CHAPITRE 11 : La tenaille

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Tiana se réveilla sur le sol du vaisseau, encore étourdie par le choc de la déflagration. Combien de temps était-elle restée sans connaissance ? Elle n’en savait rien. Une douleur fulgurante lui fit fermer les yeux et d’un mouvement instinctif, elle posa le bout de ses doigts à l’arrière de sa tête. Elle y sentit quelque chose de chaud et poisseux, et ne mit pas longtemps pour comprendre : elle avait une plaie. Elle remit donc sa main devant ses yeux pour vérifier et vit le liquide rouge dégouliner le long de ses doigts. Revenant à la réalité, elle nota alors qu’autour d'elle et d'Alistair, qui revenait lentement à lui, le reste de l'équipage apparemment réveillé par le bruit, s'agitait. Notamment Tooms dont la panique ne faisait qu’augmenter à mesure que Tiana tardait à lui répondre :

— Capitaine ? Tu m'entends ? hurlait-il.
— Bien sûr que je t'entends, idiot ! maugréa sa Capitaine. Qu'est-ce qui s'est passé ? Et combien de temps j’ai été K.O. ? déclara-t-elle d’une voix rauque.
— T’es restée évanouie que quelques minutes. Et pour ce qui s’est passé, j’en ai aucune idée. Mei est allée voir.

Entendant le nom de sa mécanicienne, Fry regarda instinctivement dans la direction opposée, vers la salle des machines et vit qu’une épaisse fumée noirâtre s’en dégageait. L’anxiété la prit à la gorge, l’empêchant de respirer pendant quelques instants, imaginant les pires scénarios possibles. En effet, la Capitaine s’inquiétait pour la suite des événements : ils se trouvaient dans la Bordure, juste à côté du territoire des Charognards. Des créatures, dont on ne connaissait que les vaisseaux et qui n'hésitaient pas à traverser la frontière pour aborder un vaisseau en perdition. Un vaisseau comme le Charon à ce moment-là.

— Tooms ! Viens sur la passerelle avec moi ! Il faut qu'on vérifie si on a pas de la compagnie ! s’écria-t-elle.

Alors qu’elle s’élançait à travers les couloirs, la Capitaine se retrouva prise de vertige et se plaqua contre le paroi métallique du corridor. Fry n’eut pas le temps de se demander ce qu’il lui arrivait qu’Ash ainsi que Seilah étaient déjà en train de la soutenir, chacun passant un bras sous l’une de ses épaules.

— Tiana. Calme-toi. Tu es pas en état de commander. la réprimanda le timonier. Tu pisses le sang. Seilah, il faut l’emmener à l’infirmerie et la soigner...
— Dis pas de bêtises ! répliqua la Capitaine. Je suis…

La fin de la phrase de l’ancien Sergent se perdit dans un nouveau vertige, alors que les trois amis arrivaient enfin dans le mess : plus que quelques mètres et ils pourraient voir si l’explosion dans la salle des machines avait attiré l’attention de quelqu’un aux alentours.

— Je suis d’accord. Il faut qu’elle se repose, ma chérie. déclara l’alien, alors qu’un air inquiet se lisait sur son visage.

Mais la Capitaine était déterminée : il fallait qu’elle reste consciente, pour elle comme pour l’équipage. Elle eut un mouvement du bras faisant lâcher prise à ses deux soutiens, stupéfaits :

— Écoutez, vous deux ! s’écria-t-elle. Je sais ce que je peux faire... Et ce qu’il faut que je fasse ! Donc on va sur la passerelle et on se sort de ce pétrin ! Si jamais on a été repéré par quelqu’un, mon état de santé sera pas le cadet de nos soucis. ajouta-t-elle en rentrant sur la passerelle, Tooms sur les talons qui s’installa à son poste.

