Tristan

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Tristan

Sa « carrière » avait commencé tôt.

Premier vol de voiture à treize ans.

Pour quelle raison ce fils de bonne famille était devenu un truand notoire : nul ne le sait et nul ne le saura sans doute jamais maintenant qu'il n'était plus là pour répondre aux questions. Tristan avait emporté une bonne partie de ses secrets dans la tombe.

Parents aisés ayant tous deux ce qu'il est convenu d'appeler « une bonne situation », bon élève, plutôt joli garçon avec ses cheveux blonds légèrement ondulés, ses yeux bleus et son teint bronzé, Tristan avait toutes les chances de son côté. Les meilleurs lycées lui ouvraient leurs portes. Les amis de ses parents n'attendaient rien d'autre que de lui offrir un stage ou un emploi définitif en rapport avec ses capacités.

Mais non.

Tristan avait préféré « déraper », se démarquer. Il voulait dominer. Devenir chef de gang. C'était compter sans la toute puissante Organisation du Cercle de Tollwut qu'il dérangeait considérablement.

Était-ce lorsqu'il avait commencé à fréquenter Éric ou plutôt lorsqu'il s'était mis en tête de faire partie de la bande d'Axel Kramer?

Quand est-ce que ces idées de grandeur, cette mégalomanie pathologique avait-elle commencé à germer en lui ?

Qui pourrait l'expliquer maintenant qu'il n'était plus là ? D'ailleurs, aurait-il seulement pu l'expliquer lui-même ?

Tout ce que l'on pouvait dire aujourd'hui, c'était que tant ses complices, que la police et la justice ainsi que la classe politique étaient satisfaits du « suicide » de Tristan.

Le « suicide »

L'enquête avait conclu à un suicide et l'affaire avait été plus ou moins classée. Plus ou moins, parce que pas mal d'éléments n'étaient pas clairs. Mais tant de gens avaient intérêt à ce que le jeune truand disparaisse, y compris sa propre famille, que plus personne ne s'y retrouvait. Les uns pensaient qu'il s'agissait bien d'un suicide, que Tristan n'aurait plus supporté la pression qui pesait sur ses épaules, et surtout le fait d'avoir tué une femme enceinte de sang-froid dans un braquage. Les autres pensaient que l'un de ses complices, voir plusieurs, l'avaient exécuté car il devenait dangereux, de plus en plus gourmand, mégalo... Même ses complices, ses amis en étaient venus à douter les uns des autres. Certains mêmes avaient des soupçons sur les parents de Tristan et Adam.

Et oui. Même eux avaient des raisons de tuer leur propre fils. Il était devenu dangereux, incontrôlable.

Personne ne savait qu'Adam avait vu l'assassin. L'adolescent avait fini par se renfermer complètement sur lui même et sombrer dans l'alcool et la dépression. A cause de la peur. La peur de l'assassin. Luan était morte moins d'une demi-heure après Tristan. Axel Kramer l'avait littéralement réduite en bouillie, preuve qu'il était de mèche avec le tueur.

Même en sachant Axel en tôle, Adam n'osait rien dire et laissait courir les rumeurs. Parce que si Axel avait tué Luan, Luan que pourtant il aimait, le tueur, lui, était toujours en liberté et plus puissant que jamais car à coup sûr il appartenait au Cercle de Tollwut ou faisait partie de ses hommes de main. Même si... Et c'était justement ce "si" qui lui faisait peur.

Marine s'était enfuie avec son fils et n'avait jamais mentionné la présence de l'adolescente dans la maison cette nuit-là. Elle se faisait aussi discrète que possible. Adam la comprenait. Si Axel était dans le coup, Harold devait y être aussi. Et pour qu'Axel qui paraissait aimer sincèrement son amie, et même peut-être sa maîtresse, selon certaines mauvaises langues, tue froidement cette dernière, il fallait vraiment que l'enjeu soit important. Donc, peu courageux, Adam préférait se noyer dans l'alcool. Abandonnant ses études. Sortant jusqu'à pas d'heure. Mis à part physiquement, il ne ressemblait en rien à son frère aîné. Dieu sait pourtant ce qu'il aurait aimé, mais il n'était pas de taille et il le savait. Tristan avait hérité du caractère de leur mère, Adam, lui, n'était qu'un lâche comme son père, et il en avait conscience. D'ailleurs son père, tout comme lui, noyait son chagrin dans l'alcool.

