CHAPITRE 12 : Répit

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Il s’écoula presque une minute entière avant que l’équipage dans son ensemble ne reprenne entièrement son souffle. Tooms et Seilah avaient transporté le corps sans connaissance de Tiana jusque dans l’infirmerie.

Lorsqu’ils arrivèrent enfin, le médecin semblait presque entièrement remis, mis à part qu’il grimaçait à chaque pas. Seilah lui demanda alors ce qu’il avait :

— Tout va bien, Docteur Gun ?
— Oui, ne vous inquiétez donc pas, ma chère. la rassura-t-il. Je n’ai eu que quelques contusions, mais rien de bien méchant. Et qu’en est-il de notre Capitaine ?
— Elle pisse le sang, Doc. s’exclama Tooms. Vous pouvez la rafistoler ?

— Je peux toujours essayer… Déposez-la ici que je puisse l’examiner. répondit le médecin en pointant l’unique paillasse métallique protégée de draps blancs.

Les larges bras de Tooms soulevèrent le corps de Tiana qui semblait peser le double de son poids, et le déposèrent rapidement sur le lit médical de fortune. Seilah regarda autour d’elle, inquiète de voir que les murs étaient encore couverts de saletés et de rouille, et que le sol était jonché de caisses à moitié ouvertes, celles des futures améliorations qu’Alistair s’était fait livrer sur Gamma Hydra.

— Vous pensez que ce sera suffisant comme mesures d’hygiène ?
— Ma chère, je suis vraiment désolé de ne pouvoir faire mieux dans les conditions actuelles. déclara le médecin. Mais je pense que la priorité serait plutôt de s’occuper de l’état de notre amie. J’aurai donc besoin que vous preniez tous les antiseptiques que vous pourrez trouver dans l’armoire là-bas et que vous me les ameniez. Et vous, Monsieur Tooms, si vous pouviez me l’apporter, ma valise médicale se trouve là-bas. ajouta-t-il en pointant l’autre bout de la pièce, là où il s’était auparavant assis avec Tiana.

Quelques brefs instants passèrent pendant lesquels Tiana, se réveillant de son malaise, eut un mouvement brusque, avant de retomber en léthargie presque instantanément sous le coup de la douleur. Le médecin s’en inquiéta alors que Seilah déposait de nombreux flacons en verre sur une table à proximité :

— Cela lui arrive souvent ?
— En effet. Je lui ai toujours connu un réveil assez agité. Un souvenir de la Guerre, j’imagine... répondit la jeune alien.
— Bien. Dans ce cas, je vais être obligé de vous demander de la maintenir pendant que je lui ferai quelques points de suture et de trouver de quoi l’attacher pour éviter qu’elle ne se blesse pendant son sommeil réparateur.

Le timonier échangea alors un regard avec le médecin en déposant la mallette de celui-ci à terre et se précipita par l’autre sortie de l’infirmerie pour chercher de quoi lier la Capitaine à son lit.

De son côté, Seilah essayait de pencher la poupée de chiffon qu’était devenu le corps de sa compagne afin de permettre au médecin d’exercer son art. Celui-ci demanda à Seilah de lui tendre des morceaux de tissus propres qui se trouvaient dans sa valise et de les imbiber d’antiseptique, ce que l’alien fit rapidement. Il s’en empara précipitamment et épongea les contours extérieurs de la plaie. Il empoigna ensuite un étrange appareil semblable à un stylet et qui émit une vive lumière à son bout. Le vif éclat surprit l’alien et lui fit lâcher prise alors qu’Alistair était sur le point de refermer la blessure.

— Que faîtes-vous ? J’étais sur le point de lui suturer sa plaie ! s’exclama-t-il, dans un brusque moment de panique.
— Oui, et bien… hésita l’alien, regardant Al’ d’un air méfiant. On vous a trouvé avec elle... Comment être certain que vous ne lui voulez aucun mal ?

Le médecin, exaspéré qu’on puisse le soupçonner encore, soupira. Mais d’un autre côté, il comprenait. Il essaya donc de convaincre son interlocutrice de le laisser continuer :

— Écoutez ma chère, je suis médecin et mon métier est de sauver des vies. Pas d’en condamner. Donc laissez-moi soigner notre Capitaine et vous prouver ma bonne foi. À moins bien entendu que vous ne souhaitiez vous en occuper vous même...

Devant un argument pourtant si pragmatique, Seilah ne se détendit pas d’un pouce, mais acquiesça : après tout, elle n’avait pas le choix. Elle se devait d’accepter les soins qu’Alistair allait lui administrer.