Tiana ne croyait pas si bien dire : en effet, sur les relevés des senseurs qui s’affichaient devant le timonier, plusieurs vaisseaux semblaient se rapprocher de leur position, tous venant du même endroit, sauf un unique qui venait de l’opposé. Trop loin pour qu’ils puissent être identifiés, la seule information que les trois amis avaient sur cette armada était la taille de certains et leur nombre toujours plus important.

— Une idée ? demanda le pilote, toujours plus inquiet.
— Pas encore. C’est quoi ça ? répondit-elle en pointant l’unique vaisseau de l’autre côté. Un ami ?
— J’en doute. Et même si c’était le cas, si la horde qui arrive est ce que je pense, on pourra pas compter sur lui.

Fry inspira profondément. Elle partageait le sentiment de Tooms par rapport à cette situation. Finalement, ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Elle se leva difficilement et sentit une douleur au niveau de son flanc. Instinctivement, elle pressa l’endroit et grimaça de douleur, avant de s’effondrer sans connaissance sur son fauteuil. Voyant l’état de sa compagne, Seilah prit le relai et enclencha le bouton de l’intercom :

— Mei ? Dis-nous que le moteur n’est pas complètement hors-service, s’il te plait.

— Oui, Seilah. J'ai pu éteindre la plupart des flammes et les autres sont en train de s'occuper du reste. Mais franchement, c’est étrange : le réacteur principal est faiblement touché et rien d'autre n’a explosé. Je vais essayer de trouver ce qui a pu causer ça.

— On devra s’en occuper plus tard, ma grande. Toute une armada de vaisseaux va arriver sur notre position. Je crains qu’il ne s’agisse d’ennemis.
— Qui est-ce ? L’Alliance ?

Seilah échangea un regard inquiet avec le pilote, assis devant elle. Elle savait que la révélation qu’elle s’apprêtait à lâcher pouvait facilement provoquer un vent de panique, mais il n’y avait pas d’autre option possible :

— Pire. Des Charognards. Alors essaie de faire tourner ce moteur dans moins d’une dizaine de minutes. Il faut qu'on s’en aille d’ici. Et vite.
— Mais ça va me prendre au moins vingt minutes pour le remettre en état ! Peut-être même une demi-heure !
— Tu en as dix, Mei. Pas une de plus.

Seilah détestait être aussi dure avec Mei. L’Azrienne était bien plus sensible que les autres et aurait pu facilement se braquer. Mais elle savait aussi de quoi la mécanicienne était capable, et ce qui était en jeu : en effet, les premiers vaisseaux allaient bientôt être à portée. Et leur unique chance de survie reposait sur la capacité de Mei à faire fonctionner le moteur du vaisseau.

Les minutes passant sans la moindre nouvelle de l’ingénieure, une large goutte glacée de transpiration roula dans le cou de Tooms. Celui-ci était anxieux et cela était totalement compréhensible : parmi les rumeurs qui circulaient sur les Charognards, on pouvait trouver certaines histoires aussi effrayantes les unes que les autres. Certains disaient qu’il s’agissaient d’anciens aliens humanoïdes qui avaient décidé de grossir leurs rangs en harponnant les vaisseaux qui passaient à leur portée. Il était également dit que ces monstres dévoraient le plus faible des membres d’équipage du vaisseau attaqué pour soumettre les autres à leur volonté.

Quoi qu’il en ait pu être, Tooms n’avait aucune envie de le découvrir. Il se leva, jeta un oeil au corps de Tiana, toujours sans connaissance et pressa le bouton de l’intercom :

— Gamine, tu en es où ?

— J'avancerais certainement plus vite si je n'étais pas dérangée toutes les cinq minutes ! s’écria sèchement la voix de Mei. Dis toi que j'y suis presque et attend encore un peu !

Le timonier était plus que surpris par la réponse de la mécanicienne. Mais d’un autre côté, il était fier de voir qu’elle commençait à s'affirmer. C’était normal en réalité : la salle des machines était son domaine personnel. Soudain, Seilah lui tapota le bras et pointa le doigt vers l'extérieur, le visage blême. Tooms leva la tête et aperçut à travers la verrière l’imposante silhouette non pas d’un seul mais bien de quinze vaisseaux.

