CHAPITRE 20 : Symbiose

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Mei courait à travers les longs couloirs du Charon, prenant appui dans les virages sur les parois métalliques des corridors afin de ne pas perdre de vitesse. Il fallait dire aussi que la situation était urgente : l’esprit de Sarina n’allait pas perdurer très longtemps dans son enveloppe synthétique inactive. À sa suite, Seilah avait du mal à suivre la course folle de l’Azrienne qui était nettement plus agile que son amie. Voyant que cette dernière ne pouvait la suivre, Mei lança alors :

— Ce n’est pas grave si tu ne peux pas suivre ! Je vais juste foncer : Sarina n’a plus beaucoup de temps !

Seilah s’arrêta donc un moment, s’appuya lourdement contre l’un des murs métalliques et reprit difficilement son souffle. Puis, avec un sourire, elle songea à quel point elle était fière de la mécanicienne et de son évolution depuis son arrivée à bord du Charon.

À l’époque, le vaisseau s’était posé sur Obol, et c’était Tiana qui avait trouvé la jeune alien en train de voler des pièces détachées. Ce jour-là, Mei avait pris la Capitaine de haut et s’était moquée de l’état du vaisseau alors délabré. Fry avait donc décidé de la mettre à l’épreuve : un défi qui se solderait soit par une place à bord si elle réussissait, soit par la remise de la jeune femme aux autorités en cas d’échec. Il était évident que le petit génie de la mécanique qu’était Mei avait réussi le défi et gagné sa place à bord.

— Alors ? Tu rêves ? s’exclama la voix rauque de Daniels.

Seilah sursauta et porta une main à son coeur. Elle discerna les traits de l’artilleur caché dans l’ombre. L’alien s’approcha de lui et sentit des effluves alcoolisées.

— Tu as bu ? demanda-t-elle, se doutant de la réponse.

— Même pas… répondit-il sarcastique, tout en tendant la main devant lui.

Seilah tourna alors la tête pour voir des bris de verre éclairés par la faible luminosité des couloirs adjacents. Elle comprit ce qu’il venait de se passer : Jack venait de jeter ses dernières réserves d’alcool à même le sol. La jeune femme haussa alors un sourcil tant une telle attitude chez l’ancien mercenaire était déconcertante. Ce dernier était pourtant du genre à ne pas laisser la moindre goutte de ces breuvages se gâcher. Mais là, il les avait détruits sans la moindre hésitation et Seilah sentait que la cause d’un tel revirement était loin d’être aussi simple que ce que l’on pouvait dire de l’artilleur :

— Tu veux en parler ? demanda-t-elle, consciente que le côté taciturne de Jack allait certainement prendre le dessus.

— Parler de quoi ? Du fait que j’ai détruit mes plus belles bouteilles d’hydromel provenant droit de Tyracus IV ? Ou qu’à cause d’elles, j’ai pas pu protéger l’une des nôtres ?
— C’est ça qui te chagrine tant ? De ne pas avoir pu protéger Sarina ?

Daniels hocha la tête sans rien dire. Mais Seilah savait qu’il y avait autre chose et elle était presque certaine de savoir de quoi il s’agissait :

— Je peux t’assurer que tout le monde fait son maximum pour la remettre sur pied. Crois-moi, nous avons les meilleurs avec nous...

Les “meilleurs” se préparaient justement à transférer la conscience de Sarina depuis son corps mécanique jusque dans le bloc-mémoire que Mei avait retiré temporairement de l’ordinateur central du vaisseau. La jeune Azrienne s’était empressée de poser le prisme hexagonal sur l’un des meubles et de le relier à la batterie. Puis elle déroula le long câble électrique qu’elle portait. Elle en brancha une extrémité dans l’un des ports du bloc-mémoire et s’empara de l’autre bout. Malheureusement, elle ne trouva pas ce qu’elle cherchait. Sans un mot, Alistair pointa l’arrière de la nuque de la Synthétique. Il enfila une nouvelle paire de gants chirurgicaux et entreprit de découper la peau de Sarina, dévoilant le connecteur.

