CHAPITRE 2 : Le Kyben

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Après environ douze heures de vol, le Charon était en vue de Fair Heaven. En apparence, cette planète paraissait totalement normale avec ses zones boisées et de nombreux lacs. Un vrai petit bout de paradis. C'était d'ailleurs ce que l'Alliance pensait faire de cette terre avant la Guerre et la prise de contrôle par la pègre.

Mais, en vérité, il en était tout autrement : au nom de Fair Heaven on pouvait souvent trouver juxtaposés les termes de “décharge”, “bourbier”, “nid à problèmes” ou encore “coupe-gorge”. Mais, pour une pirate de l'espace comme Tiana, Fair Heaven était plutôt synonyme d'offre d'emploi et de lieu de paiement car c'est ici qu'elle se permettait de choisir ses missions et qu'elle négociait leurs rémunérations, en fonction du caractère plus ou moins légal de ces activités, ainsi que des risques que son équipage et elle-même seraient amenés à prendre.

Le Charon venait tout juste de pénétrer dans l'atmosphère polluée de la planète quand, sur la passerelle, Tooms s'identifia et demanda l'autorisation d'atterrir :

— Fair Heaven, ici le Charon. Identifiant 742-05. Demande autorisation d’atterrir au spatioport central.
— Mon petit Tooms, c’est toi ? s’écria une voix féminine et nasillarde, que le pilote reconnut presque immédiatement. Ça fait une paye que j’ai pas eu le plaisir de t’entendre.

L’homme déglutit. Il sentait dans son dos le regard inquisiteur de sa Capitaine et cela le mettait particulièrement mal à l’aise.

— Franchement, tu veux vraiment pas savoir. se contenta-t-il d’expliquer à Tiana qui se dirigea vers la soute principale en riant.

Tooms, lui, était devenu écarlate de honte et savait qu’il n’allait pas cesser d’entendre parler de cette histoire. Il répondit alors à la contrôleuse aérienne sans savoir comment il allait se défaire de cette femme.

— Oui Jen, c’est moi. soupira le timonier, en repensant à la jeune femme, qui, dans ses souvenirs, était d’une vulgarité sans pareille mais également une véritable sangsue. Tu sais pourquoi on est là et tu sais aussi qu’il faut pas qu’on attende.
— Oui mon chou, je sais bien. Mais si tu veux passer avant tout le monde, il faudra me renvoyer l’ascenseur.
— Euh, Jen. Comment te dire…? hésita-t-il, ne voulant pas la blesser inutilement. Le prend pas mal mais je crois pas qu’on va pouvoir rester longtemps. Tu sais comment est Tiana.

La communication avec Jen coupa brusquement et d’un seul coup, le pilote entendit une voix masculine, certainement celle de son responsable, brusquement la remplacer.

— Identifiant 742-05, ici Fair Heaven. Veuillez payer la taxe de séjour et vous diriger vers la plateforme d’atterrissage numéro six.

Tooms soupira, écoeuré. Il se doutait bien qu’ils auraient été taxés lors de leur arrivée à Fair Heaven, mais avait caressé l’espoir d’y échapper en entendant la voix de son ancienne conquête. Mais c’était comme ça ici. Soit on payait la taxe particulièrement élevée, soit on partait se poser ailleurs.

— Bien compris. 742-05, terminé.

Il dirigea alors le Charon droit vers le spatioport, en empruntant les voies aériennes délimitées par des balises lumineuses.

De leur côté, Tiana, Jack et Seilah s'apprêtaient déjà à partir avec la Hover-Car, un véhicule, tout-terrain puisqu’il lévitait au-dessus du sol, qui leur permettrait de se déplacer plus rapidement dans le bazar qu'était la surface de Fair Heaven. En effet sur le mince couloir bétonné qui reliait les différentes plates-formes les unes aux autres, et qui formaient ainsi l’aire d’arrivée du spatioport principal de Fair Heaven, se croisaient partants et arrivants, véhicules et marchandises en tout genre, soulevant un opaque nuage de poussière dans un brouhaha agressif.

