Plus de trois mois. Cela avait été l’une des chasses les plus longues de toute sa carrière. Elle l’avait certes perdue sur cette planète-là, Yucan, où vivait une bande d’exilés mais son échec avait été des plus instructifs. Notamment par rapport aux faiblesses et aux capacités de sa proie.

Tout d’abord, la Capitaine Tiana Fry n’était pas quelqu’un de facilement impressionnable : même en ayant pris connaissance de son identité, l’ancien Sergent n’avait pas cédé. Pas plus que lorsqu’elle avait menacé son pilote et ses deux autres amis. De même, si l’on en croyait les dernières rumeurs qui couraient dans les bas-fonds de la galaxie, elle s’était livrée à l’Alliance pour sauver son équipage, un trait de caractère qu’elle avait espéré exploiter, sans succès.

C’est alors que la chasseuse avait localisé la jeune Capitaine jusque dans le quartier de haute sécurité de Sieran. Malheureusement, lorsqu’elle était enfin arrivée, l’entrée du complexe s’était retrouvée en phase dite “carbonisée”, l’obligeant à attendre et à revoir son plan d’attaque.

Fort heureusement, cette planète était catégorisée “Démon” et il était impossible d’y vivre en surface ; quant au complexe carcéral, il était impossible de s’en échapper : la chasseuse de primes n’avait donc pas besoin de se dépêcher. Dans un sens, attendre avait même été une sorte de bénédiction pour elle : l’arrivée d’un vaisseau Charognard avait détruit les défenses de la prison tandis qu’elle s’apprêtait à pénétrer dans la Fosse.

La jeune femme soupira. Décidément dans cette mission, rien n’était allé comme prévu. Fry était une combattante et si elle se retrouvait face aux Charognards, il y aurait de la casse. Or, Bradock avait spécifiquement ordonné de la ramener vivante et en un seul morceau, sort qui restait peu probable si jamais ces créatures mettaient la main sur la Capitaine avant elle.

Finalement, elle avait donc dû foncer à la suite des Charognards, masquant sa signature énergétique et s’introduire dans le complexe. La seule chose qui lui restait à faire, c’était de suivre prudemment les traces de sang provenant du massacre et éliminer toutes les créatures qui se dressaient entre sa cible et elle.

Mais Skye se disait que ce serait bien plus simple à dire qu’à faire.

* * *

Tiana et Max étaient dans de sales draps : devant eux se tenaient une demi-douzaine de Charognards plus enragés les uns que les autres. Le titre de horde de tueurs sanguinaires ne devait pas leur suffir car ces monstres étaient également des dévoreurs de chair fraîche. Leur état cauchemardesque allait de pair avec leur aspect : la plupart d’entre eux avait une forme humanoïde qui n’était qu’une pâle copie de l’apparence de leurs proies humaines et aliens. Ils étaient composés de plusieurs couches de tissus corporels sanguinolents formant une masse écoeurante. Seule leur bouche immonde, composée d’un unique trou noirâtre entouré par des crocs, était distinguable de l’empilement de chairs formant leur corps. Trou d’où jaillissaient des cris et des grognements à faire froid dans le dos ainsi qu’une certaine odeur de putréfaction.

— On est mal barré. déclara Fry, à mi-voix.
— Au contraire, ça va être génial ! Va y’avoir du sport ! s’écria Turan, pas le moins effrayé par les monstres.

Toutes les créatures cauchemardesques firent volte-face vers les deux hors-la-loi, et émirent des cris stridents.

— Allez, venez donc ! Je vous attends ! leur lança Turan, aucunement impressionné.

Les premiers Charognards se jetèrent sur l’homme qui, visiblement, n’attendait que ça. Le premier attaqua, frontalement. Il utilisa les deux masses dégoulinantes de sang qui lui servaient de bras, les enroulant autour de ceux, mécaniques, de Turan, pour paralyser son adversaire. Deux autres fonçaient droit vers les flancs du prisonnier, profitant que leur compère l’empêchât de bouger.

