CHAPITRE 13 : Yucan

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Sarina avait pris Ethan par la main et le tirait, courant presque pour rejoindre le troisième membre de la fratrie, qui les attendait très certainement dans la salle de chargement principale. La jeune femme était resplendissante de joie, tellement contente de cette sortie en famille qu'elle dansait presque sur tout le chemin qui séparait la salle des machines de la cale, ses longs cheveux bruns virevoltant tout autour d'elle au même rythme que sa robe.

— Et bien, soeurette. s'exclama Ethan. Je crois bien que je ne t'ai jamais vue aussi heureuse de toute ta vie.

Le jeune homme en connaissait la raison : depuis la mort de leur mère, Enola, pendant leur adolescence, Sarina n'avait eu qu'une seule idée en tête, partir et réunir toute sa famille encore en vie. Même quand elle avait séjourné à l'Académie, le principal lieu d'études de l'Alliance, et qu'ils s'étaient retrouvés séparés pendant plusieurs longs mois, il avait su que son obsession ne l'avait jamais quittée. Elle s'était même spécialisée en histoire et en xéno-anthropologie pour en découvrir toujours plus sur les mondes que côtoyait son demi-frère Ash Tooms. Puis, du jour au lendemain, il y avait eu l'attentat et tout comme les autres étudiants survivants de l’attaque perpétrée par des terroristes anti-Alliance, elle avait été transportée à l’hôpital général de Luxar. Ce jour-là, il s’était juré de ne plus jamais la quitter. Il avait cru qu’elle ne s’en sortirait jamais. Surtout pendant ces fameuses trois semaines où il n’avait pu lui rendre visite car l’état de la jeune femme ne le lui permettait pas...

— Allo ? Y a quelqu'un au bout du fil ? Tu rêves, mon vieux.

Tooms faisait de grand signes devant le visage du jeune homme : apparemment, cela faisait plusieurs secondes qu'Ethan était resté figé sur place, perdu dans ses pensées. Il fronça les sourcils, agacé, alors que le pilote agitait toujours sa main devant lui :

— C'est bon. Que veux-tu, Ash ?
— Sarina et moi, on parlait de la ville d’à côté et tu t’es arrêté d’un seul coup...

— Ça va, ne t’inquiète pas. Quant à cette fameuse ville, j’espère que ce n’est pas un coin trop miteux ...

— Parce qu'en plus, Monsieur est regardant ? Tu voudrais peut-être qu’on se trouve un palace comme dans les mondes de l’Alliance ? tonna le pilote, face à l’air de dégoût qui se dessinait sur le visage d’Ethan.

Les deux hommes se mirent alors à se regarder longuement, comme s’ils attendaient la moindre occasion pour se jeter à la gorge l’un de l’autre.

— Allez, s’il vous plaît, ne commencez pas à vous disputer. s'immisça Sarina. Vous verrez, ça va être génial.

Les deux frères se résignèrent alors, sachant que se disputer n’arrangerait rien à la tension déjà présente à bord. Après avoir lancé l’ouverture de la porte de la cale, le pilote se mit aux commandes de la Hover-Car, tandis que Sarina et Ethan prenaient place à l’arrière. Découvrant quelques armes à l’arrière, ces derniers interrogèrent Tooms sur leur présence :

— Pourquoi a-t-on des armes ? Tu ne penses quand même pas qu’on pourrait nous tirer dessus, si ? demanda la jeune femme.
— C’est juste par mesure de sécurité. Même si Tiana est du genre à improviser, personnellement, je préfère être prêt à tout…

Sarina posa les yeux sur Ash : le timonier était en pleine réflexion et il était certain que quelque chose le tracassait.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? lui demanda-t-elle.
— Rien. Enfin rien d’important…

En réalité, Ash songeait à ce fameux écho sur les senseurs du Charon, et il n’était pas le seul. En effet, à l’infirmerie, Tiana Fry reprenait enfin conscience, alors que Seilah était encore en train de veiller sur elle :

— Salut. dit-elle, d’une voix rauque, déclenchant un sourire immédiat de la part de la jeune alien.

La Capitaine essaya de tendre une main affectueuse vers le visage de sa compagne, avant de ressentir une intense douleur aux côtes. Elle regarda alors son abdomen pour voir qu’il était bandé avec soin. C’est à ce moment qu’Alistair fit son entrée, un sourire radieux sur les lèvres :

— Capitaine. Vous voilà enfin réveillée. J’en suis ravi sinon je n’ose imaginer le sort que notre amie Seilah, ici présente, m’aurait réservé.
— J’aurais été inventive. déclara l’intéressée, rendant son sourire au médecin.

Le Docteur Gun s’approcha de la paillasse de Tiana et commença une batterie d’examens qu’il assura être totalement normal : vérification de la tension artérielle, réactivité des pupilles et prise de sang. La Capitaine se laissa faire, bien que maugréant de douleur pendant le changement de son pansement.

