Parti 3 : Entre respiration et apnée 

17 minutes de lecture

Quand on nous annonce ce deuxième cancer, je suis plus âgée, je rentre dans l’adolescence et je prends pleinement conscience de la gravité de la maladie. Je ne réalise pas encore à quel point ça va être difficile à endurer psychologiquement. 

Nous sommes à l’hôpital quand papa me l’annonce, mon monde s’effondre, mon cœur brûle à l’intérieur, je ne sais pas comment réagir. Est-ce que je dois pleurer ? Est-ce que je dois la rassurer ? Est-ce que je dois faire comme si de rien n’était ? Me voilà donc perdue, je refuse d’entendre. Pourtant la réalité est bien là et je vais très vite m’en rendre compte. 

À peine le diagnostic posé, nous sommes submergés par une vague violente d’émotions, le traitement commence.

Bienvenue au service d’hématologie stérile. C’est le premier service qui me laisse des marques physiques comme psychologiques. Il représente pour moi le vide. Il est coupé du monde extérieur, on y oublie ce qui se passe dehors. Je me sens déconnectée de la réalité. Quand je rentre dans ce service, j’ai l’impression de vivre une autre vie, de ne plus être moi-même.

Il porte bien son nom. Les locaux, le personnel, les visiteurs, tout doit être stérile. Du haut de mes 14 ans, je ne comprends pas forcément tout le protocole imposé pour entrer dans la chambre, mais je le respecte sans broncher. 

Le protocole, le voici. Nous arrivons tout d’abord dans une petite pièce où se trouvent vêtements, lavabos, vestiaires, et douches. L’ordre des tâches à effectuer est stricte et il ne faut rien oublier. Nous commençons toujours par nous laver les mains jusqu’à l’avant-bras avec un ordre de gestes bien précis. Le savon me provoque des réactions cutanées : eczéma, lésions de grattage, et une sécheresse importante. Je sais que ce savon détruit toutes les bactéries mais il détruit aussi ma peau à force d’utilisation. Pourtant je continue. C’est la seule façon de voir maman. Une fois le lavage de main terminé, il faut refaire les mêmes gestes avec le gel hydro-alcoolique. Arrive ensuite le moment de changer de vêtements. Ils sont toujours trop grands pour moi, ils n’ont pas pensé à la taille enfant. Un nouveau lavage de mains au savon, puis au gel. J’enfile ensuite ma charlotte sur la tête et mes sur-chaussures. Dernier lavage de mains, cette fois seulement au gel. Enfin on entre dans le service, tout est toujours aussi blanc, l’atmosphère est aseptisée, le personnel se fond dans le décor, les objets sont comme neufs et aucune bactérie ne vole dans l’air. Avant d'atteindre la chambre de ma maman nous passons par un sas où nous enfilons un masque qui prend la moitié de mon visage. Après un énième lavage de main, nous enfilons des gants en plastique. Nous sommes fin prêts. La porte s’ouvre comme par magie, grâce au détecteur de présence. 

Plus les jours passent et plus j'ai du mal à venir.  Mes visites s'espacent. Je ne supporte plus ce savon, ce masque qui m’empêche de respirer, ces gants qui me grattent et qui me font transpirer. Ce protocole m'énerve de plus en plus. Alors j’attends le retour de maman à la maison avec impatience. Pendant un an, elle passera un mois sur deux à l’hôpital. 

Au cours de cette année, je vois ma mère se détruire. Je n’arrive plus à voir la femme, je ne vois plus que la maladie. Dans ma tête, c’est « Salut cancer! » et plus « Salut maman ! ». Elle a perdu tellement de poids, il ne reste plus que la peau sur les os. Elle pèse alors 35 kilos. Son ventre est gonflé d’eau et son visage enflé à cause de la cortisone. Ses cheveux sont tombés petit à petit jusqu’à ce qu’elle devienne chauve. Des hématomes se forment partout sur son corps à cause des différents traitements. Le traitement, parlons-en, elle a un nombre incalculable de comprimés et autres trucs à prendre tous les jours. Sa peau montre un vieillissement précoce de par ses rides et les poches sous ses yeux. Ses mains et ses pieds sont bleus, violets, jaunes… Sa peau rougit facilement et ses lèvres sont gercées. Seule la couleur de ses yeux me confirme bel et bien que c’est toujours ma maman.  

