Après quelques instants de silence, l’unité virtuelle recommença tel un disque rayé :

— Veuillez entrer vocalement le sujet de votre requête.

Sarina jeta un coup d’oeil vers Tiana qui lui fit signe d’avancer et de poser ses questions. Cependant, la Synthétique hésitait : elle avait peur de découvrir ce qu’elle était. Puis, prenant son courage à deux mains, elle ordonna d’une voix claire et distincte :

— Parlez-moi du projet D.I.M.A.. Qu’est-ce que c’est ?

La tête sans expression de la silhouette se tourna alors vers la jeune femme et, toujours avec sa voix de jeune fille, déclara :

— Le projet D.I.M.A. est un projet secret de l’Alliance visant à transformer des humains en copies synthétiques. Et ce dans le but de détecter toute forme de soulèvement au sein de la population et à tuer ces poches de résistance dans l’oeuf. Les initiales de D.I.M.A signifient Destruction, Infiltration, Manipulation, Assassinat.

Tiana était sidérée par de telles pratiques. Elle ne les aurait jamais imaginées. Son regard se tourna vers Sarina et, malgré elle, la Capitaine eut un mouvement de recul. Elle avait peur.

— Qu’y a-t-il ? Vous me croyez capable de vous faire du mal ?

— Je suis prudente, c’est tout. répliqua l’ancienne militaire. Je dois t’avouer que je sais pas trop à qui faire confiance en ce moment. D’abord vous, Doc, qui nous sortez des codes d’accès de votre chapeau ; et puis il y a toi qui, semble-t-il, es une arme en puissance… Sans oublier que ton but est de détruire les poches de résistance, et donc les Indépendantistes. Ce que je suis...

L’ancien Sergent secoua la tête et continua :

— Vous savez quoi ? J’ai besoin d’un moment… dit-elle avant de redescendre vers l’open space.

Après qu’elle y fût allée, elle s’assit sur l’un des bureaux vides se trouvant en face d’une large baie vitrée qui laissait voir les plaines frappées d’éclairs de Terra. Soudain, elle sentit une présence l’approcher. Elle dégaina et reconnut rapidement Alistair :

— Sérieusement Doc, si vous voulez vous faire tuer, continuez à m’approcher comme ça… lui dit-elle.

Les lèvres du médecin s’étirèrent en un fin sourire. Il semblait gêné, mais également sur le point de raconter quelque chose :

— Pourquoi ai-je l’impression que vous allez m’expliquer d’où vous sortez vos codes d’accès ?

— Parce que c’est le cas, ma chère…

Alistair s’installa près de Tiana et posa son arme près de lui avant de regarder le paysage devant lui. Régulièrement, les grondements du tonnerre faisaient vibrer les murs.

— C’est magnifique et en même temps terrible, vous ne trouvez pas ? demanda le bon Docteur Gun.

— En effet, Doc. Mais je vois pas trop le rapport.
— Je vais vous expliquer...

Le médecin inspira profondément et, avant de trop hésiter, s’expliqua :

— Vous vous souvenez certainement de ce que je vous avais dit. Par rapport à mon passé dans l’Alliance. Et bien, je ne vous ai pas tout dit.

Alistair regarda la Capitaine s’attendant à une réaction, mais celle-ci n’en était déjà plus là : elle s’attendait à tout de la part du médecin.

— J’ai fait partie des services secrets de l’Alliance. lâcha Gun, brutalement. Et quand j’ai su qui vous étiez, Capitaine, que j’ai préféré vous le cacher. J’espère que vous comprendrez ma position.

Tiana comprenait en effet. Mais elle se sentait trahie. Encore lui aurait-il dit dans un autre cadre, elle n’aurait pas été si dégoûtée, mais là, après tout ce qu’ils venaient de découvrir, elle ne pouvait pas accepter une telle chose.

— Écoutez, Doc. Ça fait beaucoup là. répondit la jeune femme. Vous avez fait partie des services secrets ennemis et je sais même pas quelles atrocités vous avez pu commettre pendant ce temps passé là-bas.
— Beaucoup trop. répondit le médecin. Et parfois à contre-coeur. Mais soyez indulgente, s’il vous plaît. Je n’ai jamais essayé de vous nuire, ni à vous, ni au reste de votre équipage.

Tiana se voûta alors qu’elle sentait que le médecin admettait ses méfaits passés. Quand, d’un coup, elle songea à ce qu’elle s’était promise : faire confiance à sa famille. Alistair les avait rejoint volontairement et avait été exemplaire depuis le début. Elle ne trancha donc pas la question tout de suite :

— Vous m’avez dit que vous essayiez de racheter vos erreurs ? C’est de ça que vous parliez ?
— En effet. En tant qu’opérateur, j’ai fait beaucoup de mal à certaines personnes. Et tout cela au nom de la science. C’est pour ça que je suis horrifié par tout ça en bas. Et imaginer que ça aurait pu être moi qui en ait été la cause me rend malade.

