rétorqua l'adolescente en s'extirpant de la voiture sans prendre la peine d'ouvrir la portière. Et sans souci pour ses fringues. Fait trop froid ici. Froid. Et noir aussi. Noir surtout. Il était un peu plus de trois heures du matin. Luan avait une peur bleue de l'obscurité et de la nuit, mais se serait laissé couper la langue plutôt que de l'avouer à qui que ce soit. Rien que le fait de suivre Marine jusqu'à la porte blindée lui fichait les jetons. Et pourtant il n'y avait pas vingt mètres. Et la lumière était allumée.

L'angoisse. Sa meilleure amie. Toujours présente. Fidèle au poste. Prête à lui taper sur l'épaule au moment où elle s'y attendait le moins. Au moment où elle s'y attendait aussi d'ailleurs. Amie fidèle entre toutes. La seule vraie peut-être dans ce monde de solitude et de brutalité qui était le sien.

Luan sentit ses yeux se mettre à papilloter. Ce n'était pas le moment. Après les yeux viendrait le balancement. Et cela non plus elle ne voulait pas le montrer. Bien sûr Tristan le mec de Marine savait qu'elle souffrait du syndrome d'Asperger, certains autres copains le savaient également. Mais Marine et son frère Gabriel, eux, l'ignoraient. Et elle ne tenait pas à ce qu'ils l'apprennent. Elle aimait bien Marine qui était gentille, mais n'avait pas beaucoup de caractère ni d'intelligence; en revanche, elle détestait Gabriel. Un vrai trou du cul ce mec. Aussi lâche et minable qu'il était grand.

La jeune fille essaya de se calmer. Il fallait absolument compenser, comme au collège. Essayer d'être normale. Mais elle savait que c'était impossible. Ses journées au collège n'avaient rien de commun avec ses nuits dans les établissements d'Harold Kramer. Et là, l'adolescente était vraiment très fatiguée. A la limite de l'épuisement nerveux et physique.

Harold Kramer... Qui à part elle savait qu'il était un Immortel? Qui à part elle (et les participants qui avaient tout intérêt à se taire d'ailleurs), savait ce qui se passait réellement la nuit dans ses soi-disant salles de jeux, boîtes de nuit et autres clubs privés?

Qui à part elle connaissait Castelmirail, l'ancienne capitale de Nirgends?

- Je prends une douche, j'en ai vraiment besoin, lui cria Marine du premier étage, la tirant ainsi de ses rêveries, mais je me dépêche promis. Pas plus de quelques minutes. Réveille-pas Tristan sinon il risque de piquer sa crise, il avait des choses à faire hier soir. L'est sûrement crevé là !

Des choses à faire... Luan n'ignorait pas que ces « choses » n'avaient rien de clair. Braquages, blanchiment d'argent, meurtres et même actions terroristes... Mais à côté de ce qui se passait à Castelmirail, c'était tellement reposant.

Elle ne répondit pas. Dans le grand hall d'entrée dallé de marbre et tapissé de toile bordée de dorures, une table en marqueterie et bois précieux supportait un échiquier en marbre également,avec une partie en cours. Tristan avait joué son coup depuis la dernière fois. Comme d'habitude il avait mal joué. Les coups d'avance se profilèrent dans son cerveau. L'adolescente sourit « Échec et mat Tristan ! Comme d'hab ! », murmura-t-elle.

Ledit Tristan sortit de sa chambre emmitouflé dans un peignoir éponge, les cheveux blonds tout ébouriffés, les yeux bleus gonflés de sommeil. Un vrai zombie. La jeune fille le lui fit remarquer.

Personne d'autre qu'elle n'aurait osé parler ainsi à Tristan Marcillac.

- Fais chier gamine ! Lança-t-il rudement, en remarquant le coup joué. Mais pour ce qui est de « ne pas réveiller Tristan », continua-t-il d'une voix de fausset, en mimant les guillemets avec ses deux mains, c'est plutôt raté. Alors tu sais ce qu'il te dit le zombie ?

- Le zombie va se coucher. Il est nul aux échecs. Pas envie qu'il pique sa crise. Émit l'ado d'une voix égale.

- Le jeune truand eut un sourire. Si la présence d'une gamine en âge d'aller au collège chez lui à trois heures du mat' l'étonnait, il n'en laissa rien paraître.