La mécanicienne passa alors une main dans son sempiternel sac : elle y rangeait des gadgets de toutes sortes, tous de sa propre fabrication, et elle en relia un au bloc. Il s’agissait d’une sorte de tablette sur laquelle étaient inscrites des informations que seule sa créatrice pouvait comprendre tant elles étaient complexes. Mei pianota plusieurs fois dessus et, après quelques minutes seulement, elle s’écria joyeusement :

— Ça y est ! J’ai réussi à l’extraire de son cerveau robotique !

— Déjà ? demanda Tiana, également présente et étonnée.
— Et bien… Tu m’as dit de le faire alors…

La Capitaine regarda sa mécanicienne avec tendresse avant de lui indiquer la sortie d’un signe de la main :

— Allez ! Fonce ! ajouta-t-elle.

La jeune alien ne se fit pas prier, débrancha le bloc et s’élança dans le couloir avant de se précipiter en direction de la salle des machines. Pendant ce temps, Tiana s’était retournée vers Alistair qui remarqua tout de suite que quelque chose n’allait pas : Fry avait le visage fermé et il était évident qu’elle était tendue. Aussi la devança-t-il :

— Il y a quelque chose qui vous chiffonne, n’est-ce-pas, ma chère ?
— En effet, et je pense que vous seul pouvez m’aider à y voir plus clair.

Le médecin haussa un sourcil interrogateur, se demandant ce que la Capitaine entendait par là :

— Si je peux vous aider, Capitaine, je le ferai.

La Capitaine inspira profondément : c’était comme si elle redoutait qu’énoncer ses craintes ne les réalise :

— Doc, j’ai besoin que vous me disiez tout ce que vous savez sur ce qu’est Sarina, et si je dois m’attendre à voir débarquer Atlan encore une fois. Je l’ai sous-estimé une fois et je compte pas faire à nouveau la même erreur.

Le médecin soupira et s’installa sur la seule chaise disponible. Il semblait porter tout le poids du monde sur ses épaules.

— Pour ce qui est de Sarina, je pourrais vous donner quelques informations pertinentes mais, malheureusement, il y a ici beaucoup d’inconnues. Je ne pense pas pouvoir faire grand chose de plus que supposer.
— Dans ce cas, supposez, mais bien. répliqua Fry.

Alistair sourit à l’ancien Sergent qui avait l’air à bout de patience et se lança dans ses explications :

— Pour commencer, Sarina est un vrai travail d’orfèvre. Je n’ai jamais vu autant de matériel aussi sophistiqué dans un seul Synthétique.
— Et donc ?
— Et donc, cela ne peut signifier qu’une seule chose : les Services Secrets de l’Alliance sont impliqués. Et vous pouvez me croire quand je vous assure que vous ne souhaitez pas qu’ils le soient.

La jeune femme se pinça l’arête du nez tout en fermant les yeux, signe que c’était encore pire que ce qu’elle pensait. De but en blanc, elle demanda :

— Et ce type-là, Atlan, il en fait partie ?
— Je n’en suis pas certain. Je dirais plus qu’il appartient à un groupe ayant encore plus d’autorité que les Services Secrets. Un groupe secret dont on n’a jamais entendu que des rumeurs : les Pisteurs.
— Les Pisteurs ? Des genres de chasseurs ?
— Des chasseurs oui, mais loyaux à Stokes et son Alliance. Et implacables. On les envoie souvent pour retrouver une personne à risque ou un objet dont l’Alliance veut s’emparer.

Malgré toute sa détermination et son courage, Tiana ne put retenir un hoquet de stupeur tant elle n’imaginait pas qu’un tel être ait pu exister. Alistair lui-même semblait effrayé. En effet, en tant qu’ancien membre des forces armées de l’Alliance, il pourrait être considéré par Atlan comme un traître et donc exécuté comme tel.

L’ancien Sergent désigna le corps inerte de Sarina, toujours allongé sur la paillasse et demanda :

— Et pour cette possession ? Vous pensez qu’il pourra recommencer ?
— Compte tenu du fait que l’enveloppe de Sarina est actuellement désactivée, je ne le crois pas. Et si cela avait été le cas, je pense qu’il aurait déjà recommencé. Cependant, j’ignore ce qu’il en sera lorsque nous ré-intégrerons la conscience de notre amie dans son corps…

La Capitaine ricana en entendant le médecin annoncer cela avec autant de simplicité.

