CHAPITRE 8 : Marlin

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Après plusieurs haltes à la lisière de “systèmes-étapes” qui avaient permis à son moteur supraluminique de se recharger, le Charon, après presque une semaine et demi de voyage, allait enfin rallier le système Gamma Hydra. Mais l’ambiance entre les membres de l’équipage du cargo commençait à s’électriser : Mei s’était enfermée dans la salle des machines, comme dans un mutisme impénétrable pendant presque l’intégralité du voyage ; et si elle était restée à peu près convenable, il en avait été tout autrement pour certains de ses équipiers. Notamment Jack, qui, ayant prétexté l’isolement prolongée dans l’espace, avait vidé la totalité de sa réserve personnelle d’alcool, ce qui portait furieusement sur les nerfs de la plupart des autres personnes qui se trouvaient en son exécrable présence. Finalement, chacun avait essayé de s’isoler pour éviter de croiser le chemin de l’artilleur.

Tooms et Tiana s’étaient donc réfugiés sur la passerelle, le premier rongeant son frein en faisant encore les cent pas, attendant impatiemment que le moteur supraluminique se coupe enfin ; la seconde était de nouveau plongée dans son roman, quand soudain, face à l’impatience de son pilote, elle s’exclama :

— Tooms, arrête un peu de tourner en rond comme ça ! Tu vas vraiment finir par me rendre dingue !

Le timonier roula alors des yeux et s’écroula sur son fauteuil. Un silence se fit pendant lequel Tiana crut qu’elle pourrait continuer sa lecture quand soudain un claquement régulier se fit entendre : c’était le talon de la botte de Tooms qui frappait nerveusement le sol métallique.

Tiana ferma les yeux et inspira profondément pour ne pas exploser avant de fermer son livre et, après s’être levée, de le laisser sur son fauteuil vide. Si elle ne pouvait pas être tranquille sur la passerelle, elle irait alors faire le tour de son vaisseau.

Elle se rendit donc dans le mess où Sarina et Seilah étaient en train de réaménager le plan holographique de l’une des salles de chargements inoccupées. Les deux femmes semblaient s’être rapprochées l’une de l’autre si l’on en croyait les boutades et les nombreux éclats de rire qui fusaient de toute part. Cependant, la complicité des deux nouvelles amies était observée avec une certaine méfiance : celle d’Ethan qui les surveillait constamment depuis l’autre bout de la pièce, les fixant par-dessus l’imposant album de peintures qu’il feuilletait distraitement.

Voyant qu’il ne restait qu’Alistair qui ne répondait pas à l’appel, la Capitaine se dirigea vers la future infirmerie, où elle ne trouva finalement pas le médecin. Elle avait beau l’appeler et le chercher partout, il n’était pas là. Du moins le croyait-elle, quand le Docteur Gun sortit finalement de la pièce qu’il avait investie pour mettre en culture les graines qu’il avait trouvées sur la station. L’apercevant vêtu de son accoutrement de botaniste, qui consistait en un fin tablier le protégeant des saletés, et d’une paire de gants qui lui remontait jusqu’aux coudes, la Capitaine ne put réfréner un sourire.

— Alors Doc ? Quoi de neuf ? Vous voulez toujours rester à bord ?
— Plus que jamais. Je n’ai jamais eu l’occasion d’officier à bord d’un vaisseau et je trouve cela exaltant.

Fry haussa un sourcil : le médecin semblait étonnamment heureux de faire partie de l’équipage. Comme si cela avait toujours été le cas.

— C’est bizarre, Doc. Vu que vous aimez bouger, je vous aurais pas vu bloqué sur une planète.
— Oh, vous pouvez me croire, je me suis souvent déplacé tout au long de ma vie. Bien plus que je ne l’aurais voulu...

De nouveau, un air interrogateur s’afficha sur le visage de la Capitaine qui était sur le point de poser une question quand la voix de Tooms résonna dans tout le vaisseau :

— Boss, on arrive dans le système Gamma Hydra dans deux minutes !

