CHAPITRE 10 : Obscur secret

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Pendant presque deux jours entiers Tiana veilla à ce que les membres de l'équipage restent confinés dans leurs quartiers respectifs, mis à part aux heures des repas. Repas pendant lesquels tous se lançaient des regards accusateurs. Le reste du temps, la Capitaine était restée seule dans le mess où elle avait fini par avoir des remords : elle se disait qu’elle était peut-être allée trop loin avec cette restriction, mais elle y était contrainte. Surtout avec ce manque notoire de chance qui les suivait depuis Fair Heaven. D’abord ce départ en catastrophe depuis cette planète, puis la panne de l’alternateur et enfin ce mandat d’arrêt. Il était inconcevable pour Fry qu’elle laisse un saboteur les mettre encore plus en danger.

Alors que la Capitaine était encore plongée dans ses pensées, un bip strident retentit à plusieurs reprises et la fit sursauter : c’était la tablette qui indiquait les mouvements hors des quartiers. La jeune femme s’en empara vivement et regarda ce qu’il se passait : quelqu'un venait d'ouvrir l’une des portes menant à l'arrière du vaisseau, vers la salle des machines.

Elle la reposa et inspira profondément. Elle craignait cette confrontation depuis leur départ de Gamma Hydra III. Son blaster dans une main et une torche dans l’autre, elle se leva subitement et s'engagea dans les couloirs obscurs du vaisseau. Elle se devait de trouver celui ou celle qui venait de braver ses ordres : ça ne pouvait être que le saboteur. C’est du moins ce que pensait Fry. Elle avança donc prudemment le long des étroits passages menant aux différentes pièces, traquant la moindre ombre, le moindre bruit suspect, jusqu’à arriver près de la salle que Sarina et Seilah avaient souhaité transformer en serre. Elle y trouva une personne, de dos, qu’elle reconnut presque aussitôt :

— Doc ? Qu’est-ce que vous faites là ?

Le vieil homme se retourna, blaster au poing, menaçant. Tiana lui éclaira le visage et quand il entendit la voix de la Capitaine, il soupira de soulagement :

— Ah, Capitaine, vous m’avez fait peur. J’ai cru que vous étiez le saboteur et j’étais prêt à me défendre.
— Et moi, j’étais prête à vous trouer la peau sans le moindre état d’âme. J’avais ordonné que tout le monde reste dans ses quartiers.

Le médecin ferma les yeux avant d’inspirer profondément. L’homme semblait cacher quelque chose sous le poids de ses regrets. Fry connaissait bien cet air, qu’elle avait pu voir chez beaucoup de ses compagnons d’armes. Notamment chez ceux qui venaient de prendre leur première vie. C’était la culpabilité.

— Je sais bien, Capitaine. Mais j’avais besoin de sortir. L’isolement commençait à être insupportable.
— Un problème physique ?
— Je dirai plutôt que c’est psychique : mes actes passés reviennent me hanter...

Le médecin s'arrêta au milieu de son explication, conscient que la suite n'allait pas plaire à Fry.

— Vous étiez avec les Indépendantistes pendant la Guerre, n'est-ce-pas ? demanda-t-il, honteux.
— Oui. Et j’imagine que vous allez me dire que vous étiez dans le camp adverse. répondit l’ancien Sergent, un rictus mauvais se dessinant sur ses lèvres.
— En effet...

Tiana fronça les sourcils. Elle n'aimait en rien l'Alliance et tous ceux qui avaient collaboré lors de la Guerre. Mais depuis maintenant deux ans, elle avait tourné la page : elle ne tenait pas rigueur des choix qui avaient pu les propulser dans un camp ou dans l’autre. Surtout envers quelqu’un qui semblait aussi rongé par la culpabilité qu’Alistair.

— J'ai combattu pendant la Guerre. Et contre vous. Mais pas par choix. Vous comprendrez qu'en tant que médecin, l'Alliance a vu en moi un atout. continua le médecin, qui semblait ne plus pouvoir s’arrêter de s’expliquer.

Le vieil homme s'assit sur le sol froid du vaisseau, et quelques instants plus tard, il fut suivi par Tiana qui déposa son arme à terre. Il était évident que le médecin avait un réel besoin de s’expliquer, de justifier personnellement les actions qu’il avait pu commettre quelques années plus tôt.

— J'ai vraiment du mal à me regarder dans un miroir, parfois. Je sais ce que les militaires ont fait à certaines familles. Ces exactions n'auraient jamais dû avoir lieu, mais si je n'avais pas coopéré… Enfin, vous comprenez...

