CHAPITRE 5 : Rebondir ou mourir

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Tiana avait donc suivi le conseil de Tooms et avait chargé Seilah de faire visiter le vaisseau aux nouveaux arrivants. De son côté, l’ancienne militaire s’était rendue vers la passerelle, mais avait décidé de faire un détour avant d’y arriver. Elle descendit une échelle et se rendit dans les quartiers qu’elle partageait avec sa compagne afin de troquer ses vêtements trempés de sueur contre d’autres propres. Mais quand elle les retira, la jeune femme sentit rapidement que ce n’était pas uniquement ses habits qui empestaient. Elle se dirigea alors droit vers la salle d’eau accolée à ses quartiers et alluma la douche qui laissa se déverser sur le corps nu de Fry une eau chaude revigorante.

Peu après, le timonier, toujours aux commandes du vaisseau vit une Tiana Fry en apparence rayonnante et détendue, vêtue d’une tenue brune qui rappela au pilote les années qu’ils avaient passées ensemble au front. Pourtant, à l'intérieur, la Capitaine était catastrophée.

Du fait qu'ils avaient perdu leur cargaison, ils n'avaient pas été payés et leur départ précipité de Fair Heaven avait empêché bien des choses : leur approvisionnement en denrées alimentaires notamment, mais également en pièces mécaniques afin de permettre au Charon de fonctionner de manière optimale. Et ce n'était pas le pire : en effet, Tiana se doutait bien qu’un homme aussi puissant que Bradock ne les laisserait pas s'échapper sans essayer de leur donner à tous “une bonne leçon”. Tiana en était terrifiée. Elle savait que Bradock pousserait le sadisme jusqu’à faire torturer les autres membres du Charon devant elle avant de la faire achever, sans se salir les mains.

Il y avait également la question de se renflouer et donc de trouver du travail. Mais où ? Ça, Tiana l’ignorait.

Tooms n'était pas tranquille non plus : il ne savait que trop bien ce que les gangs de Fair Heaven pouvaient réserver à leurs ennemis, surtout s’ils étaient engagés par le magnat de la pègre de cette planète-là qu’était Elim Bradock. Et il refusait de voir ça arriver à ses amis. Toujours assis à son poste de pilotage, il demanda à Fry :

— Bon, Capitaine. On fait quoi maintenant ? On disparaît ?
— Avec des passagers à bord ? Pas question ! lui répliqua Tiana. En plus, sans fric, on ira pas loin.
— Alors il nous reste quoi comme option ?

Elle fixa les étoiles au loin, à travers la verrière du Charon et s'assit sur son fauteuil au centre de la pièce avant de prendre une minute pour évaluer ses options. Elle croisa ses bras sur son torse et se mordit l’intérieur des lèvres, un tic qui ne voulait dire qu’une chose : le temps de l’improvisation était révolu.

— Tooms, montre-moi où on est et jusqu’où on peut aller avec ce qu’il nous reste de carburant. ordonna-t-elle, brusquement.

Le timonier s’exécuta et afficha l’hologramme de la zone ainsi qu’une sphère de quelques centimètres de rayon représentant plusieurs années-lumière de distance.

— Tu vois un endroit prometteur ? s’inquiéta le pilote en voyant que Tiana ne réagissait alors pas.

Soudain, alors que l’ancienne militaire était sur le point d’enchaîner avec le fruit de ses réflexions, les lumières de tout le vaisseau se mirent à s’éteindre par intermittence. La carte holographique ainsi que toutes les informations de vol disparurent d’un seul coup, avant de revenir presque aussi rapidement. Après avoir lancé un regard interrogatif à son timonier, la grande brune se leva pour presser le bouton de l’intercom :

— Mei ! Qu’est-ce qui se passe ?

À l’autre bout, la jeune Azrienne semblait totalement affolée, ce qui était particulièrement étrange quand on savait que Mei était un véritable petit génie de la mécanique et qu’elle connaissait ce vaisseau comme sa poche.