Une semaine! Pendant une semaine, je la fuis du regard, je l’évite. Je n’arrive plus à voir ma mère, je vis avec le cancer et cela me rend malade de voir qu’il peut la détruire autant. Je n’arrive pas à accepter le fait de voir la maladie gagner. Les médecins lui disent de laisser respirer son crâne, une image insupportable pour moi. Je refuse de la voir sans sa perruque ou sans son foulard sur la tête. Je vois bien que le fait que je tourne la tête à chaque fois qu’elle apparaît devant moi lui fait beaucoup de peine. Je suis très dure avec elle mais je ne cherche pas à la blesser, juste à me protéger. Pourtant j’ai honte de sortir avec elle en public, j’ai honte d’afficher sa maladie au grand jour.  Je crois que j’aurais préféré sortir nue devant tout le monde plutôt que de sortir avec la maladie. Certains diront que je suis égoïste mais, à l’époque, je me soucie peu de ce que l’on me dit.  

Les mois passent et je ne vois toujours pas d’amélioration. Apparemment, le traitement fonctionne bien et la greffe de moelle osseuse se rapproche. Mais rien n’y fait, je n’arrive plus à la voir comme avant : l’image d’elle malade, au plus mal, reste figée en moi. Je ne me suis peut-être pas assez protégée et, en même temps, comment aurais-je pu faire plus ? Je n’en parle pas autour de moi, je garde tout et je continue d’avancer en faisant croire que je vais bien. 

Malgré tout, la vie suit son cours et ma puberté arrive. Tout se mélange dans ma tête, je n’arrive pas à voir mon corps qui change, à savoir qui je suis vraiment. Je fais quelques bêtises, rien de transcendant puisque je garde mon caractère de fille sage et posée. Mais je sens que je n’arrive pas à évoluer comme je le voudrais, j’acquière une maturité que je ne devrais pas avoir. J’ai l’impression de passer à côté de quelque chose. J’essaie de construire ma propre vie, je me cherche sur plusieurs sujets. Quand je vois les autres autour de moi, j’ai l’impression qu’ils n’ont que leur puberté à surmonter. Moi, je n’arrive même plus à y penser : la maladie prend le dessus et m'empêche de mettre mes idées en ordre.  Qui suis-je? L'avenir, est-ce qu’il y en aura un avec toi ? J’ai appris à vivre au jour le jour depuis mes 3 ans, alors l’avenir, c’est quoi finalement ? Des projets ? Des rêves à réaliser ? Un métier ? Que vas-tu devenir dans 10 ans, dans 5 ans ? Honnêtement, je ne sais pas. Je ne sais pas puisque je n’arrive pas à croire que tu seras toujours en vie dans 10 ans, dans 5 ans. Je commence déjà à faire mon deuil. Au fond de moi, je sais qu’il faut que je profite de toi. Alors, je mets ma vie en stand by sans vraiment m’en rendre compte. Tout est naturel, inconscient. Dans mes rêves, je te vois partir, je me vois pleurer, je me vois seule avec papa. Mais, quand je me réveille, tu es toujours là près de moi, dans la chambre d’à côté. Seul un mur nous sépare mais j’ai l’impression que tu es partie depuis bien longtemps.   

L’année avance avec une lenteur insupportable. Je me sens mieux à l’école, loin de la maison. Dans ces moments j’arrive à vivre rien que pour moi. Finalement la fin du traitement approche et la greffe de moelle osseuse va avoir lieu : un donneur anonyme est compatible avec maman. Les médecins sont confiants et nous aussi. C’est la dernière ligne droite ! Allez, on y croit ! 