Tiana se souvint alors de son implication dans la création des Synthétiques pour les militaires de l’Alliance :

— Me dites pas que…
— Non, ma chère. Je ne suis en rien responsable de ce qui se passe ici. Comme vous le savez, je suis un chirurgien. La technologie utilisée ici va bien au-delà de mes compétences.

Tiana soupira. Heureusement que le Docteur Gun était du genre à ne pas minimiser ses propres capacités, car cela l’empêchait de mentir quant à son implication dans un projet d’une telle ampleur.

Soudain, un bruit les fit se retourner. Il s’agissait de Daniels qui dévalait les marches en courant :

— Boss ! Doc ! Vous devez venir voir ça !

Précédés de Jack, Alistair et Tiana rentrèrent dans la pièce où se tenait assise Sarina toujours en train de parler à l'hologramme. Lorsqu'elle les vit, elle s'adressa à ce dernier :

— Répète ce que tu viens de me dire.

La silhouette s'exécuta, et toujours avec la voix de la fillette, elle déclama mécaniquement la définition qui avait été inscrite dans son programme :

— Dans le cadre d'un trop grand nombre d'erreurs systémiques, le complexe X-031 possède un accès prioritaire au protocole Nom de Code : “Éveil”. Celui-ci réécrira les circuits de contrôle et de surveillance de tous les synthétiques connectés à l'Alliance, les libérant ainsi tous du contrôle de cette dernière. La procédure Nom de Code : “Éveil” ne peut cependant être activé que par un représentant de l'Alliance habilité.

La silhouette se tut plongeant la pièce dans un silence que personne n'osait briser. Jusqu’à ce que Tiana lâche une exclamation de surprise.

— Ils ont vraiment fait ça ? s’extasia-t-elle.

Elle se mit à rire nerveusement, mettant mal à l’aise ses compagnons qui lui jetèrent un drôle de regard :

— Tout va bien, Boss. demanda Daniels, inquiet.
— Oh ça oui, tu peux me croire, Jack. Je vais très bien.

Puis, la Capitaine se tourna vers Alistair qui la regardait toujours aussi curieusement :

— Doc. Vous savez ce que je vais vous demander, n’est-ce pas ?
— Possible… Dites toujours.

— Vous avez vos accès d’opérateur. Utilisez pour cette procédure.

Le médecin soupira avant de déclarer :

— J’espère que vous vous rendez compte de ce que cela implique vraiment. Parce que toute cette nouvelle race pourrait ne pas voir d’un très bon oeil qu’on ait essayé de la contrôler.
— Vous êtes assez mal placé pour me faire la leçon, Doc ! répliqua violemment Fry. Donc essayez même pas ! En ce qui me concerne, ça fera du mal à l’Alliance et c’est tout ce qui compte !

Choqué mais compréhensif face à l’état d’esprit de l’ancienne Indépendantiste, Alistair fit volte-face vers Sarina qui était restée muette.

— Je crois que la décision ne vous revient pas entièrement, Capitaine.

On aurait pu se dire que la nouvelle l'aurait comblée de bonheur, mais il n'en était rien. Elle se disait au contraire qu'elle n'avait pas les épaules pour supporter le poids d'une décision pareille. Toute cette expédition n'avait été pour elle qu'une manière de découvrir son passé, pas de créer une nouvelle race. Elle ne considérait pas cela comme étant sa responsabilité et pourtant elle se devait de faire un choix.

— Je suis d’accord avec Tiana. dit-elle. Nous nous devons pour tous les Synthétiques cachés au sein de l’Alliance de les soustraire à son contrôle.

Le médecin, bien que réticent, se tourna alors enfin vers la silhouette sans visage et lança d’une voix forte la commande vocale de la procédure d’éveil :

— Autorisation Alpha-Trois-Delta. Activation du protocole “Éveil” autorisée.

L’hologramme se figea quelques instants avant de continuer, toujours aussi mécanique :

— Protocole “Éveil” en cours de lancement. La complétion de la procédure prendra environ - donnée inconnue.

Puis reprenant la voix masculine du début, il reprit :

— Session terminée. Les installations du complexe X-031 vous souhaitent une agréable ...

Il fut interrompu dans sa phrase par le tir d’un blaster dans l’unique projecteur. Tiana Fry avait les larmes aux yeux. Des larmes de colère. Aussi s’exclama-t-elle :

— Agréable journée, mon cul ! Journée cauchemardesque, oui !

L'ancien Sergent fit signe alors à ses acolytes :

— Allez. On s'en va. On a fait ce qu'il fallait ici.

— Mouais. bougonna Daniels. Enfin jusqu'à ce que ça nous retombe sur la tronche...