CHAPITRE 34 : Soutien inespéré

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Le Charon approchait toujours plus de Terra et tout le monde à bord le sentait. Tiana et Tooms étaient sur la passerelle, en train de regarder avec insistance la carte stellaire, comme si cela permettait au vaisseau de voyager plus vite. Derrière eux, Seilah se tenait près de sa compagne de qui la Capitaine s’était rapprochée pendant les deux semaines qui s’étaient écoulées depuis leur départ d’Obol. La Demoréenne regardait les deux anciens Indépendantistes en souriant légèrement tant leur attitude était risible. Cependant, elle était aussi tendue que ses amis, et avait bien des difficultés à le cacher.

Au final, même la femme si calme et logique qu’était Sarina s’était enfermée dans l’armurerie pour s’exercer à outrance. Tellement que Daniels tambourinait à la porte en lui criant de sortir depuis déjà cinq minutes :

— Sarina, sors de là, gamine ! Tu vas gâcher toutes nos munitions à force de tirer sur les cibles !

Passant par là, Alistair s’arrêta pour demander ce qu’il se passait au nouveau couple qui s’était formé : Mei et Ethan. Les deux jeunes gens étaient devenus très proches en très peu de temps et passaient maintenant le plus clair de leur temps libre ensemble. Ce jour-là, ils s’étaient posés dans le mess et jouaient à un jeu de stratégie intellectuel mélangeant puzzle et physique. Cependant, leur partie avait été interrompue par Daniels et ses cris.

— Une dispute entre deux amoureux, j’imagine. lança Mei en lançant un clin d’oeil à son compagnon.

Celui-ci était particulièrement choqué par l’allégation de l’Azrienne, même si au fond de lui, il commençait à voir les signes d’un tel rapprochement. Ce qu’il acceptait totalement, même si son rôle de “grand frère protecteur” faisait parfois surface.

Soudain, un signal sonore s’activa dans tout le vaisseau et la voix de Tiana s’y éleva immédiatement après :

— Les amis, on va bientôt arriver dans le système de Terra ! annonça-t-elle. Mei, retourne à la salle des machines et prépare-toi à nous occulter dès que le moteur supraluminique se coupera.

Sur la passerelle, Tooms venait de recevoir les premiers relevés du système solaire en question et les voyait s’afficher sur l’hologramme devant lui.

— Boss, je crois que tu vas vouloir voir ça. déclara-t-il.

Sa voix trahissait une profonde angoisse et Tiana comprit rapidement pourquoi : elle nota la présence de dizaines de petits points qui entourait la sphère qui représentait leur destination ; il s’agissait de toute une flotte en orbite géostationnaire au-dessus d’une seule zone de la planète.

— On va être mal. ajouta le timonier en voyant que les relevés se précisaient.

En effet, ces derniers affichaient un bouclier énergétique qui recouvrait l’intégralité de la planète à l’exception d’une petite zone où la flotte était positionnée en formation serrée. Ainsi, cette ouverture, leur seule entrée possible vers Terra leur était inaccessible...

Soudain, un silence pesant s’abattit dans le vaisseau : le moteur supraluminique venait de se couper et Mei avait activé au même instant son invention, les faisant entrer discrètement au large de Terra.

Ne sachant que faire, Tiana regardait les minuscules points sur l’écran des senseurs devant son pilote. Elle était interdite tant elle n’avait jamais vu un tel rassemblement de vaisseaux de l’Alliance dans un secteur de l’Espace si petit.

— Ash, arrête les moteurs. Je veux voir ce qu’on a face à nous…
— Bien compris, Boss. Mais tu penses qu’on a au moins une petite chance ?

Pour une fois, Tooms était totalement sérieux et ne se sentait pas l'âme à faire preuve de sarcasme. Il avait peur, autant pour lui que pour les autres membres de l’équipage du Charon. Un sentiment que Tiana Fry partageait.

— J'en sais rien. répondit-elle. Peut-être... Si on fait preuve de créativité.

Fry était perdue et ne savait plus quoi décider. Après tout, elle avait fait tellement d’erreurs, elle ne faisait que remettre son jugement en question. Elle ne pouvait décider pour eux ; mais de plus, elle n’avait aucune idée de plan pour accéder à la surface de la planète artificielle de Terra.

— Je veux voir tout le monde dans le mess. ajouta-t-elle en quittant son fauteuil et en bifurquant vers ladite pièce. Je vais avoir besoin de vous tous.

* * *

L’équipage était de nouveau réuni dans la salle destinée aux repas et attendait patiemment et nerveusement que la Capitaine du cargo prenne enfin la parole. Cette dernière semblait démoralisée : en effet, elle avait beau retourner le problème dans sa tête, elle ne trouvait aucune solution. Aussi leur dit-elle le fruit de ses réflexions :

— Comme vous le savez, nous venons d’arriver dans le système caché de Terra, et nous sommes loin d’atterrir, j’en ai peur.
— Pourquoi donc ? demanda Alistair, inquiet.