- Hé « Rain Girl », tu viens mercredi après les cours. J'aurai fini mon chantier. Et là je te promets, je te massacre !

- Massacre à la tronçonneuse... c'est ça ton « chantier » Tristan !

Tristan soupira.

- Gamine, faudra qu'un jour je t'apprenne le second degré.

- Le second degré de quoi ? Les équations ? J'connais déjà depuis longtemps.

Re-soupir. L'ado était une surdouée. Son QI explosait tous les plafonds. Elle était imbattable aux échecs. (Il avait beau la narguer, il n'ignorait pas qu'il ne la battrait jamais. Personne n'avait jamais battu Luan aux échecs). Mais sa franchise était terrifiante, sa naïveté confondante. Et surtout, elle n'avait pas accès, ou alors très difficilement, au second degré. Tristan l'aimait bien, mais ne pouvait s'empêcher de penser que cette gosse était une bombe ambulante. Elle savait tellement de choses. Sur tellement de gens. Y compris sur lui.

Et pire... sur la toute puissante Organisation, le Cercle de Tollwut... C'était à vous faire froid dans le dos. Et si un jour elle parlait, sans se rendre compte des dégâts que cela pouvait causer? Comment Harold Kramer pouvait-il accepter de prendre de tels risques ? C'était de l'inconscience. L'idée lui vint qu'il faudrait peut-être un jour la tuer. Puis il chassa cette pensée de son esprit comme une mouche importune.

- A part me réveiller en pleine nuit et me battre aux échecs, que me vaut l'honneur de ta visite ?

- Marine prend une douche et moi j'ai fait pipi.

- D'accord... Tristan rigolait doucement, mais encore ?

- Pour Marine, tu lui demandes. J'ai promis de rien dire. Moi faut que je retourne.

- Où ça ? Chez toi à la maison j'espère, à cette heure ?

- Nan.

- Tu rigoles ? T'as vu l'heure? Me dis pas que tu retournes chez Harold ?

- Ben ouais, fit la gamine désabusée.

- Putain, c'est pas possible, marmonna Tristan. Ce mec est une véritable ordure, tu le sais ?

Luan haussa les épaules. Fataliste. C'était Harold quoi !

- Tristan, par pitié ne te mêles pas des affaires d'Harold. Par pitié !

C'était Marine qui achevait de se sécher les cheveux. Elle avait vraiment l'air terrifié. Tristan darda sur sa compagne un regard méprisant.

- Ce mec, lança-t-il, je vais finir par le buter. Et toi aussi ! Dégage ! Tu me fais chier ! T'es aussi lâche que ton frère et toute ta sainte famille ! Allez casse-toi !

Les yeux bleus de Tristan étaient devenus effrayants. Meurtriers. Marine ne se le fit pas répéter deux fois. Oubliant qu'elle devait ramener l'adolescente, elle fila vers sa voiture et démarra sans demander son reste. Elle aurait voulu lui répliquer que lui non plus ne s'opposait pas à la manière dont Harold traitait Luan. Mais, elle ne savait que trop à quel point Tristan pouvait devenir violent quand il piquait sa crise. En même temps, elle ne savait pas de qui elle avait le plus peur : de Tristan ou des représailles de Kramer lorsqu'il verrait qu'elle ne lui ramenait pas Luan... Marine eut soudain envie de jeter sa bagnole contre un pylône ou dans le canal. Envie d'être débarrassée une fois pour toutes de cette vie de merde. S'il n'y avait pas le bébé...

Marine savait que Tristan ne l'aimait pas. Leur union était uniquement basée sur le sexe et sur son physique. Le truand voulait une bombasse à son bras. Jolie, mince, sexy. Sois belle et tais-toi !

Surtout tais-toi ! Même son gosse il ne l'aimait pas. Elle avait pensé se rapprocher de lui lorsqu'elle lui avait appris sa grossesse, et c'était tout le contraire qui s'était produit. Il s'était mis dans une colère noire et lui avait reproché de l'avoir trahi. Il ne voulait pas d'enfant avec la vie qu'il menait. Il ne voulait pas faire un malheureux qui risquait de terminer sans père. Si un jour il avait un enfant, ce serait lorsqu'il aurait décroché et se serait tiré loin d'ici. Sur un autre continent. Résultat, depuis la naissance de son fils, cinq ans plus tôt, Tristan ne l'avait même jamais pris dans ses bras. C'était tout juste s'il le regardait. Et entre elle et lui, il n'y avait plus que le sexe.

