CHAPITRE 24 : Colonie pénitentiaire

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À bord du croiseur d’Atlan, le réveil de Tiana fut assez brusque : un garde venait de lui jeter un seau d’eau au visage.

— Allez ! Debout ! Sale raclure de terroriste ! beugla-t-il.

Fry ferma un oeil tant elle était désorientée. Elle essaya de se relever avant de se retrouver plaquée contre la grille de sa cellule. Elle remarqua alors qu’elle n’était pas seule dans cette pièce : d’autres cages étaient accolées à la sienne. Machinalement, l’ancien Sergent porta une main à sa tête et nota la présence d’une Bosse sur son front. C’était là où elle s’était cognée en s’écrasant lourdement sur la terrasse de Tiram.

Dans son malheur, la Capitaine était assez satisfaite. Après tout, elle était en vie et le plan que Sarina lui avait presque imposé avait fonctionné. En effet, les intentions d’Atlan avaient eu la chance d’être claires : tendre un piège au Charon et à son équipage, dans lequel Tiana tiendrait le rôle d’appât.

Fry ne put s’empêcher de rire tandis qu’une femme-soldat lui passait devant :

— Qu’est-ce qui te fait rire, sale traître ? beugla-t-elle.

La Capitaine ne pouvant contrôler son rire tant l’insulte ne la blessait aucunement, elle ne répondit pas et ne cessa de rire. Au contraire, celui-ci redoubla d’intensité devant l’air déconfit de la jeune femme en uniforme. Excédée, cette dernière sortit une matraque de son étui et ouvrit la porte de la cellule de Fry. Le soldat se jeta alors sur l’ancien Sergent et la roua de coups.

Par chance, Fry fut sauvée de la rage de son agresseur qui fut rapidement maîtrisée par deux de ses camarades. Aussi l’un d’eux lança :

— Inders ! Calme-toi ! Il les faut entiers, surtout celle-là ! Ordres du Commandant !
— Je m’en fous du Commandant ! beugla la dénommée Inders.
— Tais-toi donc, malheureuse. supplia l’autre soldat qui avait aidé à la maîtriser. Si jamais il t’entendait…

À moitié assommée et toujours hilare, Tiana releva la tête pour voir ses sauveurs emmener leur collègue loin de sa cellule dont ils avaient pris soin de verrouiller la porte. Tandis qu’elle reprenait difficilement son souffle, une voix caverneuse résonna derrière elle :

— Sérieusement, gamine ? T’es qui, bon sang ?
— Tiana Fry, du Charon. répondit-elle en se tournant vers le mystérieux homme qui se trouvait dans la cellule derrière elle.

Celui-ci sortit alors de la pénombre et fixa la jeune femme tandis que cette dernière le dévisageait : il s’agissait d’un alien dont elle ignorait la race. C’était un colosse humanoïde à écailles de reptile. Celles-ci formaient une épaisse cuirasse qui remontait des avant-bras jusque dans son dos. Sa tête était hérissée d’une rangée de longues épines qui lui descendaient le long de la colonne vertébrale, et de défenses, de part et d’autre de sa tête. Une profonde cicatrice lui barrait l’oeil, souvenir certain d’un combat.

— Et toi ? demanda Fry, un peu effrayée par la vision du monstre. Qui es-tu ?
— Mon nom est Mor’An. Un guerrier Sapkarien. Une race que vous, frêles humains, seriez même pas dignes de combattre.
— Je veux bien le croire… soupira la Capitaine, qui n’était vraiment pas assez en forme pour débattre.

En entendant la réponse de l’ancien Sergent, Mor’An se mit à rire à gorge déployée.

— C’est bien ce que je disais ! Vous ne cherchez même pas à vous défendre quand on vous défie. C’est pour ça que tu t’es retrouvée là, Tiana Fry !

— Tu as aucune idée de pourquoi je suis enfermée, Mor’An. Et je suis même sûre que ça t’échapperait totalement.

Intrigué, l’alien toisa Fry du fond de sa cellule et, relevant la tête, lança :

— Dis toujours...

— L’honneur et le sacrifice pour sa famille.

Les traits de Mor’An se durcirent alors qu’il entendait la réponse de la Capitaine qui comprit que ces deux valeurs avaient un sens pour le Sapkarien.