Le Jour J arrive et elle reçoit sa greffe dans les meilleures conditions, tout se passe bien. On reprend notre souffle. 

Les beaux jours sont devant nous, tout est terminé, maman est en rémission pour la deuxième fois et papa respire enfin. Et si nous avions le droit au bonheur nous aussi ? Pour fêter ça nous décidons de louer un gîte pour les vacances à la Forêt-Fouesnant où nous passons de très bons moments tous les trois. Quelques mois plus tôt nous avons adopté une petite chienne qui nous apporte beaucoup de joie, surtout à maman. On s’y attache rapidement. Maman s’est remise à dessiner de beaux et grands tableaux. Elle retrouve des projets d’art, et se projette dans l’avenir. Malgré une rémission difficile, avec beaucoup de fatigue et de fragilité, elle va bien et c’est tout ce qui importe. Nous sommes sereins et confiants sur notre future vie à trois.

Ce bonheur se poursuit quand l’association Céline et Stéphane, Leucémie Espoir nous donne la chance de partir en vacances tous frais payés à Bénodet pendant une semaine. L’association possède plusieurs appartements et en fait profiter les proches des malades. Malheureusement, le séjour ne s’est pas déroulé comme prévu. 

Maman n’aime pas l’inconnu. D’ordinaire, les départs sont toujours stressants pour elle. Alors, pour ce séjour, c’était d’autant plus compliqué. Nous n’avions jamais vu l’appartement auparavant et maman reste encore très fragile physiquement. Quand nous arrivons sur les lieux, plusieurs détails nous contrarient et le stress de maman augmente. Une seule chambre se trouve dans l’appartement et un petit lit d’appoint dans le salon. Or, comme vous le savez déjà, mes parents ne dorment plus ensemble. Papa ne peut donc pas séjourner avec nous dans l'appartement et maman en est très affectée. Même si nous nous retrouvons dans la journée ce n’est pas pareil. C’est insoutenable pour elle. Nous prenons donc la décision d’écourter notre séjour pour son bien. Elle souffre trop psychologiquement. 

Malgré cette mauvaise expérience, l’association a toujours été présente pour nous. Elle nous a ouvert les portes de leur centre d’accueil, ce qui a permis de redonner le sourire à maman. Et, plus tard, elle nous a permis à papa et moi de profiter de l’appartement des familles qui se situait dans l’hôpital, près de sa chambre. Cela nous a permis de rester près d’elle jusqu’à son lâcher-prise. La ligue nous a également soutenue en permettant à maman de bénéficier d’une perruque offerte, suite à la perte de ses cheveux. Je leur serai toujours reconnaissante pour tout ce qu'ils ont mis en place afin de nous aider à avancer au mieux dans notre parcours face à la maladie. Malgré le soutien que l’on reçoit, cette période est éprouvante et j’ai besoin de m’évader. Nous sommes en été 2011, je passe les vacances avec une amie sur Fouesnant pour respirer et faire une pause.

***

Nous sommes dans sa chambre en train de parler, de passer le temps. Il se fait tard, la radio est allumée et nous commençons à zapper. « Allo ! Vous allez bien ? » « C'est qui l’papa ?!! » pour ceux et celles qui n’ont pas reconnu, je viens de tomber sur l’émission de guillaume radio 2.0  sur NRJ. C’est une émission de libre antenne où tous les sujets sont abordés, une émission destinée aux jeunes plus particulièrement, qui fait rire par ses différents jeux et canulars téléphoniques. 

Mais surtout, il y a cette voix, celle de Guillaume Pley. Je tombe sous son charme, elle m’apaise, elle me rassure et me donne envie d’écouter l’émission encore et encore. Les jours passent et je continue d’écouter la radio chez moi, dans mon lit, de minuit à trois heures. Je n’en loupe aucune. Je m’y intéresse de plus en plus, ça me fait du bien. 

