CHAPITRE 16 : Décisions

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Seilah avait mené sa compagne jusque dans leurs quartiers et comme elle s’y attendait, la descente de l’échelle qui plongeait dans les profondeurs du vaisseau avait été des plus pénibles. Cependant, la jeune alien savait que sa compagne était entêtée et que rien ne pouvait la faire changer d’avis. Afin de supporter la douleur, selon elle, il lui fallait l’apprivoiser jusqu’à ne plus sentir sa présence. Ainsi, malgré la possibilité que ses blessures s’aggravent, Tiana avait tenu à se reposer dans leur cabine, qu’elles trouvèrent dans un colossal désordre :

— Franchement, il va falloir qu’on range tout ça. soupira Tiana, tant épuisée par l’effort qui lui avait permis d’arriver jusque là que par l’idée même de devoir ordonner leur nid d’amour.

Seilah pouffa de rire alors qu’elle commençait à enlever la plupart des vêtements qui traînaient sur le lit qui trônait en face d’elles.

— Tu devais bien t’y attendre… Nous sommes très similaires sur ce point là. répondit-elle, un sourire malicieux sur les lèvres et déposant la paquet de linge sur un fauteuil à proximité.

Tiana ne prit même pas le temps de formuler quoi que ce soit. Elle se contenta de contourner le lit et de se dévêtir presque entièrement avant de s’y allonger. Le moelleux du matelas épousa parfaitement la forme de son dos nu et l’empêcha de souffrir horriblement. La Capitaine ferma les yeux un instant et entreprit de ne pas bouger d’un cil. Malheureusement, compte tenu de son caractère, c’était peine perdue : Tiana Fry était sans arrêt en train de bouger et chaque imperceptible mouvement de son corps lui arrachait une gémissement qu’elle essayait de cacher, sans succès, à sa compagne.

— Je t’avais dit que tu n’aurais pas dû descendre ici. Tu aurais mieux fait de rester à l’infirmerie… râla cette dernière.

— J’ai pas le temps de m’apitoyer sur mon sort et de m’occuper de mes petits problèmes. J’ai une décision à prendre et je sais pas quoi choisir…

En effet, Tiana n’avait que deux alternatives possibles : la première était de foncer droit vers la “capitale” de la Bordure, la planète Obol, vers laquelle ils étaient supposés se diriger originellement ; la seconde était de faire le détour demandé par Marlin pour déposer les caisses embarquées sur Gamma Hydra III.

N’ayant aucune réponse, Fry se tourna donc vers celle qui s’était installée près d’elle et la regarda longuement. Pour ceux qui connaissaient personnellement Seilah, sa manie de vouloir prendre soin des autres était significatif d’un désir de reporter ce qui serait pourtant inévitable : la jeune alien devrait expliquer ses propres problèmes et la raison de sa peur panique de leur destination.

Malheureusement pour Tiana, Seilah devait avoir deviné les pensées de sa compagne, car déjà elle s’était refermée sur elle-même :

— Tu sais qu’il faudra bien que tu me parles, n’est-ce-pas ? s’exclama Tiana dans un souffle.

La jeune alien se contenta de hausser les épaules et quitta la pièce, laissant Fry seule à méditer sur la décision qu’elle devrait prendre. Afin d’avoir les idées plus claires, elle partit dans le cabinet de toilette, bien décidée à prendre une douche brûlante. Malheureusement pour elle, il allait d’abord devoir passer par le douloureux retrait du bandage qui lui compressait le torse. Elle le déroula progressivement, serrant les dents à chacun des élancements que lui provoquait sa côte cassée. Ce n’est qu’une fois cette étape passée que Tiana put enfin ouvrir le robinet de la douche et qu’elle put sentir l’eau ruisseler sur sa peau marbrée par les stigmates de la Guerre : plusieurs cicatrices issues d’éclats d’obus et d’explosifs avaient fait de la chair de la Capitaine une surface aussi meurtrie que les champs de bataille que Fry avait arpenté. On pouvait également y voir des marques plus anciennes qui dataient de sa jeunesse dans la pègre.

Elle porta péniblement ses mains sur son front et les passa sur son crâne, lissant ses cheveux bouclés alors que l’eau les collait par mèches. Elle expira aussi profondément que possible et essaya de se détendre… sans succès. Elle termina alors rapidement ses ablutions en évitant de trop se plier et chercha dans le capharnaüm qu’était la cabine des vêtements propres. Elle s’habilla sans oublier de rattacher le holster contenant son blaster à sa ceinture et entreprit de remonter à l’échelle. Elle fut accueillie par Alistair qui avait les sourcils froncés :

— Capitaine, je ne peux pas croire que vous ayez fait ça…
— Quoi donc, Doc ?
— Vous torturer le corps ainsi. Je vous avais préconisé du repos. Vous devez souffrir le martyr…
— Croyez-moi, Doc, la douleur et moi sommes de vieilles connaissances… Vous inquiétez pas.