***

"Il regarda la Golf démarrer en trombe. Il n'avait pas remarqué que la deuxième silhouette n'était pas remontée dans la voiture. Trop occupé à écouter ce qui se disait dans le hall avec son micro hyper sophistiqué. La dispute entre Marcillac et sa copine. Il s'était montré distrait. C'était vraiment con de sa part. Si jamais Tristan avait refermé la porte... Heureusement il n'en n'était rien. Il poussa la porte et pénétra dans le hall. La lumière était éteinte. Tristan devait être retourné dans sa chambre. Ce n'était pas grave. Tout était déjà prévu dans sa tête. Ce serait facile. Tristan avait confiance en lui.

Ce en quoi il avait tort. Mais c'était de sa faute aussi. Le truand commençait à péter les plombs, à raconter des conneries, à faire certaines confidences inopportunes. Il n'était pas un tueur. Il n'était même pas violent. Il n'aimait pas cela du tout, mais c'était la seule solution. Et puis il fallait impérativement récupérer ces documents et cet argent. C'était vital pour pas mal de monde. Sinon tout risquait de s'effondrer. Envoyer simplement Tristan en prison serait une solution pire encore. Il était incontrôlable. Dieu sait ce qu'il pourrait dire, qui il pourrait dénoncer... Non. Il fallait le tuer. S'en débarrasser. Le faire taire à tout jamais. En même temps cela sèmerait la zizanie dans la bande. Cela ruinerait la confiance car chacun penserait que l'autre était l'assassin. Chacun avait au moins un mobile pour se débarrasser de Marcillac. Lui en avait deux. Le faire taire et récupérer les documents compromettants. Et puis, même lui devait obéir aux ordres. A partir du moment où l'on acceptait un cadavre dans son placard, on n'avait plus le droit de refuser quoi que ce soit..."

***

- Je fais quoi maintenant ? S'enquit Luan après le départ de Marine.

Tristan regarda l'ado. Son regard était toujours aussi terrifiant. Il semblait comme fou. Il tremblait de rage. Mais elle ne paraissait pas avoir peur de lui le moins du monde.

- Faut que je rejoigne Harold, insista-t-elle d'un ton égal. Y a plus de bus à cette heure. Il m'attend.

Tristan tenta de se calmer. Il avait envie d'ordonner à la gamine de rentrer chez elle. Limite même de la raccompagner de force, car il savait qu'elle ne lui obéirait jamais. Mais il savait que ce serait inutile. Cela créerait une explosion nucléaire. A quoi bon essayer d'empêcher ce qu'il ne pouvait pas empêcher ? Il n'était pas de taille contre Harold Kramer. Un apprenti truand de vingt-trois ans contre un des chefs tout-puissants de l'Organisation du Cercle de Tollwut ! C'était risible. Il n'avait aucune chance, à part celle de se faire plomber ou jeter dans le canal avec des chaussures en ciment. Voir pire encore, Harold était un Immortel... Un Immortel. Rien que cette idée lui fit froid dans le dos. Les vampires et les Immortels n'existaient pas...

Normalement.

Il n'en n'était plus si sûr après ce qu'il avait vu et entendu l'autre soir ! Et puis merde, cette gamine, elle n'était rien pour lui. Sa vie ne le regardait pas. Il n'était ni son frère, ni son père, ni son petit copain. Une amie peut-être ? Mais pouvait-on parler d'amitié entre un criminel de vingt-trois ans et une ado autiste qui devait en avoir dix de moins ?

Qu'est-ce qui les reliait ? Axel Kramer ? Bof ! Lui non plus n'était même pas son ami. Juste son complice.

Pourtant il se mit à hurler :

- Putain, c'est pas possible ! Tes parents ils font quoi ? Ça leur arrive de s'occuper de toi? Ils savent où tu es ? Ce que tu fais ?

La gamine haussa les épaules.

- Je suis dans mon lit. Répondit-elle laconiquement.