Je cherche sur internet leur page Facebook que je trouve très facilement et, enfin, je mets un visage sur cette voix qui me permet de mieux dormir. Je suis tombé en admiration pour cette personne. Non seulement, il a cette voix qui me fait craquer mais il a également un physique qui me plaît. Je suis jeune, j’ai à peine 15 ans, et mes amies sont fans de chanteurs, acteurs et compagnie. Moi, c’est de Guillaume que je deviens littéralement fan pour la première fois. Je ne manque aucune de ses émissions et je prends un rythme qui me fatigue énormément : je m’endors vers 21h pour me réveiller à minuit et me recoucher à 3h avant de me lever le lendemain à 6h. Je tiens le coup pendant plusieurs mois mais, à force, mon corps me dit stop. Je m’endors en cours, je perds ma concentration, et les remarques de mes professeurs se font entendre de plus en plus. Je décide donc d’arrêter d’écouter l’émission en direct et je me mets au podcast pour pouvoir l’écouter à des heures plus raisonnables. Évidemment, lors des vacances scolaires, je me permets de l’écouter en direct. Je ne loupe aucune émission, je connais les jeux par cœur et j’aime bien pouvoir en parler à mes amies le lendemain. J’ai même réussi à l’écouter lors de certaines émissions exceptionnelles, de minuit à 6h, sans me déconcentrer un seul instant. 

Les mois passent, nous voilà en 2012 et je ne l’ai toujours pas sorti de ma tête. Il m’aide toujours à m’endormir quand ça ne va pas et à passer une bonne fin de journée. C’est mon moment d’évasion et ça me fait beaucoup de bien. Les personnes autour de moi ont souvent du mal à comprendre cette obsession. Moi même je n’ai pas d’explication rationnelle mais quoi que l’on me dise, rien ne m’empêchera de l’écouter. Un jour, je reçois ma première carte postale dédicacée suite à un mail que je lui ai écrit. Je suis hystérique ce jour-là, je n’arrive plus à m’empêcher de sourire, de courir partout. Mon père ne m’a encore jamais vue comme ça. J’ai envie de le crier sur tous les toits. Plus tard, je me rendrais compte que ma réaction était disproportionnée mais peu m'importe, à ce moment-là, j’étais heureuse.

L’été 2012 arrive, je viens d’avoir mon brevet des collèges avec mention. J’y prête à peine attention. Je n’ai qu’une seule lubie : le rencontrer.  Je supplie mes parents de pouvoir le voir. Je décide même de payer tout le voyage pour papa et moi, avec l’argent reçu lors de mes anniversaires et Noël. J’ai tout prévu. 

Quand mes parents décident de céder, mon cœur défaille, je ne réalise pas que je vais enfin le voir en chair et en os. 

Le 7 août 2012, je le rencontre. C’est incroyable, jamais je n’ai ressenti de telles sensations : le cœur qui s’emballe, un sourire jusqu’à en avoir mal à la mâchoire, le souffle coupé, une voix inexistante, les joues rouges écarlates, les jambes tremblantes. Cette envie de fuir, de me cacher. Je ne contrôle plus rien. Chaque détail de cette rencontre est gravé dans ma mémoire, notamment quand je l’aperçois en haut des escaliers. Je passe une bonne partie de l’après-midi avec toute l’équipe. 

Plus tard, quand je me relirai, je me rendrai compte à quel point ce moment était important pour moi. Mon journal intime est rempli de photos, de cœurs et d’autres signes d’affection pour lui. Je suis une vraie fan avec tous les clichés associés et je n’en ai pas honte malgré la démesure de la situation. En grandissant, j’en parlerai avec le sourire et, bien qu’il ait arrêté la radio, je continuerai à le suivre dans ses diverses émissions. Il arrivera encore à me faire aimer le contenu qu’il crée. Je l’ai vu en tout et pour tout 6 fois: deux fois à Paris, trois fois sur Brest dont une où j’ai participé à son émission en direct, et une fois sur Rennes (j’ai fait l’aller-retour dans la journée). À la fin, il commençait à me reconnaître. C’est complètement fou pour moi. 