Les lèvres du médecin s’élargirent un léger sourire, celui d’un homme qui n’en était pas à son premier “patient terrible”.

— À moins que ce soit un ordre, ma chère, vous savez très bien que je ne peux pas… Par ailleurs, je suis assez inquiet pour l’une de nos amies communes…
— Qui ça ? demanda sèchement Fry, qui se doutait déjà de qui le médecin voulait parler.

Le médecin ne répondit pas tout de suite, hésitant, puis prit son courage à deux mains :

— Votre compagne. Seilah. Je crois qu’elle est très perturbée…
— Écoutez, Doc. Je sais qu’elle va pas bien et je pourrais peut-être faire quelque chose si elle me repoussait pas à chaque fois.

Agacée par la tournure que prenait la discussion, Tiana inspira aussi profondément que possible et continua :

— Al’, je comprends vos inquiétudes mais pour l’instant il y a plus urgent.

La jeune femme tourna alors les talons pour se rendre sur la passerelle où elle trouva Ash Tooms. Celui-ci était posté devant sa console et, comme à son habitude, déchargeait sa colère et son stress dans le travail.

— Tooms ! dit Fry, faisant sursauter son interlocuteur. Tu aurais deux minutes ? Il faut qu'on parle.

Le pilote maugréa quelque chose d’inintelligible, signe qu’il ne voulait pas être dérangé et il n'avait aucune envie de discuter. Puis, voyant que Tiana ne partait pas, il daigna se retourner pour découvrir sa Capitaine, les bras croisés sur son torse.

— Quoi ? s’exclama-t-il. Tu vas me regarder comme ça longtemps ?
— Aussi longtemps que j’en aurai envie… C’est-à-dire jusqu’à ce qu’on ait parlé…

Tooms soupira et secoua la tête.

— T’es vraiment une tête de mule…
— Comme si je pouvais pas en dire autant de toi ! rigola Fry en voyant que son pilote se décrispait enfin.

La répartie de sa supérieure fit sourire Tooms qui se retourna un moment vers sa console pour mettre en marche le pilote automatique. Puis il pivota de nouveau vers Tiana :

— Boss, qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

— Tu te doutes bien de quoi je veux parler… J’ai besoin de l’avis de la seule personne encore plus concernée par les événements que moi.

Le timonier pouffa nerveusement, sans pour autant dire quoi que ce soit de plus. Il savait bien que Tiana viendrait le voir mais il n’avait pas la moindre idée de comment se sortir de cette situation.

— Tooms ! réitéra Fry, soucieuse. J'ai besoin de toi pour prendre cette décision et toi seul peut m'aider. Alors parle-moi…
— Tu veux que je te dise quoi ? Ils nous ont menti, Tiana ! Ethan ET Sarina ! Mais est-ce que c’est une raison pour les débarquer sur la première planète qu'on va croiser ? J’en sais rien… Je suis juste furieux de voir que, depuis qu'ils sont là, on a que des problèmes en cascade et que je sais même pas si je peux faire confiance à ma propre famille...

Fry ne savait quoi dire pour le rassurer. Depuis la formation de l’équipage peu orthodoxe qu’était celui du Charon, jamais il n’y avait eu de trahisons ni de coup bas. Parfois, il y avait eu des mésententes et des bagarres, mais jamais rien qui aurait pu dessouder les liens qui s’étaient formés autour du duo que formaient Tiana et Tooms. Là, c’était totalement différent, et l’un comme l’autre le savaient. Cependant, la Capitaine trouvait que son pilote exagérait : il était vrai que tout avait commencé le jour où Ethan, Sarina et Alistair s’étaient retrouvés à bord ; néanmoins, le problème qui s’était produit à Fair Heaven n’était en rien de leur faute, ni ce qui en découlait directement.

— Écoute, je veux pas minimiser les cachotteries de ton demi-frère. Mais... Tu sais que des problèmes, on en aurait eu quand même, surtout avec Skye qui nous traque depuis Fair Heaven. Bradock l’a envoyé après moi.

— Bradock ? Comment ? Il a été arrêté…
— Aucune idée, mais il est influent… soupira Tiana en prenant place à côté de son timonier. Et puis, je pense pas que l'Alliance nous pourchasse... En tout cas, pas simplement pour récupérer un petit malfrat comme Ethan.
— Pourtant il a volé la Lux. C’est pas rien. Et si c’est pas pour ça, ça serait pour quoi ? Tu penses qu’il nous a pas tout dit ?
— J’en sais rien. En fait, je me dis qu’il doit y avoir autre chose et que lui aussi ignore ce que c’est.

Tooms reposa sa tête contre le dossier de la chaise sur laquelle il était affalé. Il scrutait les centaines d’étoiles à travers la verrière du cockpit. Habituellement, un tel spectacle lui permettait de réfléchir. Mais là, pas la moindre issue ne semblait se profiler à l’horizon. Le timonier, agacé par ce manque total de résultat, tourna la tête vers sa Capitaine qui était dans le même état de contemplation.