La jeune femme fit un signe de tête à Mei. Cette dernière sortit alors une télécommande de l’une de ses poches et appuya sur l’un des boutons : une immense sphère bleutée apparut au sein d’un cône lumineux au centre de la pièce.

— Voici les relevés de nos senseurs à propos de Terra…

La Capitaine indiqua la couche protectrice du champ de force dressée autour de la planète :

— … et ça, c’est un bouclier planétaire comme j’en ai jamais vu. Il sera impossible de passer à travers.
— D’accord. intervint Ethan, suspicieux. Je pense que tout le monde a compris, mais ça… ajouta-t-il en pointant le trou dans le champ de force. ...c’est notre entrée, non ?

Entendant la question de son frère, Tooms ne put s’empêcher de rire :

— Parce que tu crois qu’on y avait pas déjà pensé peut-être ? Hein, petit génie ? répliqua-t-il, sarcastique.

L’arnaqueur lança alors un regard noir à son frère cadet et serra les dents pour éviter de cracher des paroles qu’il pourrait regretter plus tard. Au lieu de ça, il chercha la main de Mei qu’il serra et se focalisa sur ce contact plutôt que sur la rage qu’il avait en lui à ce moment-là. Cependant, le manque de tact de Tooms et l’effet non-désiré sur Ethan n’étaient pas passé inaperçus aux yeux de Tiana Fry qui essaya de calmer le jeu entre les deux frères :

— Bon, pour que tout le monde reste le plus calme possible, je vais essayer de vous expliquer ça un peu plus rapidement. dit-elle en affichant la flotte de l’Alliance. Voici ce qui nous empêche de passer : une flotte de l’Alliance composée d’au moins dix croiseurs...
— … et vu la taille ridiculement petite de l’entrée du bouclier, cela conjugué au fait que les croiseurs nous bouchent le passage, j’imagine qu’on va avoir besoin d’une stratégie hors du commun pour passer. Car même camouflés, à la moindre erreur, ils nous pulvériseraient sur place. conclut Sarina.

La Capitaine croisa le regard de celle qui venait de terminer sa phrase et lui sourit. C’était justement elle dont Tiana souhaitait l’avis plus que tout, notamment grâce à ses capacités de raisonnement supérieures. Cependant, la Synthétique ne semblait pas avoir la réponse que Fry attendait tant. Au contraire, elle resta muette devant l’ancien Sergent, haussant simplement les épaules.

Lorsque l’ancienne Indépendantiste posa ses yeux sur Daniels, elle ne fut pas surprise de le voir plus agité que d’ordinaire : l’artilleur souhaitait certainement en découdre avec tous ces pourris de l’Alliance, et Tiana le comprenait plus que n’importe qui à bord. Toutefois, l’heure était à la prudence et à la discrétion. Aussi elle le coupa :

— Non, Daniels. Je sais que tu veux passer en force mais c’est hors de question. À moins bien sûr que tu veuilles qu’on y passe tous…

— J’allais pas dire ça, Boss. Je me disais juste que la seule solution c’est de faire diversion.

L’ancienne militaire regarda Jack, circonspecte par la retenue qu’il affichait.

— Alors qu’est-ce que tu proposes ?
— Je vais prendre la navette et servir d’appât. répondit-il, l’air grave.

Stupéfaite par la dévotion de cet homme dont elle doutait légèrement de la loyauté quelques mois auparavant, Tiana fut catégorique :

— Non, Jack. C’est hors de question ! Je ne risquerai pas ta vie pour qui que ce soit ! On abandonne personne ici !

Le mercenaire croisa alors les bras sur son torse musclé :

— Alors, on fait quoi ?

Tandis que, sans la moindre réponse à cette question, Tiana soupirait, un bip fort et régulier résonna depuis la passerelle : il s’agissait d’une fréquence que Fry n'avait pas entendue depuis des années ; celle des forces Indépendantistes.

Reconnaissant ce signal, Tooms et Tiana se précipitèrent vers le cockpit et, surprise, la Capitaine enclencha un bouton sur son fauteuil.

— Allo ? À qui ai-je l’honneur de parler ?

— Salut Sergent. Ça faisait longtemps. répondit la voix d’un homme que Fry reconnut tout de suite juste avant qu’il n’apparaisse devant elle sous la forme d’un hologramme.

Il s’agissait d’un homme grand et plutôt svelte, au visage allongé et à la barbe bien taillée. Enveloppé dans son long manteau des Forces Indépendantistes, il semblait scruter l’âme de Fry. Ainsi était l’ancien Caporal Byron Larck qui était devenu le Capitaine d’un destroyer volé à l’Alliance et il l’avait repeint à ses couleurs. Depuis la fin de la Guerre, il travaillait comme “corsaire” pour de hauts dignitaires voulant opérer en dehors du cadre légal et souhaitant notamment faire protéger certaines cargaisons sensibles.