Une anecdote me reste en tête. Celle où j’ai réussi à convaincre mon père de ne pas aller en cours pour le voir. À ce moment-là  Guillaume quitte Brest et je veux le croiser une dernière fois à l’aéroport. Je suis la seule fan présente et je profite d’un moment privilégié avec lui. Je me souviens de l’audace avec laquelle j’avais osé lui demander de me donner mon premier bisou sur la bouche. Il a refusé, mais j’ai osé. 

Je ne remercierai jamais assez mes parents de m’avoir permis de réaliser ce rêve, et tous les autres. Le jour où j’aurai des enfants, je ferai de même pour eux, car je sais à quel point c’est important et à quel point ça marque une vie. Aujourd’hui, ce sont mes rêves qui m’animent, ce sont eux qui me donnent la force d’avancer et de croire que c’est possible.  

***

Cet exemple illustre le soutien et le dévouement de mes parents à mon égard. Je sais qu’ils faisaient de leur mieux. Cependant, malgré tous nos efforts à maman et moi, la leucémie a dégradé notre relation. Je suis plus secrète vis à vis d’elle bien que nous n’étions pas particulièrement proche. Pourtant j’ai le besoin de partager avec elle autour d’un film dont les personnages principaux sont un couple lesbien. À cette époque je rentre à peine dans l’adolescence, mes hormones se manifestent et se pose la question de la sexualité, ma sexualité. Ce film fait naître en moi de nouveaux questionnements et j’ai besoin de son ressenti sur le sujet.

Voici sa réponse : « j’espère que cela ne t’a pas chambouler les idées ». Cette phrase me hantera longtemps.

Quelques mois plus tard, je rencontre cette fille aux cheveux longs, blonds, arborant le look d’une parfaite métalleuse. C’est là que je comprends que j’ai une réelle attirance pour les femmes. Au début, je me dit que ça va passer, que mes hormones me jouent des tours, que je suis perdue mais qu’au fond je suis hétérosexuelle. Les mois passent, les années passent, les questions s’estompent et je range ça dans un coin de ma tête. Je refuse de voir la vérité en face, je ne dois surtout pas décevoir maman.

J’ai 15 ans quand mon attirance pour les femmes refait surface. Je ne contrôle plus rien. Je passe une belle soirée en compagnie de cette fille que je viens de rencontrer. L’attirance est réciproque, c’est la première fois que je ressens quelque chose et je décide de lâcher prise.  Le lendemain, je refuse de lui faire face, encore une fois je fuis. Je sais que ça va passer, ce ne sont que mes hormones qui me jouent des tours, je suis hétérosexuelle, c’est une certitude. 

J’ai grandi, je sors plus souvent, je fais de nouvelles rencontres. Je découvre un nouvel aspect de ma personnalité. Je commence même à prendre confiance en moi.  J’ai 18 ans, et pour la première fois, j’éprouve de l’attirance pour un garçon. Je le savais, je suis hétérosexuelle, me voilà ravie et de nouvelles expériences s'enchaînent.