— Et toi ? Pourquoi tu es là ? demanda l’ancienne militaire.
— C’est une longue histoire. Mais pour faire simple, j’ai déserté.
— Déserté ? Pourtant, la Guerre est terminée.

L’alien eut un petit rire et ses écailles frémirent légèrement :

— La vôtre, celle qui a duré que quelques années ? C’est rien ça ! s’exclama-t-il. La nôtre dure depuis près de trois cents ans.

Tiana eut alors un regard ahuri tandis qu’elle se souvenait de la peine qu’avait pu subir des soldats pendant des affrontements de quatre ans. Alors que dire d’une guerre qui durait depuis près de trois cents longues années ? La Capitaine ne pouvait même pas l’imaginer. Elle pouvait cependant comprendre la désertion de Mor’An.

— Je comprends. J’imagine que j’aurais pas tenu non plus.
— C’est pas ça. Notre race vit pour le combat. Perdre des camarades lors des batailles, c’est courant. C’est lorsque ça touche la famille que là, ça a plus été possible.
— Comment ça ?
— Une bombe a explosé dans notre capitale. Et ma famille tuée. Ma femme et mon fils de trois mois.

Bien évidemment, Tiana compatissait avec le Sapkarien : elle avait connu ça, sauf que l’inverse s’était produit. C’était ce qui lui avait donné cette haine viscérale de l’Alliance.

Soudain, la porte de la pièce s’ouvrit avec fracas laissant passer un homme vêtu d’une armure noire. Tiana soupira et, sarcastique, lança à son voisin :

— Ça, c’est pour moi !

En effet, Atlan s’arrêta devant la cellule de Fry et fit signe à deux gardes de venir près de lui.

— Ouvrez ! J’ai quelques questions à lui poser.

L’une des deux sentinelles passa une carte devant la serrure de la porte et la grille s’ouvrit en grinçant. C’est alors qu’Atlan reprit :

— Capitaine Fry, puis-je m’attendre à ce que vous me suiviez sans faire d’histoires ?

La jeune femme haussa les épaules. Elle était déjà en train d’échafauder un plan pour s’enfuir. Elle songeait déjà à désarmer l’un des gardes et descendre l’autre. Malheureusement, il restait toujours Atlan.

— Capitaine… soupira le Commandant. Si vous souhaitez quitter ce vaisseau, ce sera à mes conditions et pas en essayant de vous échapper. Ce serait futile de votre part.

Fry poussa un soupir et accepta donc de suivre Atlan jusqu’à son bureau personnel, près de la passerelle du croiseur. L’un des officiers présents sur le pont principal s’approcha de son Commandant et le salua brièvement :

— Sergent Rhys, au rapport !
— Repos, Sergent. ordonna Atlan.

— Nous sommes suivis, Monsieur. Dois-je…

— Non, Sergent. Laissez faire. Je pense savoir de qui il s’agit.
— Bien, Monsieur.

Le jeune militaire jeta un coup d’oeil furtif à Tiana et repartit à son poste tandis que celle-ci suivait docilement Atlan. En entrant dans le bureau de ce dernier, elle vit une sorte de chaise sur laquelle était attachée Inders bâillonnée et totalement effrayée. Voyant entrer le Commandant de l’Alliance suivi de Fry, les yeux de la femme-soldat devinrent exorbités. Aussi surprise, Tiana demanda ce qu’il en était :

— Qu’est-ce que c’est que cette merde ?
— Pardon ? Ah, ça... répondit l’autre en désignant Inders. Ce n’est qu’un petit cadeau de ma part. Il faut dire que cette jeune femme a une tendance certaine à se révolter. Après tout, elle vous a battue, vous que je voulais sans le moindre heurt, et a osé défier mon autorité. Cela méritait amplement une punition.

Tiana remarqua alors de multiples lésions ainsi que des boursouflures sur le visage d’Inders. La jeune blonde était presque méconnaissable.