— Croyez-moi, ma chère, quand je vous assure que si j’avais voulu faire du mal à quelqu’un à bord de ce vaisseau, cette personne serait déjà éliminée. En plus, cet outil n’est qu’un régénérateur dermique. C’est presque sans danger. ajouta le médecin.

Entendant une telle déclaration de la part de cet homme qui pourtant avait prêté serment de protéger la vie, Seilah ouvrit des yeux ronds, stupéfaite. C’est alors que, tout en travaillant, Gun expliqua :

— Je voulais parler de mes grandes connaissances en anatomie. Tant celle des humains que celle des aliens. Ne vous alarmez donc en rien.

Un grand bruit fit se retourner Alistair qui s’attendait à se faire une nouvelle fois souffler par une explosion. Mais il eut la rassurante surprise de voir qu’il ne s’agissait en réalité que de Tooms qui revenait d’on ne sait où et qui avait lâché sur le sol de longs et épais cordages.

— Désolé, Doc. s’excusa le pilote voyant que le médecin le fusillait du regard. Je ne voulais pas vous faire peur.

Le médecin se contenta de soupirer de manière éloquente alors qu’il se retournait vers le crâne entaillé de sa patiente. Il échangea un rapide regard avec Seilah et sutura la plaie en quelques secondes grâce à l’étrange objet qui avait tant effrayé la jeune femme.

Quelques minutes plus tard, l’opération était enfin terminée et Seilah put enfin relâcher sa prise sur le corps de sa compagne qui s’étala lourdement sur la paillasse métallique. Alistair, lui, semblait toujours préoccupé. Il se dirigea vers sa mallette et fouilla dedans quelques instants. Il en ressortit une minuscule torche qu’il braqua sur les yeux de sa patiente dont il écartait les paupières. Le médecin vit ainsi que les pupilles de Tiana réagissaient au faisceau lumineux.

— Bien ! s’exclama-t-il. Je pense qu’elle est tirée d’affaire. Il faudrait aussi que vous lui trouviez quelque chose d’assez moelleux à installer derrière sa tête, pour éviter qu’elle ne se blesse à nouveau. De même, si vous croyez que cela est nécessaire, vous pouvez l’attacher, bien que je ne pense pas que ce soit particulièrement utile. Surtout si vous restez avec elle, ma chère. ajouta-t-il en s’adressant à Seilah.

Cette dernière se retourna vers Tooms, qui acquiesça. Mais quelque chose le dérangeait : la présence du médecin avec Tiana lorsqu’ils les avaient retrouvés, inconscients.

— Doc, il faut qu’on parle.

Le pilote prit le Docteur Gun par l’épaule et se dirigea vers le mess. Le médecin, quant à lui, connaissait d’avance le sujet de la discussion et savait à quel point cela allait être de nouveau pénible : il était suspect, étant le seul membre d’équipage hors de ses quartiers à l’heure de l’explosion.

— J’imagine que vous souhaitez me parler du sabotage, Monsieur Tooms.
— Oui, mais je pense pas que vous soyez coupable. Si c’était le cas, vous auriez pas essayé de sauver Tiana, n’est-ce pas ? Mais je veux savoir si vous avez rien entendu avant que ça vous pète à la tronche.

— Justement si… Nous avons bel et bien entendu quelqu’un d’autre courir dans le couloir. Mais le temps que nous nous levions pour voir de qui il s’agissait, c’était trop tard. Quand notre Capitaine sera réveillée, vous pourrez le lui demander vous-même si vous le souhaitez.

Le timonier soupira. Il était évident qu’Alistair ne mentait pas.

— Je vous crois, Doc…

La situation devenait alors compliquée pour le pilote qui ne savait plus quoi penser. Les deux autres membres de sa fratrie, qui lui étaient inconnus jusqu’à leur apparition sur Fair Heaven, semblaient être les deux seuls suspects restants. Mais, d’un autre côté, les considérer comme coupables était presque impensable. Certes, Ethan était réservé et ne laissait rien paraître de ce qu’il était mais ne semblait pas pour autant un mauvais bougre. Et Sarina non plus. La jeune femme était en effet, en apparence, l’incarnation de la gentillesse, toujours à donner de son temps aux autres.

Soudain, sortant Tooms de ses pensées, la voix aiguë de Mei résonna dans tout le vaisseau : la jeune femme était apparemment plus anxieuse que d’habitude.

— Tooms, on a besoin de se poser !