— Je n’en sais rien. J’ai bien une explication, mais je sais déjà que ça va pas te plaire.
— Attends-moi. J’arrive. déclara Fry, voyant que la panique de son ingénieure allait vite se transmettre aux autres membres de l’équipage si elle ne se déplaçait pas jusque dans la salle des machines.

La Capitaine courait à travers les étroits couloirs de son vaisseau, espérant que personne ne se serait inquiété outre mesure des faiblesses mécaniques du cargo. Elle n’avait nullement besoin de gérer une crise de panique supplémentaire. Fry traversa le mess et bifurqua vers le couloir de gauche, celui qui descendait vers les salles inférieures. Elle savait que c’était le moyen le plus rapide pour atteindre le sas de la salle des machines et régler la panne.

Quand elle y arriva enfin, l’ancienne militaire découvrit Mei en train de se balancer d’un bout à l’autre de la pièce, calfeutrant les épais nuages blanchâtres au fur et à mesure qu’ils apparaissaient. L’Azrienne sautait de tuyau en tuyau, et si la situation n’était pas si urgente, Fry aurait pu l’observer pendant plusieurs minutes tant les gestes de l’Azrienne étaient gracieux et précis.

À chacun de ses bonds, l’exaspération de la jeune alien montait d’un cran si l’on en croyait l’intensité de ses gémissements de colère. Sachant qu’elle n’aurait rien de la part de son ingénieure tant qu’elle ne serait pas calmée, Tiana l’appela sèchement :

— Mei ! Viens là et explique moi tout !

Au son de la voix de sa Capitaine, la jeune alien atterrit devant elle. Mei était vêtue de sa combinaison de travail habituelle : une simple salopette bleue, sur un débardeur blanc, couvert d'huile et autres produits salissants. Mais la première chose que Tiana nota en voyant sa mécanicienne ainsi, c’était qu’elle n’en pouvait littéralement plus, tant moralement que physiquement.

— Tu vas prendre une pause pendant deux minutes et tu vas calmement m'expliquer ce qui se passe. ordonna Fry.

Pour toute réponse, la jeune Azrienne lâcha ses outils qui s’écrasèrent lourdement au sol et se laissa tomber en pleurs dans les bras de sa Capitaine.

— Je ne sais pas pourquoi elle a réagi comme ça ! expliqua Mei en parlant du Charon comme s’il s’agissait d’une fille faite de chair et d’os. J'ai enclenché l'écran occulteur, comme à chaque fois, et d'un seul coup, tout est parti en vrille. L'alternateur a grillé, et comme on n'a plus de pièces de rechange, j'ai dû utiliser celles de l'un des générateurs des systèmes auxiliaires pour le remplacer. C’est ça qui a provoqué les baisses de tension puisqu’on en n’a plus qu’un seul pour maintenir à flots tous les circuits électriques secondaires. Si on ne s'arrête pas pour réparer, ce sont les systèmes principaux qui vont se couper…

Voyant bien que sa mécanicienne n’arrivait pas à se calmer d’elle-même, Tiana entoura de ses bras le corps frêle de Mei, encore secoué de sanglots. Elle posa une main rassurante dans son dos tandis que de l’autre elle caressait la tête de l’Azrienne, posée contre sa poitrine.

— Écoute, ma grande. Je sais que tu fais tout ce que tu peux pour elle, comme pour nous. lui répondit Fry, d'une voix douce tout en passant ses doigts dans les longs cheveux de Mei collés par la transpiration. Pour ce qui en est de ta réparation, elle tiendra combien de temps environ ?
— Aucune idée. Un jour ou deux, maximum.

— Et tu as une idée d’un endroit où on pourrait en trouver un autre ?
— Et bien, comme tu le sais c’est un simple alternateur qui a grillé. Un modèle standard, donc...

— D’accord, je vais voir ce que je peux faire. Je te le promets. D'ici là, ménage-toi un peu, c’est un ordre. Je tiens à ce que tu puisses faire encore des miracles si jamais on te trouve les pièces nécessaires.