— Qu’est-ce qui m’est arrivé, Doc ?
— Plusieurs choses. La première est une plaie à l’arrière de la tête, qui a suinté pendant quelques temps, jusqu’à ce que je la suture. Et la deuxième, il s’agit d’une côte cassée qui a failli vous perforer un organe.
— Tu es sortie d’affaire. déclara Seilah, rassurante. Et c’est entièrement grâce aux bons soins d’Alistair.
— Vous m’avez également bien aidé, ma chère. la remercia-t-il.

Voyant que le médecin et sa compagne ne cessaient jamais de louer les qualités de l’autre, Tiana se redressa, lâchant un grognement de douleur, et, alors que les deux autres se tournaient vers elle, les coupa :

— Bon, Doc. Vu que je suis hors de danger, je peux reprendre mes activités…
— Malheureusement oui. Nous ne sommes pas sur un vaisseau de guerre, donc il n’y a pas le moindre règlement m’autorisant à vous relever de vos fonctions de Capitaine. Cependant, je vous conseillerai amicalement de vous reposer plutôt que de repartir combattre.

Tiana soupira et reposa sa tête un peu trop brutalement sur l’oreiller qu’on lui avait fourni. La plaie qui ornait l’arrière de son crâne se rappela à la jeune femme qui plissa les yeux.

Quelques instants plus tard, une silhouette apparut dans l’encadrement de la porte de la pièce : c’était Daniels. Celui-ci paraissait étrangement tendu, lui qui pourtant ne craignait pas grand chose.

— Qu’est-ce qu’il y a, Jack ? demanda Tiana, inquiète.
— On a un appel…
— Demande à Tooms de s’en occuper alors.
— J’aimerais bien mais il est parti et, en plus… On te demande personnellement… hésita l’ancien mercenaire.

Tiana se tourna vers Seilah, qui haussa les épaules, ne sachant pas de qui il pouvait s’agir, avant de se relever :

— Je vais me faire une joie de répondre à cette mystérieuse personne… soupira-t-elle, sarcastique.

* * *

Près d’une demi-heure avait passé et la fratrie arrivait enfin dans le centre de la ville que Sarina et Tooms avaient repéré un peu plus tôt. Seul Ethan semblait peu ravi de cette sortie : il affichait un air de dégoût et de pitié alors qu’il distinguait la “ville” qui semblait plus ressembler à un village si on comparait sa taille aux immenses cités des mondes de l’Alliance. Un soupir éloquent de sa part brisa le silence qui s’était installé entre les membres de la fratrie :

— Dis tout de suite que ça t’emmerde de nous avoir accompagnés ! s’exclama le pilote. Si tu comptais gâcher notre balade, c’était pas la peine de venir !
— Parce que selon toi, j’avais le choix ? C’est évident que tu n’as jamais vécu avec Sarina. se défendit Ethan, en roulant des yeux.

Le jeune homme se ferma alors à toute autre discussion, tout comme Tooms qui arrêta rapidement le véhicule aux abords de la place principale. Si le concept même de mendicité avait été en apparence éradiqué de la surface des planètes entièrement contrôlées par l’Alliance, en réalité, les pauvres étaient le plus souvent expulsés de ces territoires et déportés sur d’autres planètes. Des planètes comme celle-ci, à la merci de créatures comme les Charognards. Et ce, sans que les citoyens nantis ne puissent le voir. Des personnes comme Ethan et Sarina, qui pourtant en avaient entendu parler, mais qui jamais n’avaient pu voir dans quelles conditions ces exilés vivaient. Ils n’avaient jamais eu à se soucier de l’argent mais là, ils étaient les témoins d’une facette obscure de l’Alliance et s’en retrouvaient d’autant plus horrifiés.

Aucune automatisation ou de technologie de quel ordre que ce soit n'était visible, mise à part la présence de pancartes holographiques reliées à des antennes plantées sur les différents bâtiments. Certainement pour retransmettre les quelques informations transmises par les canaux officiels de l’Alliance. On ne voyait également presque aucun véhicule motorisé, la plupart des citoyens se déplaçant grâce à des animaux qu’aucun des trois visiteurs n’avaient jamais vus : ces créatures étaient de paisibles montures dotées de trois paires de pattes, hautes d’environ deux mètres. Leur bec acéré tranchait net les branchages et autres plantes disposées dans leurs immenses mangeoires. Le claquement sec fit déglutir la fratrie, qui préféra ne pas se tenir proche de tels animaux. Les créatures ne semblaient pourtant pas agitées par le vacarme ambiant produit par le marché qui se tenait sur la place, et qui, apparemment, était le centre de toute l’activité de la cité. L’attitude placide des animaux rassura alors Tooms qui nota l’immense corne qui ornait la tête velue de ces derniers, faisant tressaillir de nouveau le timonier, qui s’imaginait déjà empalé par l’une des créatures.

Surprise par la présence de ces dernières, Sarina s’adressa à un homme bien plus âgé qu’elle et nota l’état pitoyable dans lequel il était : le pauvre homme avait perdu ses deux jambes et n’avait plus que ses bras et une paire de béquilles pour lui permettre de se mouvoir, et était recouvert d’une couche impressionnante de poussière.