Le pilote se tourna vers le boîtier de l’intercom le plus proche et enclencha le bouton :

— Comment ça ?
— Si tu veux que je sache si tout fonctionne bien, il va falloir qu’on coupe le moteur principal et tous les systèmes, y compris le recyclage de l’air.
— D’accord. J’ai compris, gamine. J’essaie de nous trouver une planète viable dans les environs.

Tooms se retourna vers le médecin qui ne l’avait pas quitté pendant toute la conversation. Les deux hommes se dirigèrent rapidement vers la passerelle où le pilote s’assit à son poste. Puis, affichant la carte stellaire holographique, il demanda :

— Doc, vous connaissez un peu la région ?
— Très peu, je le crains. Tout ce qu’il nous faut, c’est une planète de Classe T.
— Terraformée ? En même temps, c’est logique puisqu’on va devoir se passer de l’oxygène du vaisseau pendant plusieurs heures.

Ash pianota rapidement sur les boutons de sa console et finit par trouver ce qu’il cherchait : une planète viable pour tout le monde à bord :

— Ça y est ! s’écria-t-il en levant les bras. J’ai trouvé ! La planète Yucan, à quelques centaines de millions de kilomètres.
— Et avec le moteur conventionnel, on y sera en combien de temps ?
— Une demi-heure ? Peut-être un peu moins.

Le médecin dévisagea le jeune pilote. Celui-ci avait un air sombre, à croire qu’il n’était pas ravi de la manière dont se déroulaient les événements. Il était vrai que cela aurait pu être mieux, mais ils étaient en vie. Alistair lui demanda donc ce qui n’allait pas :

— Quelque chose ne va pas. Inutile de le nier, je le vois.
— C’est pas important, Doc. C’est juste que… hésita l’autre.
— Juste quoi ?
— C’est le fait qu’on soit suivi de loin qui m’inquiète. Je sais pas qui c’est et qui veut nous tomber dessus. Et puis, il y a aussi cette histoire de sabotage…

Alistair Gun inspira profondément avant d’émettre un profond soupir. Dans la mesure où lui aussi se posait les mêmes questions, il ne pouvait que compatir face à l’absence de réponses.

— Je vous comprends, Monsieur Tooms. Mais je ne pense pas que l’on puisse faire quoi que ce soit pour l’instant. Dans des affaires comme celle-ci, la meilleure chose à faire est souvent d’attendre que l’adversaire esquisse un mouvement pour nous permettre de contre-attaquer.

— Vous avez raison...

Puis, voyant qu’il avait oublié de prévenir Mei de sa trouvaille, il pressa le bouton de l’intercom au-dessus de lui :

— Gamine, je nous ai trouvé une planète d’accueil. On y sera dans une petite demi-heure.
— Bien compris. répondit l’Azrienne, qui, au son de sa voix, semblait particulièrement en colère.

Mais comme souvent, cette fureur était à l’origine une toute autre émotion : la peur et le manque de confiance en soi que Mei ressentait à ce moment-là. Elle s’en voulait de ne pas avoir été là pour empêcher l’explosion et se pensait responsable de l’état de sa Capitaine. Avec un cri de rage, elle jeta un morceau de tôle carbonisée à travers la pièce. Puis regrettant amèrement son geste, elle posa une main sur la paroi métallique et glacée du vaisseau :

— Désolée. Je m’en veux juste qu’on vous ait fait du mal à toutes les deux…

Derrière elle, la jeune alien sentit une présence qu’elle reconnut presque instantanément grâce à son flair : l’odeur était un subtil mélange d’eau de toilette de luxe, de transpiration et de vêtements particulièrement propres caractéristique d’une seule personne à bord.

— Ça t'arrive souvent de parler toute seule ? lança une voix masculine.

La petite Azrienne se retourna pour découvrir, sans la moindre surprise, qu’Ethan était accoudé dans l'encadrement de la porte. Il avait la mine grave et Mei s’interrogeait sur la raison de sa présence. D'une voix timide, celle-ci le lui demanda :

— Je peux faire quelque chose pour toi ?
— J’ai entendu du bruit, donc je suis venu voir si tout allait bien. Et après je t’ai vu parler toute seule…
— Je ne parlais pas toute seule. Je lui parlais à elle. répondit la jeune femme en touchant à nouveau le mur métallique de la salle des machines.
— Elle ?
— Le Charon, si tu préfères. On a une relation un peu particulière : je m’occupe d’elle et elle s’occupe de nous. À sa manière.

