CHAPITRE 25 : Max

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Après plusieurs longues minutes, Tiana posa enfin ses pieds sur le sol de la Fosse, composé d’une terre rougeâtre et poussiéreuse. Enfin, elle n’était plus suspendue par ses poignets qu’elle sentait endoloris par la tension. Elle regarda ses mains et y vit plusieurs abrasions sanguinolentes dues au frottement avec les menottes.

C'est alors qu'elle les entendit accourir, plus qu'elle ne les vit : des prisonniers tenaient à mater la nouvelle venue et imposer leur domination. Malheureusement pour eux, c’était également le plan de Fry qui comptait également sur cette attaque pour imposer le respect parmi les forçats. Les poings toujours reliés à la chaîne, la Capitaine se hissa à la force de ses bras. Elle attrapa ensuite le cou de l’un de ses assaillants entre ses cuisses et le brisa dans un craquement sec. Un autre la chargea, une masse à la main, et visa le crâne de l’ancien Sergent. Mais le coup ne porta pas et Tiana le frappa en plein plexus. La victime de Fry gémit en portant les mains à son thorax, sans pouvoir bouger, tandis que la Capitaine faisait un noeud coulant avec la chaîne et passait la nuque du prisonnier encore en vie dedans.

C’est ce moment que choisirent les gardes pour remonter ladite chaîne, ainsi que Fry et sa victime toujours accrochés. Voyant qu’elle allait être de nouveau suspendue, Tiana se mit en position et attendit le prochain assaut : deux autres types fonçaient droit sur elle. L'un d’eux tenait une sorte de pioche à la main et Tiana sut ce qu'elle avait à faire : elle attendit que son adversaire levât son arme, pour qu’une fraction de seconde plus tard elle tendit les bras au-dessus de sa tête. Le choc de l'arme brisa alors ses liens métalliques et rendit sa liberté de mouvement à l'ancienne militaire qui désarma le premier adversaire et planta la pioche dans la tête du deuxième. Les autres prisonniers furent tellement choqués qu'il s'arrêtèrent dans leur course et reculèrent, rendus prudents par la rage de la nouvelle venue.

Ayant pour seul arrière-plan sonore les cris étouffés du pendu dont le corps s’agitait de derniers soubresauts, Fry reprit profondément sa respiration. Elle fusilla ses potentiels adversaires du regard, sachant que dans un tel milieu, la seul loi en vigueur était celle du plus fort. Aussi lança-t-elle, sa voix résonnant dans toute la Fosse :

— Quelqu’un d’autre veut essayer ?

Voyant que personne ne semblait vouloir bouger, elle fit un pas en avant, provoquant la fuite de ses adversaires. Au loin, caché derrière les fumerolles de la mine et ses lunettes, un homme l’observait en souriant :

— Et bien. marmonna-t-il. En voilà une qu’il va pas falloir se mettre à dos.

Derrière lui, un gringalet lui chuchota quelques paroles à l’oreille et l’homme à lunettes l’attrapa par la gorge et le souleva de terre de l’un de ses bras robotisés :

— Écoute-moi bien. Celle-là est spéciale. gronda-t-il. Donc tu leur dis de la laisser tranquille s’ils veulent pas avoir affaire à moi. Dis leur que Turan la protège.

Terrifié par le colosse brun qu’était celui qui l’étranglait, l’avorton se contenta de hocher la tête, signifiant que le message allait être passé.

— Bien. ajouta la masse brune qui répondait au nom de Turan. Je vois qu’on est d’accord. Maintenant, tire-toi !

* * *

Les jours se ressemblaient dans la Fosse : les heures de coucher et de lever étaient uniquement régies par les sirènes signalant la fouille quotidienne et le lâcher des Xerefs. Ces animaux féroces étaient des bêtes quadrupèdes dont le cuir semblait dur comme du métal et dont la tête était hérissée de cornes recourbées remontant au-dessus des os du crâne. Mais le plus redoutable chez ces monstres étaient les crocs aiguisés qui semblaient pouvoir sectionner n’importe quel os. Il était évident que la vie des prisonniers n’importait que très peu aux maîtres de ces créatures.

En effet, depuis l’arrivée de Tiana dans la mine de Sieran, une demi-douzaine de pensionnaires avait déjà trouvé la mort, déchiquetés par les Xerefs. Sans compter les autres “disparus”, ceux qui avaient mystérieusement quitté leur cellule après le passage des gardiens. Ces mêmes moments où, parfois, ils tabassaient certains prisonniers considérés comme “récalcitrants”. Dans le meilleur des cas pour Tiana et les autres femmes, ils se limitaient à des attouchements, n’hésitant pas à leur faire pire si l’envie leur en prenait.