— Monsieur, puis-je vous demander quelque chose ? demanda-t-elle, poliment.

Le cul-de-jatte se retourna vers la jeune femme, dévoilant un sourire jauni par la crasse, heureux qu’une femme aussi belle que Sarina ose tourner son regard vers quelqu’un d’aussi démuni que lui.

— Bien sûr, mam’zelle. répondit-il. Qu’est-ce qu’un vieux bougre comme Jericho peut faire pour vous ? Oh, mais vous z’êtes pas du coin, vous. ajouta-t-il en voyant les tenues de la jeune femme et de son demi-frère.
— En effet, nous sommes passagers sur un cargo depuis un autre système. Gamma Hydra.
— Et ben… Et vot’ question alors ?
— Je voulais vous demander ce qu’étaient ces créatures… Elles sont magnifiques… s’émerveilla la jeune femme.

Le vieil homme eut un petit rire qui se transforma rapidement en une toux grasse : il n’y avait pas le moindre doute que les habitants de cette planète n’avaient pas accès à des soins adéquats. Puis, sa quinte de toux passée, il répondit enfin :

— On les appelle les Coursepattes, mais on connaît pas leur vrai nom… Et ce sont les animaux les plus rapides qu’on ait vus ici.

La jeune femme remercia chaleureusement l’infirme et se dirigea ensuite vers le marché qui était intercalé dans l’immense U que formait les bâtiments rustiques. Elle souhaitait en apprendre le plus possible sur la vie sur Yucan et sur ce qui se faisait sur cette planète. Les produits présentés sur les étals qui avaient été dressés étaient des objets créés à la main. On pouvait notamment y trouver des outils métalliques, mais également des gravures et des objets de décoration en céramique, d'une rare qualité pour un monde si pauvre. À croire que la société de Yucan avait été renvoyée à sa forme la plus simple : les artefacts étaient utiles et durables contrairement à ce qui se trouvait dans les mondes de l’Alliance. Sarina était absorbée par cet amoncellement de petits objets et affichait un sourire radieux. Tooms, lui voyait que son demi-frère était mal à l'aise et essaya de le faire sourire :

— C’est sûr que ça doit te changer de ton luxe habituel, hein, frangin ?
— Lâche-moi, Ash. répondit l’autre, piqué au vif.

Ethan fusilla le timonier du regard et tourna les talons, préférant se réfugier à bord de la Hover-Car. Le pilote fit volte-face vers sa demi-soeur. Le regard furibond et les bras croisés, elle s’était campée devant lui et semblait prête à le sermonner.

— Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? demanda-t-il, surpris.
— Toi qui l’accusait de vouloir pourrir notre excursion… J’espère que tu es content de toi. tonna la jeune femme.
— Qu’est-ce que j’ai dit de mal ? répéta-t-il, sans comprendre.
— Tu nous reproches de ne pas avoir connu la pauvreté comme si on avait eu le choix. Quand mon père s’est remarié avec la mère d’Ethan, ce dernier a été accueilli comme un fils. Certes, notre famille était aisée mais ce n’est pas cela qui nous définit. Ni même notre allure. Ce sont plutôt nos actions. Et pour sa part, je pense qu’il te ressemble bien plus qu’il ne veut l’admettre et il déteste cette façade de garçon nanti qu’il s’est construit pour se protéger. Surtout quand on sait ce qu’il a fait à notre père avant de quitter la maison…

Le pilote ouvrit des yeux ronds en entendant les révélations de Sarina, mais semblait plutôt choqué par autre chose : sur les pancartes holographiques qui entouraient la grande place du marché, venaient d’afficher les visages ainsi que les noms de personnes qu’il connaissait bien : les membres d’équipage du Charon.

— Euh. Sarina, je crois qu’il faut qu’on bouge.
— Je comprends que tu n’aies eu aucune envie de rester ici mais…
— C’est pas ça ! Regarde !

La jeune femme se retourna vers les affiches et nota que plusieurs personnes armées semblaient fondre sur eux. D’autres les pointaient du doigt ou leur lançaient des regards effrayés. Tooms comprit rapidement : sous leurs noms, une prime était affichée pour leur capture, les plus importantes étant pour Sarina et Ethan. Voyant la milice de la ville se rapprocher, Ash poussa sa soeur vers leur véhicule, avant de se pencher pour lui murmurer à l’oreille :

— Frangine. Fonce à la Hover-Car et appelle Tiana. Dis lui qu’on va avoir besoin d’une extraction.

Soudain, le bruit d’un moteur qu’il aurait pu reconnaître entre tous résonna au loin : il s’agissait d’un chasseur de l’Alliance, l’un des vaisseaux d’interception les plus rapides de tout le secteur.

Ce que Tooms ne savait pas, c’est qu’à bord du Charon, au même instant, Tiana Fry était en communication avec le pilote du chasseur, et qu’il n’était en rien de l’Alliance.

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