Le jeune homme haussa un sourcil interrogateur, s’attendant à une plaisanterie de la part de la mécanicienne, mais vit rapidement qu’il n’en était rien : Mei était très sérieuse.

— Attends… Tu es sérieuse ? s’exclama Ethan, circonspect.
— Très. répondit-elle, cinglante. Mais je ne m’attends pas à ce que tu comprennes…
— Non… C’est juste que… Je n’ai jamais eu l’occasion de voir ce genre de relations entre un ingénieur et une machine.

Mei plongea alors son regard dans celui de son interlocuteur pour n’y voir que de la gêne. Puis, celui-ci, notant les monticules de morceaux métalliques qui restaient un peu partout dans la pièce, demanda :

— Tu as besoin d’aide ?
— Pour quoi ? Pour ce bazar ? Oui, mais je ne suis pas sûre que ton costume soit vraiment adapté … répondit-elle en posant son regard sur la tenue d'Ethan.

Le jeune homme portait alors des vêtements de bonne facture, notamment une chemise immaculée et un gilet de costume qui, à lui seul, valait plus que toute la garde-robe de Mei réunie. En somme, ce n’était pas la meilleure tenue pour effectuer des travaux aussi salissant que ceux qui se déroulaient dans cette pièce. Pourtant, le jeune homme ne se démonta pas. Il déboutonna consciencieusement son gilet qu’il posa sur un crochet non loin, et retroussa ses manches.

— Alors ? Par quoi commence-t-on ? demanda-t-il, l’air déterminé.

La jeune Azrienne se mit à rire tant l’attitude du jeune homme était caricaturale. Après quelques secondes, voyant qu'Ethan était totalement sérieux, elle se reprit :

— D'accord... Avant toute chose, on va déplacer tous ces morceaux de métal, là, et les empiler sur un côté, pour ne pas qu’on se blesse. À croire que ce n’est que le caisson métallique autour du moteur qui a explosé et que c’est le choc qui a tout coupé…
— Et c’est la procédure normale ?
— Oui. Si quelque chose explose dans la salle des machines, le moteur se coupe automatiquement. C’est une sécurité que j’y ai intégrée dès que j’ai mis le pied dans cette salle des machines en tant que mécanicienne.

— En fait, c’est toi le membre le plus important de cet équipage…

Le visage pâle de Mei s’empourpra et la jeune alien détourna le regard, tout comme le jeune homme qui ne savait plus où se mettre. Dans un silence pesant, les deux jeunes gens travaillèrent sans oser piper mot. Mais le malaise fut heureusement coupé lorsque Tooms annonça leur imminente arrivée à destination.

— Mei. On est arrivé dans le système de Yucan. Je vais me poser assez loin de la colonie pour qu’on ait la paix.
— Pas de problème. Ethan et moi, on finit ici et je m’occupe de la réparation.

L’annonce du pilote s’ensuivit d’un tremblement complet du vaisseau, signe que celui-ci entrait dans l’atmosphère de la planète, avant de revenir presque aussi rapidement à un calme plat. Dans la salle des machines, Mei et Ethan terminaient de remettre en ordre la pièce, quand une silhouette apparut : c’était Sarina.

— Euh, Ethan. Je peux te demander quelque chose ?

Le jeune homme acquiesça en silence et sa demi-soeur reprit :

— J’ai déjà demandé à Ash, mais j’aimerais que tu nous accompagnes aussi…
— Où ça ?
— Dans une colonie de Yucan. Tu sais bien que j’adore voir des modes de vie différents de ceux de l’Alliance.

Ethan se retourna alors vers Mei qui semblait furieuse. Alors qu’il croisait son regard, celle-ci répliqua presque cinglante :

— Vas-y ! De toute façon, j’ai besoin d’être seule.

La voix de Tooms résonna alors dans la salle des machines, suivi d’un léger choc qui ne pouvait signifier qu’une seule chose : le Charon avait atterri.

— Mei, c'est bon, on s’est posé. Tu vas pouvoir mettre les mains dans le moteur sans risque. Enfin presque.

— D’accord. J'éteins tous les systèmes primaires et je branche le générateur secondaire.

La mécanicienne s'approcha d'une console près de l'entrée, donnant par la même occasion un coup d’épaule à Ethan, et enclencha quelques boutons. Pendant une dizaine de secondes, les lumières s'éteignirent toutes avant de se rallumer.

— Bonne visite… souhaita l’Azrienne à Sarina, non sans avoir jeté un regard noir à Ethan.

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