— Parce que vous pensez que c’est une bonne idée ?
— Je pense surtout que c’est la seule que nous ayons. Mais après, loin de moi l’idée de vous dicter votre conduite.

Fry sourit alors en songeant à toutes les fois où le bon Docteur avait presque imposé ses conditions. Certes, il n’avait agi que dans l’intérêt collectif, mais ses propos frôlaient l’ironie.

— De plus. ajouta-t-il. Cela nous permettrait peut-être d’en savoir plus sur les plans de nos ennemis, ne croyez-vous pas ?

Le visage du médecin s’était élargi en un franc sourire que Tiana ne lui avait jamais vu. Il semblait tendu et excité en même temps à l’idée de faire mal à l’Alliance dans son ensemble. Il affichait là une détermination que Tiana ne lui avait jamais vue et qui la ravissait.

— En effet, Doc. Je suis bien contente que nous soyons du même avis.

Soudain, tout l’éclairage autour d’eux se mit à vaciller, plongeant quelques instants les deux amis dans le noir. La Capitaine haussa les épaules alors que la lumière se rétablissait :

— Ce doit être Mei qui rebranche le bloc-mémoire à l’ordinateur central…

En effet, la jeune Azrienne venait de répéter la manoeuvre qu’elle avait précédemment demandée à Seilah. La jeune femme avait rapidement rebranché le bloc-mémoire et, comme à son habitude, se balançait, s’agrippant aux différents tuyaux, pour passer d’une extrémité de la salle à l’autre. Alors que toutes les lumières s’étaient de nouveau rallumées, Mei soupira de soulagement en voyant qu’aucune alarme ne s’était déclenchée.

* * *

Où suis-je ?”

C’était ce que se demandait Sarina en reprenant conscience. En effet, rien de ce qu’elle pouvait discerner autour d’elle ne lui était familier. Où qu’elle regardât, elle ne voyait que des points lumineux, comme des étoiles, laissant derrière eux une mince traînée qui disparaissait à mesure que la source étincelante s’éloignait. Remarquant qu’elles se dirigeaient toutes dans la même direction, la jeune femme décida de les suivre. Elle essaya de faire un pas en avant, mais constata avec horreur qu’elle ne sentait pas ses jambes. Elle essaya de se regarder pour noter avec horreur qu’elle en était incapable. Le plus étrange était qu’elle avançait, comme si elle n’était plus qu’une sorte d’aura spirituelle sans le moindre corps.

Soudain, alors qu’elle s’approchait de sa destination, la jeune femme fut éblouie quelques instants avant de découvrir une chose à laquelle elle ne s’attendait pas : elle voyait toutes les pièces du Charon en même temps. La passerelle, où Tooms s’était enfermé dans le travail ; la salle des machines où Mei enfonçait un étrange prisme hexagonal dans la mosaïque murale qui composait l’ordinateur central ; ou encore l’infirmerie où elle fut choquée de voir Alistair et Tiana en pleine discussion ainsi que son corps sur une paillasse. Mais ce corps était différent. En effet, là où le cuir chevelu était entaillé, elle aurait dû voir de l’os. Pourtant, ce qu’elle discernait était luisant, comme du métal.

Bien que la question de l’existence d’une copie robotique de son corps la taraudât, Sarina était perplexe par rapport à un autre point : pourquoi voyait-elle chacune des pièces depuis une position haute ? Bien que peu croyante en l’Au-Delà, elle ne songea qu’à une seule explication possible : elle était morte.

Pensant que s’en était terminé d’elle, Sarina entendit la voix de Mei :

— Je sais ma grande. Ça va te faire un peu de compagnie mais je suis sûre que vous allez bien vous entendre. Après tout, c’est Sarina que j’ai branchée avec toi.

De la compagnie ? Mais de quoi parlait-elle ?

* * *

Dans la salle des machines, Mei caressait doucement la paroi du Charon. Elle sentait le doux ronronnement des moteurs se propager dans les parois métalliques du vaisseau. Ce contact avec celle qu’elle considérait comme sa propre fille l’apaisait. Cependant, cela ne suffit pas à l’empêcher de sursauter lorsqu’elle entendit une voix familière :

— Mei, qu’entendais-tu par “un peu de compagnie” ? demanda Sarina.