Quelques années passent et je rencontre Tatiana, Tati pour les intimes. Elle devient mon amie, ma confidente, une personne marquante de ma vie. Le sujet de ma sexualité vient très vite sur la table mais j’esquive, jusqu’au jour où j’ose en parler réellement. Les minutes passent, les heures passent, je parle librement de tous ces questionnements : Qui suis-je vraiment ? Comment assumer ? Que dois-je faire ? Vient la question fatidique : et si je m’autorisais à aimer autant les hommes que les femmes ? Pourquoi fallait-il que je fasse un choix ? Je n’arrive pas à contrôler cette attirance pour les deux sexes, alors pourquoi ne pas l’accepter ? Je prends la décision de m’assumer en tant que bisexuelle mais ce n’est pas facile tous les jours. Quand j’en parle à mes amis, on ne me juge pas, on m’accepte telle que je suis. En parler avec des inconnus, c’est une autre histoire. Je commence à découvrir les clichés sur cette orientation sexuelle. « Puisque tu es attirée par tout le monde, tu couches avec n’importe qui ? » « Un p'tit plan à trois, ça te dit ? »  « Ha, qu’est-ce-que c’est excitant de voir deux femmes s’embrasser ! » « Moi, je suis sûr que tu te cherches encore, tu es perdue ! » « Mais, du coup, quand tu es avec une femme, tu es lesbienne ? Et quand tu es avec un homme tu es hétérosexuelle ? »  « Comment ça se passe avec une femme ? Vous ne faites pas réellement l’amour ? » « Qui fait l’homme, qui fait la femme ? »  Et j’en passe…

Je vis également l’expérience suivante : quand j’embrasse un homme en public, il y a rarement des regards, on nous laisse tranquilles. Mais, dès que j’embrasse une femme, tous les regards sont braqués sur nous. Quand tu es bisexuelle, les gens autour ont besoin de tout savoir, ils posent sans cesse des questions, tu dois en permanence te justifier et livrer ton intimité. Ils ne se rendent compte de la gêne occasionnée que lorsque je leur retourne la question : « Et toi ? comment tu fais l’amour à ta femme ? » Alors, si je peux vous donner un conseil, réfléchissez avant de poser votre question. Mettez-vous à notre place.

Les gens pensent également que quand tu es lesbienne, bisexuelle ou homosexuelle, il faut forcément que tu aie eu des rapports intimes pour être sûr de ton orientation. Je le sais depuis le plus jeune âge, avant même de passer à l’acte. Arrêtez de me demander si je l’ai déjà fait, arrêtez de croire que l’on choisi d’être comme ça, arrêtez de croire que c’est un effet de mode. Ce n’est pas un choix. Je me rends compte qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que le sujet ne soit plus tabou dans notre société.  

Aujourd’hui, ma famille n’est pas au courant, même si je pense que certains se posent des questions. Si vous êtes de ma famille, et que vous venez de le découvrir en me lisant, alors je vous demande de ne pas me juger, de m’accepter comme je suis. N’ayez pas peur pour moi.

Je suis consciente que, si plus tard , je me marie avec un homme, on me rangera automatiquement dans la case hétérosexuelle et que la vie sera beaucoup plus simple. On aura des enfants facilement, une maison, un mariage tout aussi simple et une petite vie parfaite pour la société. En revanche, si je me marie avec une femme tout deviendra plus compliqué. Il faudra se battre sans cesse, répondre à des questions auxquelles on ne veut pas répondre, comme les questions autour du mariage et des enfants. Je me suis préparée à tout ça et je suis prête à faire face et à continuer d’assumer qui je suis. J’ai enlevé ce masque si lourd, je me dévoile enfin et ça fait du bien.

Le regret que j’ai, même si je me le pardonne, c’est de ne pas l’avoir dit à maman de son vivant. Je sais qu’elle me regarde de là-haut et qu’elle le sait aujourd’hui, mais j’aurais aimé tout lui dire avant. Je pense sincèrement qu’elle se doutait de quelque chose mais sa réaction me faisait peur. Avec du recul, je pense sincèrement qu’avec de la communication sur le sujet elle l’aurait accepté. Mais ça, je ne le saurai jamais. Après son décès, j’ai dû me résoudre à ne jamais connaître son avis là-dessus. À ce moment-là, je ne savais pas moi-même qui j’étais vraiment, alors : comment l’assumer auprès de ses proches ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Camja ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0