Le plus gênant pour Fry, c’était qu’elle avait commencé à s’habituer à ce genre de pratiques quotidiennes qui faisaient maintenant partie de sa vie de prisonnière. Peu à peu, elle perdait espoir qu’un jour elle pût sortir de cet enfer. Elle qui, pourtant, était si résiliente d’habitude était finalement devenue fragile et résignée.

Non.”, se dit-elle alors. “Il est hors de question que ça m’arrive.” en se relevant brusquement de sa paillasse.

La sirène du matin retentit à ses oreilles et Tiana se dirigea lentement vers le mur où elle avait commencé à graver une barre à chaque journée. Elle en était à quatre-vingt dix, et venait d’en ajouter une autre. Celle de la dernière journée où elle allait se laisser marcher dessus par les gardes.

Elle attendit patiemment que les gardes viennent enfin dans sa cellule pour leur fouille quotidienne. Quand la grille s’ouvrit enfin, une équipe de trois matons entra. Ils avaient l’air satisfaits de voir la jeune Capitaine à leur merci, comme les jours précédents.

— Tu connais la formule, n’est-ce pas ? lança l’un d’eux. Tourne-toi, face au mur !

Malgré ses récentes résolutions, Tiana s’exécuta et elle se pencha contre le mur. Elle sentit presque immédiatement un léger coup dans chacune de ses chevilles, lui faisant écarter les jambes. Elle sentit ensuite qu’on la palpait. Grossièrement d’abord, puis plus fermement quand les mains du surveillant qui la fouillait arrivèrent sur ses hanches. L’ayant déjà subi pendant près de trois mois, l’ancienne militaire savait pertinemment à quoi s’attendre. Elle en eut d’ailleurs la confirmation en entendant des ricanements suivis d’un bruit de fermeture-éclair. À l’idée qu’on abuse à nouveau d’elle, la mâchoire de Tiana se crispa et des larmes commencèrent à rouler sur ses joues. Comment avait-elle pu les laisser faire pendant tous ces jours ? Sa résignation face à un tel acte la dégoûtait. Elle se dégoûtait.

Le garde qui l’avait fouillée agrippa alors la chevelure bouclée de Tiana et jeta la Capitaine à terre. L’air goguenard, il s’approcha de la jeune femme et dégaina sa matraque :

— Je veux t’entendre me supplier d’arrêter. déclara-t-il en lançant son bras armé vers les côtes de Fry.

Cependant, l’ancien Sergent ne l’entendait pas de cette oreille. Aussi, elle attrapa la main de l’homme et, la bave aux lèvres, gronda :

— Plus jamais… Plus jamais tu me toucheras…

Elle se jeta en arrière, emportant avec elle le poignet de sa victime qui se rompit. L'autre criait sa douleur à pleins poumons tout en injuriant Fry. Celle-ci ne put s'empêcher de sourire tant la souffrance de son agresseur la libérait. Les deux autres gardes se regardèrent un instant avant de foncer droit sur Tiana qui reçut un coup de matraque en pleine tête. Alors chancelante, un autre coup dans l’abdomen lui coupa le souffle.

Bien évidemment, elle savait qu’au moindre petit signe de révolte de sa part, les gardes du pénitencier de Sieran n’allaient pas hésiter et la massacrer. Mais au moins, elle allait mourir dignement, au combat.

— Tu aurais dû te laisser faire, salope ! lança le garde au poignet cassé en se relevant. Mes potes vont te tuer !

Soudain, une voix caverneuse retentit par l’ouverture de la cellule :

— Je crois qu’elle aime pas qu’on la touche. déclara l’homme qui venait de faire son apparition.

Le garde blessé se retourna vers l’inconnu dont il ne voyait que la massive silhouette.

— T’es qui, toi ? demanda-t-il, avec un air de défi.
— Arrête, c’est Max Turan. l’informa l’un de ses deux collègues, apeuré par le colosse.

Le dernier garde s’empressa de lâcher sa prise sur Tiana et avança nonchalamment vers le dénommé Turan qui ne bougeait pas. Au contraire, il restait impassible, les bras croisés.

— Écoutez, les gars. Apparemment, vous êtes nouveaux alors je vais vous dire ce que je ferais si j’étais à votre place…

— Comme si ça nous intéressait ! le coupa l’autre. La seule règle qui existe ici, c’est que vous êtes en vie tant qu’on le veut bien. Et comme tu as pas compris, je vais te régler ton compte.