- Bon, OK continua Tristan, laisse-moi le temps de m'habiller et j'te conduis chez Kramer.

Luan remettait les pièces de l'échiquier en place. Avait-elle seulement entendu ?

Tristan remonta dans sa chambre. La jeune fille chipotait aux bibelots qui se trouvaient dans le hall.

Elle essayait de ne pas balancer la tête.

La porte d'entrée s'ouvrit tout à coup. Pensant que c'était Marine qui revenait la chercher, l'adolescente voulut se montrer, mais l'angoisse, toujours elle, la fit hésiter. Cette ombre qui venait de pénétrer dans le hall lui faisait peur. On aurait dit qu'elle essayait de ne pas faire de bruit, alors que les talons aiguilles de Marine claquaient toujours sur le dallage. Instinctivement, Luan se rencogna sous l'escalier, d'où la silhouette ne pouvait pas la voir. Bien lui en prit. Ce n'était pas Marine, mais un homme qui passait devant elle. Un homme qui ne lui était pas inconnu, même si sa fichue incapacité à reconnaître les visages l'empêchait de se rappeler qui il était.

L'homme monta l'escalier sans faire de bruit. Ce n'était pas difficile, l'escalier était recouvert d'une épaisse moquette.

Une peur affreuse la saisit à la gorge. L'angoisse l'empêchait de lire dans les pensée de l'intrus, mais elle "voyait" quelque chose de terrible. Comment cet homme était-il entré ? Comment avait-il ouvert la porte blindée ? Est-ce que dans sa peur de la colère de Tristan, Marine aurait oublié de la refermer ? Qui était-il ? Est-ce que Tristan était au courant de sa visite ? Non, sûrement pas. Sinon il n'aurait pas proposé de la raccompagner s'il avait eu rendez-vous. Et il ne serait pas remonté dans sa chambre. Que venait-il faire ici ?

Luan "sentait" que les pensées de l'homme étaient noires et brouillées. Il avait peur lui aussi. Luan le suivit sans faire de bruit. Vit qu'il pénétrait dans la chambre de Tristan. S'approcha de la porte. Elle savait qu'il y avait un renfoncement où se trouvaient les toilettes et la salle de bains privée de Tristan. Elle s'y planqua. Tout allait tellement vite. Tristan était à peine entré dans sa chambre que déjà l'homme y faisait irruption et Luan se cachait dans le recoin.

Tristan était de dos. L'adolescente voulut l'appeler, mais son cri resta dans sa gorge. Elle savait que quelque chose de terrible était sur le point de se produire. Elle hurla mentalement pour prévenir son ami. Mais l'intrus venait de se révéler. Elle ne parvint pas à établir une connexion mentale avec Tristan. Les choses allaient trop vite. Tristan eut l'air surpris, mais serra la main de l'homme, comme s'il était tout à fait normal de le trouver dans sa chambre à près de quatre heures du matin.

Les deux hommes se mirent à discuter. Luan, qui avait une ouïe surdéveloppée entendit toute la conversation. L'homme voulait des papiers. Il était également question d'actes de terrorismes, de braquages... Il lui avait également demandé s'il avait de quoi assurer sa sécurité. Tristan semblait réfléchir, puis fouilla la cachette où il conservait la clé de son coffre-fort et son arme, qu'il déposa sur son bureau.

- Tu vois ? J'ai de quoi me protéger, il ne peut rien m'arriver. Tu t'inquiètes pour rien. Viens on va au coffre.