— Vous voyez, Soldat. déclara Atlan. Je vous avais expressément ordonné de ne pas faire de mal à mon invitée. La cage était une mesure standard mais pas la brutalité. Surtout que, nous le savons tous deux, Capitaine, vous ne craquerez pas sous la torture. C’est pour ça que je vous ai enlevée sur Demora. Parce que je sais que votre équipage est tellement dépendant de vous que jamais ils ne pourront se passer de vous. Donc il est presque certain qu’ils vont venir vous chercher.

La Capitaine soupira avant d’éclater de rire.

— Vous savez, mon vieux. Votre raisonnement serait superbe si c’était pas totalement faux. jubila-t-elle. Car, voyez-vous, j’avais avec moi un atout de taille. Un atout qui m’a permis de savoir exactement ce que vous alliez faire. Donc j’ai décidé de faire tout l’inverse et de me sacrifier pour les miens. Ainsi votre piège est devenu le mien. Vous avez perdu, Atlan.

Derrière son masque, Atlan poussa un cri de colère et brisa son bureau d’un seul coup de poing. Brusquement, il fit volte-face vers Inders qui reçut le sabre du Pisteur en plein coeur. Le Commandant venait de la tuer sans sourciller.

— Vous deux. grogna Atlan en s’adressant aux deux gardes qui les avaient accompagnés Tiana et lui jusque là. Remettez-la dans sa cage. Je déciderai de son sort plus tard.

Les deux soldats agrippèrent la jeune femme par les bras et la traînèrent hors de la pièce jusque dans la prison, plusieurs ponts en dessous. Arrivée dans la pièce, Tiana retrouva brutalement le sol de sa cellule ainsi que Mor’An, alors que les deux colosses la jetaient dans la cage.

— Laisse-moi deviner… Tu lui as pas donné ce qu’il voulait ? demanda le Sapkarien, un mince sourire sur les lèvres.
— Comment tu as deviné ? riposta Fry, sarcastique. Tu croyais quoi ? J’allais pas abandonner mon équipage comme ça. Et il a pas aimé que je le double.

Le colosse alien jaugea la Capitaine alors qu’elle se relevait :

— Tu es étrange, Tiana Fry. Je connais peu d’humains qui auraient été prêts à aller en enfer pour leur famille ou leur équipage. Mais toi, ça a l’air de te faire plaisir.

— Je fais partie d’une espèce rare, il faut croire. Et puis, tu parles d’enfer, mais qu’est-ce que tu entends par là ?

Une écaille au-dessus de l’oeil de l’alien se souleva, montrant sa surprise :

— Tu es pas au courant ? On va sur Sieran !
— La planète-prison ? Quoique je devrais pas vraiment être surprise vu qu’Atlan voudra certainement me faire souffrir. Quoi de mieux que de m’envoyer avec le pire de ce qui a pu être créé dans cette galaxie.

La jeune femme se mit alors à penser à son passé. À comment elle avait fait pour se retrouver ici. À Seilah qui serait effondrée en la voyant ainsi enfermée. Ou à Tooms qui serait encore plus inquiet qu’à l’habitude à cause de son manque de plan. Elle regrettait aussi de ne pas avoir le moindre gadget magique de Mei ou la capacité de Sarina à presque prévoir ce qui allait se passer. Alistair, lui, aurait peut-être marchandé son savoir-faire, tout comme Ethan. Seul Jack serait peut-être finalement resté dans cette même situation, enfermé et sans le moindre plan. Cette idée fit sourire intérieurement la Capitaine car elle remarquait à cet instant comment l’artilleur s’était adouci ces derniers temps, et commençait à entrevoir les raisons d’un tel changement.

Soudain, un claquement sourd annonça l’arrivée de quelqu’un dans la pièce : il s’agissait d’un soldat qui tenait une tablette entre ses mains. Mor’An déclara alors tout bas :

— C’est parti, il vont nous répartir selon notre niveau de sécurité.
— Comment ça ? Je croyais que Sieran était une prison de haute sécurité…

Le Sapkarien émit un rire grinçant tandis que Fry haussait un sourcil. Voyant que Fry ne comprenait pas sa réaction, l’alien s’expliqua :

— Ça, c’est parce que tu as uniquement entendu parler de la Fosse, le quartier de haute-sécurité. Mais ils ont plusieurs niveaux. Comme dans n’importe quelle autre colonie pénitentiaire.