— Byron ? Qu'est-ce que tu fais là ?

— C’est Marlin qui m’envoie… Il m’a dit que tu allais peut-être avoir besoin d’aide.

Au nom de l'informateur, Tiana sourit : par un heureux coup du sort, il avait dû savoir où ils se dirigeaient et avait envoyé la cavalerie. L'ancien Sergent se remémora la dernière fois où elle avait vu le Capitaine du Peacemaker. C'était près d'un an et demi auparavant et Tiana lui avait sauvé la vie. En conséquence, Larck considérait avoir une dette envers l'ancienne militaire.

— Tu as besoin de quoi, Fry ? interrogea Larck.
— Il faut qu’on puisse passer dans la petite ouverture du bouclier planétaire.

— Bon, et tu as un plan ou on fait comme d'habitude ? demanda-t-il, étrangement jovial.

— Comme d'habitude, Byron. répondit Fry. On improvise !

À bord du Peacemaker, l’équipage de Larck s’activait sous les ordres de ce dernier. Contrairement à Tiana qui, à bord de son cargo, avait transformé son équipage en une véritable famille, l’ancien Caporal avait préféré une approche assez différente : malgré une distance parfois regrettable avec certains, il inspirait malgré tout à tous ceux sous ses ordres une loyauté sans faille que beaucoup, même pendant la Guerre, lui avaient toujours enviée.

Le Capitaine Larck s’était installé dans son fauteuil, positionné juste derrière celui de sa pilote, Zee, où il réfléchissait à un plan d’attaque. Ne voyant pas le Charon sur ses senseurs, cette dernière déclara :

— Alors c’est donc ça dont ton fameux Capitaine Fry est capable ? J’avoue que je suis impressionnée.

Zee était une humaine aux longs cheveux blonds et aux yeux bleus. C’était également l’unique femme à bord et la seule personne à tutoyer Byron, qui faisait de même. En réalité, c’était assez normal sachant qu’ils étaient ensemble depuis plus d’un an. Tandis que Larck posait une main sur l’épaule de sa compagne, cherchant un moyen de gagner un peu de temps pour permettre à Tiana de passer le blocus, un grand Obolien au teint mat fit son entrée sur le pont principal :

— Capitaine. Arsh demande ce qu’on doit faire.
— J’y réfléchis…

Soudain, un signal sonore retentit : l’un des vaisseaux de l’Alliance prenait contact avec la seule autre nef détectée dans le système. Byron ressentit presque instantanément une tension dans le bas de sa nuque ; puis, après avoir fait craquer son cou, il enclencha un bouton sur l’accoudoir de son fauteuil et la voix d’un officier de l’Alliance résonna dans les haut-parleurs de la passerelle :

— Vaisseau non-identifié, je suis le Commandant Marla Erkasen de la frégate de l’Alliance Salara. Vous êtes actuellement dans une zone non-autorisée. Faites demi-tour ou nous serons dans l’obligation de faire feu et de vous détruire.

En son for intérieur, Larck ricanait : il connaissait assez bien l’Alliance pour savoir que quoi qu’elle cachât ici, il était évident que si ce n’avait pas été compromettant, cela n’aurait pas été aussi bien gardé. De plus, il se doutait également que quoi que cela puisse être, ces vaisseaux n’allaient certainement pas les laisser s’en tirer. Perdu pour perdu, il prit alors une décision radicale :

— Fry, tu l’as entendue ? appela-t-il la Capitaine du Charon. Tu sais ce que ça veut dire ?
— Bien sûr, Larck. C’est pour ça qu’on doit passer.
— J’ai peut-être une idée alors… Mais après, ça sera silence radio.

Sur la passerelle du Peacemaker, Byron était plus que tendu. Ses mains commençaient à devenir moites et il se demandait vraiment si cela n’allait pas être son baroud d’honneur.

— Bon, mes amis, je crois qu’on a pas le choix… déclara-t-il. Omal, Arsh et vous, vous allez vous préparer à tirer sur cette frégate. Ça devrait les distraire le temps que le Charon passe entre eux. Et dites à Raelis de renforcer nos boucliers ! beugla-t-il.

Puis s’approchant à nouveau de Zee, il lui ordonna :

— Zee, dès qu'Omal aura fait feu, vire de bord et fonce. On doit pouvoir les distancer assez rapidement mais pas trop non plus de manière à desserrer leurs rangs. On peut pas échouer...

La jeune femme tourna alors son visage d'ange vers son compagnon et lui sourit :

— Tu ferais n'importe quoi pour elle, hein ? Je vais finir par être jalouse.

Le Capitaine soupira tandis qu’il se disait que payer sa dette auprès de Fry aurait peut-être un prix trop lourd.

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