La jeune alien, le visage toujours imprégné de larmes, acquiesça, et sourit à son Capitaine. Elle savait que Tiana mettrait tout en oeuvre pour tenir ses promesses.

Tiana repartit précipitamment vers l’avant du vaisseau et croisa Seilah, toujours vêtue de l’une de ses amples toges. Elle paraissait inquiète quant à l’état de Mei.

— Ça va aller pour la petite ? demanda l’alien, visiblement soucieuse. Elle doit être particulièrement secouée entre ce qui s’est passé sur Fair Heaven et la panne de son vaisseau adoré.
— Comment ça, “ce qu’il s’est passé sur Fair Heaven” ? demanda Fry en mimant les guillemets avec ses doigts.

Seilah mit alors l’ancienne militaire au courant des insultes racistes qui avaient été proférées à l’encontre de la petite Azrienne. Elle put également voir les muscles des mâchoires de Fry se contracter à mesure que son récit avançait.

— Je te jure que si j’en entends un seul faire la moindre réflexion…
— Je sais, Tiana. Et crois-moi, je sais très bien ce que ça fait de se prendre ce genre de paroles viscéralement mauvaises.
— Peut-être. Mais je n’accepterai pas que l’une de vous deux se fasse insulter comme ça ! s’emporta-t-elle. Je veux que tu fasses passer le mot aux passagers !

Seilah comprenait la fureur de sa compagne mieux que personne. Elle lui prit alors la main dans l’espoir de la calmer et la rassura :

— Je peux t’assurer que ces gens ne sont pas comme ça. D’après ce que m’a dit Tooms, c’est l’un d’eux qui a défendu la petite.
— Ah bon ? demanda Fry, surprise. Lequel ?
— Le médecin.

Tiana sourit alors en entendant cette nouvelle : l’élégant Docteur Gun n’était donc pas le genre de boucher que l’on pouvait trouver dans la plupart des mondes de l’Alliance et avait vraiment de la considération pour les aliens. C’était presque incroyable pour Fry qui n’avait jamais vu ce genre de tolérance chez les médecins.

— D’accord, mais touche-leur en quand même un mot. Juste pour être sûr.
— Tes désirs sont des ordres. rigola Seilah en déposant un baiser sur la joue de sa compagne.

Tiana, de son côté, reprit rapidement le fil de ses pensées, et notamment la promesse qu’elle avait faite à Mei : lui trouver des pièces de rechange pour le moteur. Et elle savait déjà où chercher. Elle s’élança à travers les couloirs du Charon pour revenir sur la passerelle où Tooms était en train de vérifier une énième fois la puissance des systèmes de propulsion. En entendant arriver Fry, il se retourna :

— Alors ? Comment va-t-elle ?
— Qui ça ? Mei ou la grande fille qui nous sert de maison ?

Le timonier eut un petit rire en entendant sa Capitaine reprendre les habitudes linguistiques de l’Azrienne.

— Mei, évidemment. Si elle va bien, je sais que le Charon ira bien aussi.
— Franchement, ça ne va pas trop. Et pour une fois, tu as aussi raison pour notre vaisseau. Il faut qu’on s’arrête pour réparer, sinon c’est la panne définitive dans un ou deux jours.

Le pilote ouvrit des yeux exorbités alors que Fry le mettait au courant des dernières nouvelles.

— Tu es folle ? Regarde un peu cette carte !

Il afficha l’hologramme de la carte stellaire de la région et un point se mit à clignoter :

— Ça c’est notre position ! Et là… expliqua-t-il en désignant une zone délimitée de rouge tout près. C’est la frontière officielle du territoire de chasse des Charognards ! On a nulle part où se poser pour faire les réparations.
— Oui, je sais ça, Tooms, mais on a pas le choix. C’est un risque que je suis disposée à prendre. Sinon le Charon va être une simple épave à la dérive avec huit corps congelés à l’intérieur.

La déclaration de Tiana choqua le timonier qui eut du mal à déglutir.

— C’est grave à ce point ?
— Oui. Donc je veux que tu me trouves la station abandonnée la plus proche. On part en chasse !

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