— Mei. annonça Tooms, la voix teintée par la peur. Tu n’as plus de temps… Ils sont là.

Les vaisseaux qui venaient d’apparaître juste devant eux étaient des épaves reconstituées avec des pièces provenant d'autres carcasses spatiales. Sur chacune des faces, formant comme une carapace meurtrière, des lames dentelées leur permettaient d'éventrer les vaisseaux pris en chasse, et comportaient d’énormes harpons qui ne laissaient aucune échappatoire à leurs victimes. Les plus petits vaisseaux de la horde se mirent alors en position de part et d’autre du Charon et commencèrent à le scanner, ainsi que l’équipage qui se trouvait à l’intérieur.

— Mei ! beugla le pilote, alors presque suppliant. Dépêche-toi s’il te plaît !
— Attend une trentaine de secondes. J’y suis presque.
— On a pas trente secondes ! Ils vont nous éventrer !

En effet, Tooms voyait l’un des immenses vaisseaux des Charognards se diriger droit vers le cargo. Leur adversaire disposait d’une immense lame métallique faisant office d’éperon et l’avait pointée droit sur le cockpit du Charon.

Soudain, alors que la situation semblait sans le moindre espoir, tous les voyants de la console de Tooms s’allumèrent : Mei avait réussi. Mais c’était sans compter sur les petits vaisseaux qui étaient stationnés autour du cargo : ceux-ci lancèrent les uns après les autres leur unique grappin droit sur la coque du Charon et se fixèrent à lui. Les parois extérieures furent percées de part en part, mais le timonier avait eu le réflexe d’activer les champs de force intérieur afin d’éviter la dépressurisation. Pourtant, cela ne réglait pas le problème de leur départ. Il fallait qu’ils s’en aillent et vite.

Seilah, toujours en train de prendre soin de sa compagne, demanda alors d’une voix tremblante :

— Tu as un plan pour nous sortir de là ?

Le pilote jeta un coup d’oeil à la jeune femme et inspira profondément, sans lui répondre. Il fixa quelques instants le vaisseau qui approchait toujours plus, enclencha quelques boutons et pria intérieurement pour que sa tentative les arrache à un sort funeste. Il pressa encore le bouton de l’intercom et demanda :

— Gamine, dis-moi qu’on peut utiliser le moteur supraluminique. Même quelques instants.
— Normalement oui. répondit-elle. Mais je ne te garantie rien pour la durée.
— Bien compris. Essaie juste de nous donner assez pour que le bouclier résiste.

Sans même prendre le temps de consulter Seilah qui le regardait d’un air dubitatif, il lança la charge du moteur et se prépara au choc. En effet, quelques instants plus tard, Tooms entrait des coordonnées spatiales au hasard et activait le moteur, juste avant que l’immense vaisseau charognard ne vienne heurter le cargo de son éperon. Le passage en vitesse supraluminique sectionna par la même occasion les chaînes qui maintenaient le Charon immobile.

Mais ce n’était pas ce qui inquiétait Tooms : l’activation du moteur si près d’un autre vaisseau avait dû causer des dégâts tant sur leur ennemi que sur le cargo lui-même. Et ce sentiment n’était renforcé que par le déchaînement des alarmes en tout genre dans le cockpit : la chaleur s’était faite intense tout autour du vaisseau, l’intégrité structurelle du cargo allait bientôt céder, et bientôt le bouclier déflecteur, qui empêchait tout objet trop imposant de les traverser, allait se couper.

Tooms inspira profondément, coupa le moteur supraluminique et afficha la cartographie stellaire de la région : le Charon venait de parcourir près d’une demi année-lumière en quelques instants et par chance était maintenant plus éloigné du territoire des Charognards que prévu.

— Où est-on ? demanda Seilah.
— Aucune idée. Tout ce que je sais c’est qu’on a eu vraiment très chaud. répondit Ash, encore couvert de sueur.

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