Dans la soute, alors que les membres de l’équipe finissaient les dernières vérifications d’usage, Mei scannait les deux caisses de lingots qui trônaient dans un coin à l’aide d’un étrange appareil. Une secousse caractéristique indiqua aux membres de l’équipage présent que Tooms avait enfin réussi à poser le vaisseau sans encombre et la mécanicienne se dirigea vers Fry pour lui tendre le fameux boîtier :

— Bon, tu sais comment ça fonctionne n’est-ce pas ? demanda-t-elle, sans être réellement inquiète.
— Bien sûr, c’est pas ma première transaction. Et toi, gamine ? Tu te souviens de ce que je t’ai dit ?
— Oui, Boss. Du charme… répondit l’Azrienne en soupirant.

Tiana passa une main dans les cheveux blancs de sa mécanicienne en lui souriant, bien que celle-ci détournait le regard.

— Écoute, je sais que tu en es capable. Alors, crois en toi.

Après un long soupir éloquent qui coupa court à la discussion, la petite Azrienne se dirigea vers le gros bouton qui actionnait l’ouverture et la fermeture de la porte de la soute et laissa partir le véhicule avec ses trois passagers, avant de tourner les talons pour revenir momentanément dans son antre : la salle des machines du Charon.

Pendant ce temps, Tiana et ses compagnons se frayaient difficilement un chemin dans la foule dense qui encombrait la chaussée, mais qui se faisait de plus en plus éparse. Peu à peu l’environnement changeait : aux bidonvilles accolés au spatioport succédaient des bâtiments de plus en plus cossus, allant même jusqu’à de rares gratte-ciels qui contrastaient avec la pauvreté ambiante. Mais Tiana ne comptait pas aller jusque là : elle bifurqua brusquement et se dirigea droit vers les quartiers chauds de la cité où ils se trouvaient.

En quelques minutes, la petite équipe arriva devant un bar d'où s’échappait des accords puissants de guitare électrique et d’autres sonorités électroniques somme toute assez mélodieux. L’entrée était surmontée par une enseigne lumineuse indiquant son nom, le Kyben, et gardée par deux énormes colosses à la peau écailleuse et rougeâtre et aux crocs aiguisés comme des rasoirs. À leur flanc pendait une large épée dont la lame dentelée faisait bien la taille de Tiana, mais surtout, qui était couverte de sang encore tout frais.

Arrivée à destination, la pirate descendit prestement du véhicule qu’elle avait arrêté et se dirigea aussi rapidement vers l’entrée, Jack sur les talons. L’un des gardes les voyant arriver essaya de s'interposer. Mais d'un geste vif, Fry prit son élan et se jeta sur le dos du garde, tout en sortant son blaster et en le braquant sur la tête du colosse qu’elle chevauchait, tandis que Jack dégainait un fusil et le braquait sur l’autre garde. D'une voix forte, afin d’être entendue des deux aliens, elle s’exclama :

— Essayez encore de m'empêcher de passer et vous deux, vous finissez en cendres ! J’ai rendez-vous !

Un grésillement attira alors son attention : c’était l’interphone du club, et la ligne directe entre le maître des lieux et les deux videurs. Une voix suave, presque enjouée se fit alors entendre :

— Laissez-la passer. Elle a quelque chose pour moi.

Tiana sauta alors sur le sol et rangea son calibre dans son holster.

— Bon, maintenant que c’est réglé, je peux compter sur vous deux pour surveiller mon véhicule et ma compagne ? demanda-t-elle avec sarcasme et sous le regard amusé de l’intéressée.
— Comme si je pouvais pas me tenir… répliqua cette dernière, hilare.

Les deux colosses grognèrent, certainement de honte mais également pour lui dire d’entrer. Fière, suivie de Daniels, elle leur passa devant, laissant Seilah à l’extérieur, pour vérifier que personne n'allait essayer de s'emparer de la Hover-Car, ou bien de la désosser au beau milieu de la rue.

À l'intérieur du Kyben, la musique était presque insoutenable tant elle était forte. Les deux pirates arrivaient à peine dans le vestibule qu’une atmosphère épicée et étouffante qui n’avait rien de naturel leur monta à la tête, et déjà d’autres problèmes pointaient le bout de leur nez : des gardes, humains cette fois-ci, habillés de costumes sombres demandèrent leurs armes à Daniels et Tiana, ce à quoi la Capitaine répondit par un majeur bien tendu. Des mots résonnèrent dans l’oreillette que les vigiles portaient, laissant aux deux compères le temps d’observer la salle principale du club : un large bar géré par un robot, ainsi que des danseuses aliens qui s’exhibaient d’une manière particulièrement vulgaire devant les quelques clients présents. En gros, un calme assez inhabituel pour un endroit si fréquenté par la pègre de la région.