Tristan se retourna, serrant de sa main gauche son peignoir contre lui. Il venait de retirer la ceinture et de la jeter sur le lit et n'avait pas la moindre envie de se montrer dans le plus simple appareil à Luan qu'il entrevoyait par la porte de sa chambre, restée entrouverte. D'ailleurs, comment se faisait-il que l'homme ne lui ait pas parlé de la gamine ? Ne l'avait-il pas vue ? Bon sang, il ne fallait absolument pas qu'il la trouve ici où elle serait en danger! "VA T'EN!!!" articula-t-Il silencieusement à l'adresse de la jeune fille, pendant que l'homme continuait à parler en regardant ailleurs. Bon sang, cette petite folle avait suivi l'assassin au lieu de s'enfuir. Car Tristan ne se faisait plus d'illusions. Il savait que l'homme n'était pas venu pour les papiers et l'argent en priorité, mais bien pour le tuer par qu'il était devenu dangereux. Le truand savait qu'il allait mourir. Il ne vit pas défiler sa vie devant lui. Sa dernière pensée ne fût pas pour son fils, ni pour sa mère, mais pour cette ado complètement déjantée dont il avait fait la connaissance tout à fait par hasard. Il savait qu'elle allait le voir se faire tuer. Il savait qu'elle connaissait l'assassin. Il savait aussi qu'une fois mort, il ne pourrait plus rien pour elle et qu'avec son handicap ou peu importe le nom que l'on pouvait donner au Syndrome d'Asperger, même si elle était surdouée; elle ne parviendrait pas à expliquer ce qui s'était passé à Axel. Elle serait en danger sa vie durant. Il fallait qu'elle fuie. "VA T'EN!!!!" articula-t-il une dernière fois silencieusement "VA T'EN S'IL TE PLAÎT!!!!" Sa dernière action. La seule bonne action de sa vie...

Plus rapide qu'un serpent, l'homme se saisit de l'arme, profitant de ce que Tristan maintenait son peignoir fermé, et, en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, tira à bout portant, en plein dans son visage. Le jeune truand s'effondra sur son lit. De la cervelle, du sang et des esquilles d'os avaient giclé contre le mur et sur le lit. Luan était muette d'horreur. Elle faillit hurler mais parvint à se retenir. Elle se sentit perdre pied. Incapable d'aligner deux pensées cohérentes, l'adolescente se dit que la détonation avait du être entendue dans tout le voisinage. Elle aurait du comprendre. Elle aurait du réagir. L'homme. L'assassin lui tournait le dos. Championne d'arts martiaux Luan aurait pu le maîtriser et même le tuer. Elle aurait pu sauver Tristan. Et elle n'avait rien fait.

L'homme, dont elle voyait le visage, dont elle CONNAISSAIT le visage, ne se rendait pas compte qu'il était observé. Il bougea le corps de Tristan, le positionna d'une certaine manière. Ensuite, mit l'arme dans la main droite du truand. Il jeta un dernier coup d'œil sur la scène de crime, ramassa la clé du coffre-fort et descendit les escaliers en courant.

Totalement inconsciente du danger, l'adolescente suivit l'homme en répétant comme une litanie «Tristan, le sang ; Tristan, le sang ; Tristan, le sang... »

A l'étage au-dessus, elle entendit prononcer son nom mais ne réagit pas et continua à descendre.

Quelqu'un la tira par le bras. Elle regarda sans le voir, Adam, le jeune frère de Tristan et entendit sans comprendre ses paroles. Il la conjurait de se cacher. Adam avait compris ce qui venait de se passer. Il connaissait l'homme également. Il voulut absolument retenir Luan, qui allait se jeter inconsciemment dans ses griffes et probablement subir le même sort que son frère, mais la jeune fille lui échappa des mains. « Tristan, le sang ; Tristan, le sang... » toujours la même litanie. Pas de larmes. Juste une atroce panique figée sur son visage et dans sa voix.

Pendant ce temps-là, l'homme avait refermé le coffre-fort où il avait pris ce qu'il cherchait. Adam paniqua à l'idée de se faire voir et abattre comme son frère. Il lâcha l'adolescente qui avait totalement disjoncté et courut se cacher. Luan, elle, se retrouva face à face avec le tueur. Et tout à coup, en une fraction de seconde, elle le reconnut. Elle sut qui il était. Ce n'était pas possible. Elle ne pouvait y croire. Pas lui ! Non.

Le tueur reconnut également l'adolescente. Ignorant qu'Adam l'avait vu et reconnu de l'étage supérieur, il hésita un instant de trop. Voulut sortir son arme pour abattre ce témoin gênant, et puis renonça. Non. Il ne pouvait pas tuer cette gosse. Il ne pouvait pas aller jusque là.