La Capitaine se retourna vers l’un des nombreux boîtiers disséminés à l’intérieur de tout le vaisseau et en pressa l’unique bouton avant de déclarer :

— Bien compris. J’arrive tout de suite.

Dans son dos, le médecin réprima un soupir de soulagement alors que la Capitaine sortait de la pièce et s’élançait rapidement en direction du cockpit.

Arrivée sur la passerelle, la Capitaine eut le plaisir de voir enfin la troisième planète du système stellaire binaire de Gamma Hydra se dessiner à travers la verrière : une planète teintée de bleu par l’éclairage particulier de ses deux étoiles, et dont la surface était sillonnée de larges cercles lumineux qui représentaient les différentes cités.

Entendant les bottes de sa Capitaine racler sur le sol métallique, Ash se retourna vers cette dernière :

— J’ai essayé d’appeler Marlin, mais j’ai pas eu de réponse. Juste des interférences.
— Et bien, recommence jusqu’à ce que tu en aies une. répliqua Fry sèchement.
— C’est dingue quand même d’arriver sur la planète des réseaux de communication et de pas pouvoir appeler quelqu’un. maugréa le pilote.

Soudain, la voix de Marlin s’éleva dans l’habitacle :

— Tiana ? Réponds ! C’est Marlin !
— On vient juste d’arriver. annonça Fry. J’espère que tu as vraiment un boulot pour nous et qu’on est pas venu pour rien.
— Oui, cela est totalement certain, mais là n’est pas ton problème le plus important.

L’ancien Sergent échangea un regard avec son timonier qui se contenta de hausser les épaules. Lui non plus ne savait pas de quoi le marchand d’information voulait parler.

— De quoi tu parles ? s’inquiéta la jeune femme.
— Je ne peux pas t’en parler tout de suite, ma belle. Mais je vous expliquerai tout ça quand je viendrai vous chercher au spatioport principal.
— D’accord. On devrait y être d’ici quelques minutes…

La jeune femme croisa ses bras sur sa poitrine. Quelque chose de grave se passait et elle n’était pas du tout au courant. Et ça, elle en avait horreur. Ses lèvres se pincèrent, tellement la nature mystérieuse des propos de Marlin l’intriguait.

La jeune femme sortit précipitamment vers la passerelle, non sans s’être adressée à son timonier :

— Ash, trouve-nous une aire d’atterrissage et rejoins-moi dans la soute. J’y serai avec Seilah.

Le timonier hocha la tête tandis que sa Capitaine hélait sa compagne.

* * *

Lorsque la porte de la cale s’ouvrit enfin devant Tiana, elle eut la surprise de découvrir un spatioport d’une propreté rarement vue. Les plates-formes étaient surplombées par de larges arches métalliques torsadées et éclairées par de fins néons. Au sol, on ne voyait que des véhicules de chargement automatiques, qui naviguaient à quelques dizaines de centimètres du sol, suivant un chemin balisé par de minuscules lampes rouges disposées tout le long des aires d’atterrissage. Au-dessus d’eux plusieurs larges embarcations presque entièrement transparentes faisaient la navette entre les différents terminaux de départ et les vaisseaux en partance de la planète. Tout cela dans un immense ballet harmonieusement chorégraphié.

Seilah, qui suivait sa compagne de près, ouvrait des yeux exorbités. En effet, elle n’avait jamais posé ses pieds nus sur une planète si technologiquement avancée :

— Et bien, je n’avais jamais vu une telle chose.
— Même moi, ça m’en bouche un coin. admit Tooms. Et pourtant j’ai déjà vu ce genre de paradis pour hacker.

La jeune alien tourna la tête vers Ash qui continua son explication :

— Toutes les firmes les plus puissantes de la galaxie en matière de technologie ont au moins un siège social ici. Ça m’étonne même pas que Marlin se soit installé ici. D’ailleurs, il est censé nous retrouver où ?
— À l’entrée, j’imagine. Allez, on y va. lança Fry.