— Alors, Boss. On va faire quoi ?

Tiana se concentra quelques instants avant de répondre : après tout, les deux membres de la famille Rem ne semblaient pas être de mauvaises personnes. Certes, Ethan était un voleur et un menteur, mais tout comme la Capitaine, il s’était attaqué à l’Alliance et ses partenaires. Quant à Sarina, elle semblait être la bonté incarnée et rien ne laissait présager qu'ils étaient mauvais. Fry donna alors ses conclusions à son pilote :

— Je pense qu’on a qu’une seule chose à faire : on fait notre boulot…
— Et le saboteur ? la coupa Tooms, anxieux.
— On déposera les trois passagers sur Obol après et on les reverra plus… Ça devrait nous laisser assez de temps pour trouver ce fameux saboteur et l’enfermer.

Soudain, la voix rocailleuse de Daniels résonna dans l’habitacle : il avait l’air plus stressé que d’ordinaire.

— Boss ! Viens vite dans le mess ! On a un problème !

Réprimant sa douleur, la Capitaine dévala les quelques mètres séparant la passerelle de la pièce servant pour la prise des repas. Elle était suivie de près par Tooms, dont elle sentait la respiration saccadée teintée d’un parfum de frayeur. Et bien qu’elle le cachât, Fry partageait ce sentiment, mêlé à un agacement. Cependant, cette émotion fit rapidement place à une autre : la surprise de voir Sarina au milieu de la pièce, pointant une arme de petit calibre sur Jack.

Ses longs cheveux bruns étaient dans un désordre le plus total, couvrant la moitié de son visage. Comme si elle était devenue une toute autre personne. Au départ, Tiana crut que la jeune femme était peut-être désorientée ou qu’elle hallucinait, ne faisant pas la différence entre ses ennemis et ses amis. Elle était agitée et ne semblait pas consciente du danger qu’elle représentait, luttant intérieurement et hurlant. Plusieurs fois en quelques instants Sarina prit sa tête entre ses mains, comme si une douleur fulgurante et intense lui déchirait le cerveau.

Mais il était évident qu’il s’agissait d’autre chose : en effet, à d’autres moments assez courts, les membres de Sarina ne tremblaient pas le moins du monde, laissant place à une tranquillité presque dérangeante. C’était également à ces moments-là que le visage de la jeune femme changeait du tout au tout : celui-ci arborait alors un sourire sadique qui ne correspondait pas du tout au caractère agréable de la demi-soeur d’Ethan.

Les mains en avant, comme pour montrer à Sarina qu’elle ne représentait pas le moindre danger, Tiana s’avança pas à pas vers la jeune femme. L’ancien Sergent détourna son regard vers l’arme qui était pointée sur Daniels et se retrouva rapidement visée. Par pur réflexe, Fry se recula brusquement, provoquant ainsi une douleur lacérante au niveau de son abdomen.

— Du calme, Sarina ! plaida-t-elle, en essayant par tous les moyens de garder le contrôle de la situation. Je sais que tu veux pas faire de mal à qui que ce soit.

La jeune femme tourna alors erratiquement la tête vers chacun des membres d’équipage présents. Puis, elle fit volte-face vers Fry, les larmes aux yeux :

— S’il te plaît... gémit-elle. Aide-moi… Ça fait trop mal !

Sarina ferma un instant les yeux puis son corps se raidit pour prendre une posture plus droite que Fry reconnut tout de suite : il y avait là-dedans quelque chose de militaire. Stupéfaite par cette allure si différente de ce qu’on aurait pu attendre de cette jeune femme, Tiana plongea son regard dans les yeux de la jeune femme pour ne voir qu’un air de défi.

— Sarina ? s’écria Tooms, inquiet par l’état de sa demi-soeur.

Lorsque la jeune femme répondit, sa voix fluette avait été remplacée par un ténor masculin. Une voix qui transpirait la détermination et une suffisance certaine.

— Capitaine Fry ! Cela fait un moment que je suis à votre recherche. J’ai suivi la trace gluante que vous avez laissée derrière vous sur Fair Heaven, et je dois avouer que je suis déçu. Le portrait que votre amie la contrôleuse a dressé de vous tous était pourtant très élogieux, et au final, vous n’êtes que des insectes, tout comme elle. À peine digne de l’intérêt que je vous ai porté.

Entendant qu’on parlait de son amie Jen, les muscles d’Ash se contractèrent sous la tension. Il commençait à imaginer ce que ce type avait pu lui faire. Toutefois, Fry, qui sentait l’anxiété grandissante du pilote, lui ordonna de se calmer d’un geste de la main alors qu’elle parlait avec le mystérieux inconnu :

— Qui êtes-vous et que voulez-vous ? demanda-t-elle.

Un sourire encore plus terrifiant s’étira sur les lèvres de Sarina alors que l’homme répondait :

— Je suis le Commandant Atlan. Vous détenez quelque chose qui appartient à l’Alliance et je veux le récupérer.

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