Ce fût une seconde de trop. Luan, qui connaissait bien la maison des Marcillac et venait de reprendre ses esprits, plongea littéralement dans l'escalier de la cave. La jeune fille ne pouvait plus sauver Tristan. Il était mort et bien mort. Mais il avait essayé de la sauver. Il fallait qu'elle fuie. Elle savait que dans la dernière cave se trouvait une porte qui donnait sur le jardin. Et du jardin, si elle avait le temps de passer le mur, elle se retrouverait chez le voisin et aurait une chance de s'enfuir.

Effectivement, passant de jardin en jardin en sautant par-dessus les murs, elle parvint au terrain vague non loin de chez elle. Mais pouvait-elle rentrer à la maison ? L'homme savait qui elle était et la retrouverait quand il souhaiterait. Et il devrait la tuer. Elle venait de le voir commettre un meurtre de sang-froid.

- Oh mon Dieu, Tristan ! C'est pas possible ! Pour la première fois depuis la scène atroce, des larmes se mirent à couler. Un sanglot noua sa gorge. Tristan était mort. Abattu comme un chien. Et ce sang, ce sang, ce sang... Elle ne pouvait pas rentrer chez elle. Il fallait qu'elle trouve Axel ou à la limite Harold. Seuls eux pourraient la protéger. Et encore, elle ne voyait pas bien ce qu'ils pourraient faire contre lui, à part le tuer ! Mais on ne tuait pas les gens comme ça. Ce type était un assassin, mais elle ne pouvait pas imaginer qu'il se fasse tuer. Tout comme elle savait que Tristan en était un également, mais le voir abattre comme ça, comme un animal sauvage. Non.

Tristan n'était pas quelqu'un de bien. Luan ne l'ignorait pas. Pas mal de monde le détestait. Il devenait de plus en plus mégalo. De plus en plus méchant avec tout le monde. De plus en plus de gens avaient peur de lui. Pour Luan c'était parce qu'ils ne savaient pas comment s'y prendre. Mais ce sang, tout ce sang...

Un flash surgit dans son esprit. Une explosion, du métal chauffé à blanc, du sang, des cris, des hurlements de détresse, des pleurs, des morts, des blessés, du sang, une foule en panique... Luan ferma les yeux et tenta d'occulter ce souvenir dont elle ne voulait pas. Atila. Ce n'était pas le moment. Elle était incapable de le joindre. Ignorait même où il se trouvait.

A l'heure qu'il était, Harold devait toujours l'attendre. Il devait être furax. Contre elle ou contre Marine, ou sans doute contre les deux. Mieux valait peut-être essayer de trouver Axel. Il l'aiderait ou il calmerait son père et il l'aiderait à lui expliquer ce qui venait de se passer. Axel était le fils préféré d'Harold. Il lui passait tout. Il lui donnait tout.

Elle courait comme une dératée dans les rues désertes. Dépassa la maison de ses parents. Et chance suprême : la BMW d'Axel ! Il arrivait juste pour rentrer chez lui. Oh mon Dieu, c'était trop beau !

Elle était sauvée. Soulagée, la jeune fille traversa la rue en courant, appela Axel, cria au secours, lorsque, tout à coup, ce fut le choc ! L'adolescente, projetée en l'air par une voiture roulant à toute allure, atterrit comme une poupée désarticulée devant le capot de son ami, qui n'eut pas le temps de freiner ni même de réaliser ce qui se passait.

Et ce fût le trou noir.

***

Âpreté des sons

Tourmente des vents

Mémoire ...

Qui m'oublie, qui me fuit

Jésus ! J'ai peur

Jésus ! De l'heure...Qui me ramène

A des songes emportés,

A des mondes oubliés, oh

Jésus ! J'ai peur

De la douleur...

Des nuits de veille

Mémoire inachevée,

Qui ne sait... où elle naît

Avant que l'ombre, je sais

Ne s'abatte à mes pieds

Pour voir l'autre coté

Je sais que... je sais que... j'ai aimé

Avant que l'ombre... gênée

Ne s'abatte à mes pieds

Pour voir l'autre coté

Je sais que j'aime, je sais que j'ai...

Jésus ! J'ai peur

Oh ! Jésus ! Seigneur !

Suis-je coupable

Moi qui croyais mon âme

Sanctuaire impénétrable

Jésus ! J'ai peur

Jésus ! Je meurs

De brûler l'empreinte

Mais laisser le passé redevenir le passé

(Mylène Farmer, Avant que l'Ombre)

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