La Capitaine mena alors ses deux meilleurs amis vers la sortie et bien qu’elle ne fut pas confrontée à la moindre douane se trouva rapidement en face d’un problème : Marlin n’était pas là. À sa place, un homme impressionnant par sa taille et sa carrure, et à la peau sombre, tenait un écriteau holographique au nom de Tiana.

La jeune femme avança rapidement vers le colosse et d’une voix teintée d’une pointe de sarcasme, lui lança :

— Vous pouviez pas faire plus discret. Surtout quand on sait qu’apparemment on a des problèmes qui suivent…

Le garde-du-corps secoua alors la tête et, d’un geste rapide de la main, il indiqua les différentes caméras du hall : celles-ci étaient totalement inopérantes. Le colosse dévoila alors un sourire éclatant et déclara d’un ténor presque envoûtant :

— Monsieur Marlin n’est pas quelqu’un qui laisse les choses au hasard, Mademoiselle Fry. Il a tout prévu dans les moindres détails.
— Je sais, Jana. Sinon quoi de neuf depuis…
— … près d’un an ? coupa le colosse. Et bien, je pense qu’il est préférable que Monsieur Marlin vous le dise lui-même. ajouta-t-il alors qu’il menait les trois invités jusqu’à l’intérieur d’une navette de luxe.

Le timonier avait pris place près de Jana, laissant les deux femmes de leur côté, sans remarquer les regards en coin que lui lançait le colosse, ce qui ne cessait de déclencher l’hilarité de Tiana et de Seilah. Et plus le pilote semblait exaspéré par l’attitude désinvolte du couple, plus les femmes riaient aux éclats. Finalement, il se tourna, admirant par la vitre les hauts gratte-ciels de Gamma Hydra III, et songea qu’un appartement ici devait coûter une véritable fortune.

Après quelques minutes de trajet pendant lesquelles la discussion n’avait tourné qu’autour de l’année passée pour Jana et Tiana, le véhicule se posa enfin, laissant les quatre passagers enfin respirer à l’air libre : ils étaient arrivés sur la terrasse d’une immense tour. Le vent accéléré par la hauteur leur giflant le visage, le colosse invita donc les trois invités à entrer dans la suite qui devait appartenir à Marlin.

Ils pénétrèrent donc dans un appartement moderne et indécemment luxueux. La plus surprise était certainement Tiana, qui avait connu le marchand d’information sans le moindre crédit en poche, vivant à même le sol, dans la poussière et la saleté. Là, on pouvait trouver d’immenses tableaux accrochés sur les murs immaculés et des meubles de créateurs de renommée galactique. C’était tellement ostentatoire que Tiana se disait que si elle avait la possibilité de revendre l’une de ces magnifiques pièces, les fonds générés pourraient la maintenir à flots pendant au moins un an entier. Mais c’était bien entendu hors de question. Marlin était un ami.

C’est alors que, dans leur dos, descendant les marches de l’escalier qui menait à son bureau, le marchand d’information fit son entrée. Et si un jour Tiana l’avait connu miséreux, avec des vêtements déchirés et délavés, les cheveux gras, en cet instant il en était tout autrement : il était vêtu d’un costume trois-pièces vert et ses cheveux bruns et frisés étaient propres et coiffés avec soin.

— Tiana ! s'écria Marlin, avec un sourire jusqu'aux oreilles. Je suis content de te revoir.
— Ça faisait longtemps, Barnes. lui répondit Fry. Je vois que tu n'as pas perdu de temps pour étendre ton influence. ajouta-t-elle en désignant le mobilier de l’appartement d’un geste large, signe que les affaires du marchand étaient florissantes.

— Oh non. Tu exagères. Je possédais déjà toutes ces babioles la dernière fois, sur Harop.
— Tu crois ? Pourtant tu étais pas aussi bien équipé… répliqua la Capitaine avec un sourire.