Tiana ne le savait que trop bien. Voir sa famille détruite avait été la plus douloureuse chose qu'elle ait eu à faire, et elle avait connu la brutalité sans borne de certains des militaires de l’Alliance. Alors que le médecin, au bord des larmes, continuait inlassablement de se justifier, Fry sentait qu'elle était en face d'un homme plein de regrets. À sa place, elle aurait certainement fait la même chose, même s'ils avaient combattu dans des camps opposés.

— Doc, vous êtes en rien responsable de ce qu'il s'est passé et je sais que vous êtes pas un homme mauvais. Vous étiez juste dans le mauvais camp. déclara la Capitaine, en haussant les épaules.

Voyant que Tiana ne lui en voulait pas, le médecin se mit à sourire, comme si un poids venait de lui être retiré, et qu’il pouvait enfin respirer. Il porta une main à sa poitrine et déclara, soulagé :

— Capitaine, je suis réellement heureux d'avoir pu me confier. Ça n'a pas été facile de vous cacher une chose pareille. Et savoir que vous me pardonnez me fait vraiment chaud au coeur.

La jeune femme lui sourit également en retour et posa une main sur celle, ridée, du vieil homme : le contact chaud et rassurant lui donnait à nouveau confiance en lui.

Soudain, un bruit de pas précipité se fit entendre dans le couloir, mais le temps que Tiana et Alistair se jettent à l’extérieur pour voir qui venait de s’enfuir, l’ombre avait déjà disparu. Les deux amis n’eurent que le temps de se retourner pour finalement se faire éjecter par le souffle d’une puissante explosion.

* * *

À bord d’un croiseur furtif de l’Alliance, les nombreux membres de l’équipage présents sur la passerelle étaient particulièrement préoccupés. En effet, cela faisait maintenant une semaine entière que celui qui avait exécuté leur commandant habituel restait dans le bureau accolé à la galerie principale. Il se disait parmi les officiers que cet homme mystérieux, caché derrière son masque, y restait pour s’entretenir avec le Quartier Général et qu’il mettait au point une stratégie novatrice pour écraser les dernières poches de résistance face à l’ordre prôné par l’Alliance. Il se disait aussi que leur précédent commandant avait été tué pour avoir été un rebelle infiltré. Pourtant si cela avait été le cas, cela n’aurait pas pris autant de temps pour s’occuper de tout ça.

C’était en tout cas ce que se disait le Caporal en charge des senseurs du vaisseau à qui on avait demandé de détecter la moindre interférence inhabituelle, hormis le bruit constant du vide sidéral. Certainement pour capter la position d’une base cachée qui n’aurait pas été encore découverte malgré les précieux indices que certaines sources avaient pu leur transmettre.

Soudain, alors qu’il commençait à trouver le temps extrêmement long, pensant certainement à quel point sa mission était futile, un relevé particulièrement intéressant s’afficha sur son écran : c’était le bruit causé par une explosion, à plusieurs années-lumière de leur position actuelle.

Avant même que le Caporal n’ait pu relayer l’information à son supérieur, une Lieutenant stationnée un peu plus loin derrière une console aussi immaculée que le reste des surfaces du vaisseau, le commandant sortit de son bureau. Il portait toujours son armure et son casque sombres, qui cachaient la moindre expression de cet homme.

Le voyant s’approcher et devinant son regard fixé sur lui, derrière la visière de son casque, le Caporal déglutit : malgré sa taille somme toute normale, le commandant avait une aura dérangeante et effrayante qui faisait baisser les yeux de quiconque sous ses ordres le croisait.

L’homme arriva rapidement au niveau du Caporal et s’exclama de sa voix distordue par le casque :

— Vous, là ! Venez me voir !

Le jeune Caporal s’exécuta et monta rapidement l’escalier menant à la plate-forme de commandement en demi-cercle qui surplombait toutes les autres postes des officiers de la passerelle. Le Caporal se mit au garde-à-vous et salua rapidement le mystérieux commandant.

— Qu’avez-vous trouvé, Caporal…
— … Rhys, Monsieur. Caporal Rhys. répondit l’autre. On vient de détecter une forte explosion à environ quatre années-lumière de notre position.

— Vous avez un cap, Caporal Rhys ? questionna le commandant, visiblement impatient.
— Oui, Monsieur ! Je l’ai transmis au Lieutenant en charge

Si Rhys avait été en mesure de le voir, il aurait vu les lèvres du commandant se muer en un large sourire carnassier. Enfin il allait pouvoir retrouver la proie qui lui avait échappé sur Fair Heaven.

— Bien. On peut dire que c’est de l’excellent travail autant de votre part que de la mienne, Caporal. Pilote, mettez le cap sur les coordonnées du Caporal ! ajouta-t-il à l’adresse du timonier du moment. Vitesse maximale !

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