— Et toi ? Tu vas aller où ?
— J’imagine qu’en me voyant tu as dû penser que j’avais fait un véritable massacre. Encore des préjugés dignes d’un humain… soupira-t-il quand Tiana hocha la tête. Non, moi, j’ai juste provoqué une bagarre dans un bar. J’ai tué personne !

Soudain, un bruit strident indiqua que les quelques cellules au niveau de celle de Fry allait s’ouvrir, laissant sortir leurs occupants. Sous bonne garde, la Capitaine se dirigea alors vers le garde muni de la mystérieuse tablette. Elle se retrouva rapidement dans une colonne composée de Mor’An, elle-même et de deux autres prisonniers qu’elle ne connaissait pas et qui se trouvaient à l’avant du groupe. Presque robotiquement, le garde lisait les différents noms sur la liste, indiquant également leur niveau de sécurité. Lorsque ce fut au tour du Sapkarien, il annonça :

— Mor’An, Sapkarien. Niveau : faible sécurité.

Puis, il accrocha un étrange objet sur l’épaisse armure que portait l’alien. Celui-ci tourna alors brièvement la tête vers Fry, et l’apostropha d’un sourire :

— Rendez-vous de l’autre côté, gamine.

Avant de disparaître dans un flash de lumière. Le Sapkarien, comme tous les autres prisonniers avant lui, venait d’être transporté vers la prison. Ce fut alors au tour de Tiana de passer devant le garde. Celui-ci annonça toujours aussi mécaniquement :

— Tiana Fry, Humaine. Niveau : haute sécurité.

Bien que peu surprise par la déclaration de cet homme qu’elle voyait mal, elle imaginait très bien qu’Atlan lui-même avait décidé de son sort et avait choisi de l'envoyer dans la Fosse, quoi que celle-ci ait pu être. On lui attacha également l’étrange objet sur la poitrine et Fry vit enfin de quoi il s’agissait : c’était un simple boîtier avec le logotype de l’Alliance.

Tiana se sentit alors toute bizarre. Comme si on la passait sous une douche froide. L'effet se dissipa au bout d'une trentaine de secondes et Tiana se retrouva dans une salle illuminée. Au vu du contraste entre la prison du croiseur et la lumière ambiante, Fry plissa les yeux avant de se faire boucher la vue par un colosse. Celui-ci lui agrippa les poignets pour les menotter. Il les accrocha ensuite à un énorme crochet magnétique qui pendait au-dessus d’elle, relié à une large chaîne en métal.

Tiana remarqua alors que le maton n’était pas tout seul lorsque l’un d’eux se tourna vers Fry et lança :

— Tiens, mais qu’est-ce qu’on a là ? Et ça vient avec un beau blaster en plus… ajouta-t-il en s’en emparant.

Le surveillant qui venait de parler commença à tourner autour de Fry, agitant le blaster de cette dernière, tel un prédateur jouant avec sa proie. Il fondit alors sur la Capitaine quand il vit l’écusson des Forces Indépendantistes brodé sur son manteau. Il agrippa la chevelure de Fry, l’obligeant à pencher la tête vers l’arrière. Mais l’ancien Sergent avait déjà craché à la figure du maton qui hurla :

— Sale raclure de terroriste ! Les autres vont t’adorer, tu peux me croire ! s’exclama-t-il en s’essuyant le visage.

Soudain, le sol se déroba sous les pieds de Fry, qui se retrouva vite dans le vide, pendue par les poignets. La Capitaine se débattit pour regarder autour d’elle et lança un regard noir à l’un des gardes qui pianotait sur sa console. Le surveillant qui l’avait insultée déclara, se moquant presque :

— Tu devrais pas trop bouger ! Ça serait bête que tu meures en tombant…

L’ancienne militaire baissa alors les yeux vers la Fosse et nota qu’elle descendait loin en-dessous d’elle. Fry se sentit alors descendre, lentement, dans les tréfonds de la prison qu’était Sieran. Mètre par mètre, tandis qu’elle entendait un bruit régulier qu’elle reconnut facilement : celui d’un bout de métal sur lequel on tapait. Pas de doute, les autres prisonniers signalaient au reste de la Fosse l'arrivée d'un nouveau pensionnaire.

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