L’un des gardes fit un signe de la tête aux deux complices et ceux-ci furent menés le long de la galerie qui surplombait tout l’étage jusque dans une salle au fond du bâtiment, où la musique était presque inaudible.

On les poussa brutalement à l’intérieur et les deux amis se retrouvèrent dans le bureau du maître des lieux : c’était une pièce sombre aux murs intégralement recouverts d’un épais tissu rouge foncé, qui, selon la propre estimation de Tiana, avait dû coûter horriblement cher.

Un homme était assis à son bureau, derrière lequel étaient accrochés au mur une mosaïque d’écrans, rapportant en continu des informations depuis les quatre coins de la galaxie. L’homme avait le visage assombri par le chapeau qu'il portait toujours par dessus son épaisse tignasse rousse. Il semblait en plein travail, la tête plongée devant son ordinateur personnel. Tiana le salua :

— Bradock.

Le marchand d’information leva la tête de son travail et claqua des doigts, relevant les vigiles de leur garde. Mais avant même que les deux amis aient pu se détendre un seul instant, ils étaient déjà cernés par trois hommes de mains de Bradock. Il s’agissait de son associé au teint doré, Lino, et de ses deux porte-flingues du moment, deux Oboliens aux oreilles pointues du nom de Kilar et Sal. Un trio que Jack et Tiana connaissaient bien pour les avoir eu en face d’eux quelques mois auparavant. Et ce jour-là, ils n’avaient dû leur salut qu’à l’exceptionnelle magnanimité d’Elim Bradock.

— Capitaine Fry... répondit l'autre. Et c'est ce cher monsieur Daniels, que je vois derrière vous ? ajouta-t-il de sa voix suave. Vous avez ma marchandise ?

— Oui. Et on a bien failli se faire choper. Donc, je pense que ça vaut une petite prime de risque. répliqua Jack.

— Capitaine, pourriez-vous faire taire votre roquet, ou je m'en charge ? s’écria la crapule en se levant d’un seul coup. Et pour votre gouverne, Daniels, la prime était comprise dans le tarif de la mission ! continua-t-il, cinglant. Vous êtes ici, chez moi. Alors mon gars, ne vous avisez pas de me parler à nouveau sur ce ton si vous tenez à repartir d'ici en un seul morceau.

Voyant que l'ambiance tournait au vinaigre, Tiana essaya de calmer les choses :

— Elim. Je pense qu'on est parti sur de mauvaises bases. Alors, reprenons tranquillement. Tu nous as demandé une certaine cargaison qui était à bord d’un croiseur bien particulier de l'Alliance. Comment tu as su qu'il allait se faire harponner par des Charognards, ça, c'est encore un mystère, mais on a ton chargement. Tout ce qu'on veut, c'est être payé.

Le criminel se dirigea alors vers la pièce accolée au bureau, qui servait de petit salon et bifurqua vers le bar avant de se servir un verre. Il en huma les effluves et trempa ses lèvres dans la liqueur. Se tournant vers Fry, il lui offrit silencieusement un verre qu’elle déclina de la tête, au grand désespoir de Daniels. Puis se tournant vers l’immense baie vitrée qui donnait sur l’étage inférieur du club, il déclara simplement :

— Bien entendu, très chère Tiana. Comment refuser une somme si rondelette à une femme si... droite ? Et pour votre gouverne, je vis des secrets des autres. Plus j'en sais, mieux je me porte et mes partenaires également. Et pour ce qui est de ladite cargaison et de son contenu, je préfèrerais en avoir le coeur net, donc si vous voulez bien me la montrer tout de suite, nous pourrons faire affaire.

Tiana prit le fameux boitier que Mei lui avait remis plus tôt dans sa poche arrière et l'activa avant de le poser au milieu du bureau. Elle recula de quelques pas alors qu’une série de bips se firent entendre. Les deux caisses provenant du croiseur se matérialisèrent à ses pieds.

— Cette technologie est vraiment miraculeuse. Vous n’imaginez pas combien je pourrais en tirer, rien que pour l’appareil que vous détenez, ma chère. s’extasia Bradock.
— Ce n’est pas à vendre et vous le savez déjà.
— Oh, mais ça ne fait aucun mal de demander...

Toutefois, les ennuis ne faisaient que commencer. Car, dehors, une brigade de sécurité de l'Alliance se dirigeait tout droit vers le Kyben.

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