Le troisième surveillant se tourna vers ses collègues et les apostropha d’un clin d’oeil avant de brandir une perche électrique droit sur Max qui lâcha, presque désabusé :

— Tant pis... Je t’avais prévenu…

Le colosse agrippa brutalement le bras du garde et le brisa à l’aide d’une seule de ses mains robotiques avant de l’attraper par le crâne. Il serra encore jusqu’à ce que le cri d’horreur que poussait le surveillant se mûat en un craquement sonore. Celui résonna dans le couloir alors que le cadavre du garde tombait au sol, sans vie, la boîte crânienne éclatée.

Brusquement, la masse brune fit volte-face vers les deux autres gardes restants, notamment vers celui qui tenait encore Tiana par les cheveux, et gronda :

— Je vous conseille de prendre votre macchabée et de vous tirer vite fait d’ici.

Les deux intéressés s’enfuirent à toute vitesse, laissant les prisonniers seuls à seuls, en compagnie du cadavre. Max soupira un instant avant de s’approcher de Fry et lui tendre un bras mécanique et secourable.

— Désolé pour les morceaux de cervelle. s’excusa Turan en voyant la matière cérébrale gluante un peu partout sur ses membres robotisés. Moi, c’est Maxwell.

Mais Fry n’était en rien gênée par ça. Au contraire, elle était plutôt satisfaite de l’issue du combat. Aussi, elle agrippa le bras de Maxwell Turan et tira dessus pour se relever.

— T’inquiète pas. J’ai déjà vu pire. déclara-t-elle.

— J’imagine, vu ce que tu as fait à ton arrivée.
— Tu m’observais déjà ? ricana l’ancienne militaire en se dirigeant vers la dépouille du garde.

Elle se pencha alors dessus et la prit sur son épaule. Ce qui restait de la tête dégoulina alors sur son épaule ainsi que sur le sol, laissant une trace rougeâtre et nauséabonde sur ses vêtements. Puis la Capitaine lâcha le cadavre au bord du gouffre qui formait la Fosse, le laissant s’écraser loin d’elle, dans les profondeurs.

Derrière elle, Turan la regardait faire et lorsqu’elle se retourna, il put découvrir qu’elle souriait béatement, comme si elle avait été libérée d’un poids.

— Ça va mieux ? lui demanda-t-il.

Fry eut un petit rire alors qu’elle le regardait, adossé à la grille de sa cellule, en train de nettoyer ses lunettes qui avait été tachées par la matière cérébrale du surveillant.

— Tu es comme ça, toi ?
— Comment ça ?

— Tu écrases la boîte crânienne d’un homme et tu fais mine que tout va bien ?

Les lèvres de Turan s’élargirent en un franc sourire.

— Et toi, tu plantes une pioche dans la tête d’un inconnu sans te poser de questions, non ?
— J’ai fait ce qu’il fallait pour survivre. rétorqua-t-elle.

— Tout comme moi.

La jeune femme ne comprenant pas, elle haussa un sourcil interrogateur, tandis que Max Turan expliquait son geste.

— Crois pas que ce que j’ai fait là était sans le moindre intérêt pour moi. Je t’ai vu combattre et je veux que tu m’aides à m’échapper.

Malgré les explications du prisonnier, la Capitaine était toujours aussi perdue : pourquoi un tel colosse qui pouvait littéralement briser la nuque d’un homme d’une seule main avait besoin de l’aide d’une femme comme Fry ? Aussi, elle le lui demanda :

— Pourquoi moi ?
— Je t’ai vue combattre. répéta-t-il. Et puis, il y a ça. ajouta-t-il en lançant le manteau de Fry à sa propriétaire.

Cette dernière l’attrapa au vol et l’enfila, comme un signe qu’elle renaissait.

— Je connais cet emblème. C’est celui des Forces Indépendantistes. Et je sais qui tu es, Tiana Fry. Tu es pas la terroriste que l’Alliance veut faire croire.

— Et en quoi ça me concerne ?
— Disons que je considère ta survie comme étant un investissement à long terme. Ici, on est cerné par les ennemis en tout genre. Pour une fois, avoir un ami, ça serait pas de refus. répliqua-t-il en lui faisant un clin d’oeil.

La Capitaine était sidérée. Elle devrait sa survie presque uniquement à un caprice de cet homme, qui, comme par hasard, souhaitait s’échapper de cet enfer. C’était presque trop beau pour être vrai. Cependant, pour Fry, c’était également un pas en avant vers la liberté. Machinalement, elle avança sa main vers celle de Turan et la lui serra :

— Marché conclu alors, partenaire. lança-t-elle.

Soudain des cris et des tirs de blaster résonnèrent dans les couloirs. Une sirène retentit alors dans toute la prison : quelqu'un s'était introduit sur Sieran.

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