De son côté, Tiana s’était armée d’une barre à mine, ce qu’elle trouvait particulièrement dérisoire face aux monstruosités qui se trouvaient devant elle. Mais contrairement à Turan, dont elle ne partageait pas la force physique, Fry savait que, offensivement, elle n’aurait aucune chance d’en abattre un. Elle choisit alors une autre tactique, plus défensive : éviter de mourir. Elle commença à courir et utilisa le biseau de son arme pour essayer de sectionner en deux l’abdomen de l’un de ses adversaires tandis qu’elle glissait au sol. Puis Fry se releva près du corps sans vie mais encore chaud d’un garde dont elle prit le blaster qui pendait à sa ceinture. Elle ressentit alors un doux plaisir en retrouvant une arme dans sa main et commença à tirer sur les Charognards.

Voyant que la situation dans laquelle il était n’allait pas tarder à lui être fatale, Turan décida de se débarrasser rapidement du monstre qui l’immobilisait. Frôlant une morsure certaine en plein visage, il tira brusquement le monstre à lui et, avec une force presque surhumaine, le scinda en deux. La créature émit alors une longue plainte tandis que ses entrailles étaient mises à nues. Le prisonnier lâcha alors sa prise sur les deux énormes moitiés du Charognard qui, en tombant à même le sol, créèrent une immense mare de sang.

Turan s’était dit que devant un tel macabre spectacle, les monstres auraient au moins hésité avant d’attaquer. Mais pas les Charognards. Ceux-ci ne vivaient que pour se nourrir des autres. Deux de ces monstres s’apprêtaient à bondir sur Tiana tandis que les trois dernières créatures se jetaient sur la carcasse sanguinolente du Charognard décédé : l’horreur de ces créatures n’avait aucune limite car ils étaient par-dessus tout cannibales. Les trois monstres se mirent alors à grossir à mesure qu’ils mangeaient leur compagnon mort. Les crocs tranchants de ces monstres se débattaient avec la chair encore chaude et en arrachait de longs lambeaux gorgés de sang. C’en était si écoeurant bien que la Capitaine se retint de vomir.

Voyant sa partenaire en difficulté, Max attrapa entre ses doigts mécaniques la barre à mine que l’ancienne militaire tenait auparavant. Puis il la lança, transperçant l’un des deux Charognards. Mais l’attaque fut sans le moindre effet, la chair visqueuse du corps de la créature glissant au-delà du morceau de métal planté en elle.

Le hors-la-loi haussa un sourcil de stupeur tant il s’attendait à pouvoir au moins freiner les monstres dans leur course. Soudain, il cria en agitant les bras :

— Hey, les mochetés ! Par ici !

Les créatures qui en avaient après Tiana étant uniquement guidées par leur instinct, elles furent immédiatement attirées par les larges gestes de Max qui eut non pas deux, mais cinq monstres après lui.

Mais le pire était à venir : en effet, Tiana allait bientôt manquer de munitions pour ralentir leurs agresseurs, et d’autres sifflements caractéristiques, signe que de nouveaux Charognards allaient bientôt rejoindre ceux présents dans le bloc des gardiens, se firent entendre.

Revenant sur ses pas, Tiana entreprit de soulever la porte que Turan avait arrachée et essaya de la remettre en place. Elle comptait sur ses dernières munitions pour refermer l’ouverture qui donnait sur les profondeurs de la Fosse.

La Capitaine fit alors levier sur la plaque de métal et la coinça dans l’ouverture béante. Elle la maintint en équilibre avec le restant de l’un des grappins de leurs agresseurs et visa les jointures avec son blaster dans le but de les souder à l’encadrement.

— Fry ! s’écria, dans son dos, la voix de Max.

La jeune femme se retourna alors pour découvrir les cinq monstres qui les encerclaient. Alors que ces derniers se préparaient à les attaquer, Max échangea avec Tiana un regard plein de confiance et en même temps de regrets. Les deux compères étaient sur le point d’effectuer leur baroud d’honneur et peu leur importait s'ils y restaient. Au moins que ce soit en se battant. Le coeur gros, ils se mirent en position, prêts à se jeter dans la mêlée.

Mais avant même qu'ils aient pu agir, une pluie de tirs de blaster zébra la pièce, pulvérisant les quelques Charognards restants en quelques secondes.

Une jeune femme sortit alors de l'ombre et braqua son arme mortelle sur les deux hors-la-loi.

— Alors, Capitaine ? Tu croyais vraiment que tu m'échapperais ? lança une voix familière aux oreilles de Fry.

Il s’agissait de Skye, la chasseuse de primes. Celle qui avait été engagée par Elim Bradock après l’incident de Fair Heaven.

— Merde. jura Fry qui se disait que cette journée était de loin la pire de son existence.