Marlin tendit alors un doigt devant lui, coupant Fry dans son élan. Il jeta un oeil aux deux amis qui accompagnaient Tiana et un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres :

— Mais, ne serait-ce pas cette chère Seilah ? s’écria-t-il. Il me semblait bien avoir reconnu le bout de tes cornes. Alors qu’attends-tu pour me serrer dans tes bras ?

La jeune alien se jeta alors au cou de Barnes, heureuse de retrouver son ami.

— Ça me fait tellement plaisir de te revoir, Marlin. déclara-t-elle.

La relâchant après une courte mais intense étreinte, le marchand se retourna vers Ash, qui semblait mal à l’aise. En effet, Barnes le dévisageait. Il s’avança alors vers le timonier, prit sa main entre les siennes et murmura :

— Tooms, c’est toujours un plaisir d’être en ta présence.
— Si tu le dis, Barnes. Et si tu nous disais pourquoi on est là ?

Le marchand s’écarta alors, se dirigea vers son bar personnel de l’autre côté de la pièce.

— Tes désirs sont des ordres, mon petit Tooms. Mais avant toute chose, mettez-vous tous à votre aise.

Marlin empoigna une bouteille étincelante de propreté et versa un peu de son contenu dans quatre verres à pied tandis que les trois invités s’asseyaient sur un large canapé aussi immaculé que le reste de l’appartement. Il déposa les coupes alors sur la table basse près de laquelle Tiana et ses amis venaient de s’installer. Le marchand en attrapa une et engloutit la moitié de son contenu d’un seul coup.

— Bien. Vous préférez quoi en premier ? La bonne ou la mauvaise nouvelle ? demanda-t-il.
— La mauvaise. répliqua Tiana. Pour une fois, j’aimerais finir sur une note joyeuse...
— Vous êtes recherchés. Pas ici, bien entendu. Mais ça ne saurait tarder. Un mandat d’arrêt provenant de Fair Heaven a été lancé sur le Charon ainsi que sur chacun d’entre vous.

Seilah ne put s’empêcher de déglutir tandis que Tiana se pinçait l’arête du nez entre le pouce et l’index et soupirait. Seul Ash semblait impassible, se contentant de fixer le fond de son verre.

— Et pour la bonne nouvelle ? soupira-t-il brusquement.
— J’ai un travail pour vous. Un simple transport de marchandises.

— Quel genre de marchandises ? Des armes ou des matières dangereuses ?

Barnes eut un sourire. Il sortit alors de sa poche un pad qu’il tendit à Tiana.

— Pas le moins du monde : uniquement de la nourriture et des médicaments.

La jeune humaine regarda rapidement l’énoncé de la mission, ainsi que la rémunération qui y était jointe. Une expression de stupeur apparut sur son visage :

— Sérieusement ? Tous ces crédits pour un simple transport ? Mais c’est qui le type à qui on doit livrer ?
— Le client est apparemment une tête régnante administrant l’une des planètes de la région. D’après mes renseignements, il a toujours payé et je ne prévois pas le moindre coup fourré de sa part.

Tiana acquiesça. Elle savait que Marlin Barnes était quelqu'un de confiance et qu’il ne la lancerait pas dans une mission dangereuse s'il ne la pensait pas capable de réussir.

— Je sais que tes informations sont fiables, Marlin. Tu peux envoyer la cargaison à mon vaisseau. déclara Fry.
— J’étais certain que tu accepterais. J’ai donc pris les devants et je l’ai déjà fait. J’espère que tu ne m’en veux pas. expliqua le marchand en lançant un clin d’oeil à la Capitaine.

C'est alors que Seilah s’empara de l'ordre de mission. Elle prit un moment pour lire et son regard s'arrêta sur le nom du client et, entre la surprise et l’horreur, attirant l’attention de tous ceux présents, elle s’écria :

— Non ! Pas lui !

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