La jeune alien regarda autour d'elle et ne vit personne. Elle pensa alors avoir rêvé. Elle se dirigea alors vers l'unique sortie, pour aller faire son rapport, quand elle se fit arrêter de nouveau :

— C’est très vexant de se faire ignorer, tu sais…
— Sarina ? Mais où es-tu ? interrogea la mécanicienne.
— Plus haut !

Mei leva alors les yeux pour voir l’unique caméra de surveillance de la pièce et comprit : la conscience informatique s’était parfaitement couplée aux systèmes du Charon. Cela permettait, entre autres, à la jeune femme d’utiliser les différents systèmes du cargo comme ses propres sens.

— Tu as réussi à t’intégrer aux systèmes du vaisseau ? Mais c’est juste… Fantastique ! s’extasia la jeune Azrienne.

Cependant, Sarina n’était pas autant ravie. Elle était totalement incrédule :

— De quoi parles-tu ?

— Et bien… hésita la mécanicienne. Tu es…
— Morte, c’est ça ?

La jeune Azrienne ouvrit des yeux ronds en entendant une telle question puis comprit : la Synthétique n’avait pas conscience de sa propre nature.

— Non, pas du tout. En fait, le fait est que tu n’es pas humaine et que ton esprit est simplement dissocié de ton corps.

Sarina en tombait des nues. Pire encore, elle paniquait :

— Comment ça ? Qu’est-ce que je suis alors ? Un robot ?

Une fluctuation momentanée dans la plupart des systèmes principaux du vaisseau inquiéta l’intégralité de l’équipage. Si bien que Mei reçut rapidement un appel de Tooms :

— Gamine ! C’est quoi ces pertes de puissance ?
— Désolée. Je crois que Sarina est tellement en symbiose avec le Charon que…

— Que quoi ? interrompit Tiana. Qu’elle va prendre le contrôle du vaisseau !?

Mei inspira profondément avant de se tourner vers l’objectif de la caméra qui surplombait la salle des machines.

— Écoute, Sarina. Tes émotions influent directement sur les systèmes du vaisseau...

Mais la conscience informatique de la jeune femme refusait de croire de telles allégations : elle était humaine.

— C’est n’importe quoi ! Je suis humaine ! s’écria-t-elle, tandis que des alarmes commençaient à annoncer la surchauffe de l’ordinateur central.

Mei était perdue tant le bruit environnant l’abrutissait. N’en pouvant plus, elle s’aplatit sur le sol et plaqua ses mains griffues sur ses oreilles. Elle vit alors une ombre passer devant elle : il s’agissait de Daniels qui était venu l'épauler en cas de problème. Quand il vit la situation, il s'empara d'un pulvérisateur à azote liquide et projeta ledit liquide sur les blocs de l’ordinateur central. Le résultat : un nuage de gaz qui se déversa dans la pièce et l’unique couloir qui menait à la salle des machines.

Quand Mei retira enfin ses mains de sur ses oreilles, la seule chose qu’elle entendit fut un silence uniquement coupé par le craquement que faisait la glace produite par l’azote sur les blocs-mémoire. Le bruit métallique du pulvérisateur qui tombait au sol attira brusquement son attention.

— Merci Jack. Mais qu’est-ce que tu fais là ?
— Tu avais besoin d’aide, non ? Donc je suis venu… pour t’aider... répondit-il, gêné.

Mei n'insista pas. Elle savait pertinemment que Daniels était assez peu loquace quant aux raisons de ses actions si bien que beaucoup pensaient qu’il n’en avait aucune. Pourtant, elle savait que pour l’artilleur, il s’agissait en réalité d’une carapace protectrice plus que de sa véritable nature.

Alors que ce dernier disparaissait dans les couloirs du Charon sans dire un mot, la mécanicienne tenta de communiquer avec Sarina. Mais rien ne lui parvint. L'intelligence artificielle qui était maintenant en symbiose avec les systèmes principaux du Charon était devenue silencieuse.

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