Adam se rappelait de la suite des événements après la mort de son frère. Il avait « découvert » le corps, s'était précipité dans la chambre de ses parents en hoquetant

- Maman, papa, Tristan vite, vite, venez vite ! Puis s'était évanoui.
A son réveil, il était dans son lit, le médecin de famille à ses côtés et des flics grouillaient dans la maison. Par la suite, il devait s'étonner de ce qu'ils n'étaient pas restés longtemps et que le corps de son frère n'avait pas été emporté pour autopsie. Pas de scène de crime. Pas d'interdiction d'entrée. Pas d'hommes et de femmes en combinaison blanche en train de tenter de récolter des indices. Mais à son âge, qu'est-ce qu'il connaissait aux procédures judiciaires, à part ce qu'on en voyait dans les séries télés ?

Dès que la police était partie, la famille et les amis les plus proches étaient venus présenter leurs condoléances.

La nouvelle s'était répandue comme une traînée de poudre dans le quartier et dans les établissements fréquentés par son frère. La nouvelle de la mort de Luan, en revanche, était passée quasiment inaperçue. Et lorsqu'elle avait été connue, personne ne fit le rapprochement entre la mort de l'adolescente et celle de Tristan. Surtout lorsque l'on avait su de quelle manière elle avait été tuée. Pour l'entourage de l'Organisation, Luan « appartenait » à Harold Kramer. Elle avait été tuée par son fils Axel. Et le soir de sa mort, Harold était justement furieux contre elle parce qu'elle n'était pas arrivée à l'heure. Harold, dont on savait dans le milieu qu'il était sans pitié. Luan, dont on savait qu'elle en savait trop pour une gamine autiste et donc aussi incontrôlable que Tristan. On se doutait bien qu'un jour elle finirait par y passer. Personne ne fut surpris de ce qui était certainement une exécution. Pas très discrète, il fallait le convenir. Habituellement, les enfants et les ados appartenant à Kramer, « disparaissaient », mais Kramer était tellement puissant. Et puis, ce n'était pas lui qui s'était retrouvé en prison pour meurtre, mais son fils aîné.

Non. Il valait mieux qu'Adam ne se mêle pas de cela. Après tout, Tristan était mort, il ne pouvait plus rien pour lui, et Luan avait cessé de souffrir. Peut-être était-ce mieux ainsi ?

Adam continua à traîner sa vie, de sorties en soûlographies, incapable de poursuivre ses études, incapable de trouver du travail, incapable même de parvenir à s'inscrire au chômage ou de passer son permis de conduire, recalé au service militaire. Adam, le joli garçon était devenu une épave, rejeté par tous. Mais il se taisait. Et ne faisait donc peur à personne. Il était devenu quasiment invisible.

Ses parents, eux, pleuraient chacun différemment leur fils Tristan. Normal, ils se détestaient. On se demandait ce que ces deux-là faisaient encore ensemble. Ils avaient repris, plus ou moins discrètement les sociétés-écrans de leur fils, aidés en cela par un spécialiste du blanchiment d'argent, ayant fait des études de droit dans l'unique but d'aider les membres de la Bande d'Axel Kramer de violer les lois en toute impunité. Ce petit con prétentieux s'imaginait faire partie de la bande, être accepté par eux. Adam savait qu'il avait tout faux. Kramer et ses complices se servaient de lui et de ses dents qui raclaient le plancher, de son besoin de fric, de reconnaissance et surtout de ses protections. Mais tous le méprisaient. Il n'était rien. Rien qu'un futur étron. Pourtant, il en était pour s'imaginer qu'il aurait pu être l'assassin de Tristan.

Assassinat ou suicide ?

Officieusement on en discutait sec. On soupçonnait l'un et l'autre. Pourtant, se disait Adam, mis à part son témoignage et celui de Luan si elle avait encore été de ce monde, certains détails devaient prouver qu'il ne s'agissait pas d'un suicide. La police devait le savoir. Ses parents devaient le savoir. Mais si elle préférait classer l'affaire, ce n'était pas lui qui remuerait la merde. Oh ça non alors!

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