CHAPITRE 1 : Du vol ? Mais non…

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DEUX ANS PLUS TARD

Le Charon était en vol stationnaire, près de la section arrière de la carcasse déchiquetée d'un croiseur de l'Alliance. Le spectacle était terrifiant : l’immense vaisseau avait été littéralement coupé en deux. Par chance, les auteurs de ce massacre s’étaient retirés de la zone, laissant le champ libre à l’équipage du vaisseau-cargo.

Aux commandes, sur sa passerelle, se tenait Tooms. Les yeux rivés sur les résultats holographiques des senseurs du vaisseau, il avait pour seule compagnie Seilah, une alien anthropomorphe aux cheveux longs et noirs. Elle était vêtue d’une longue et ample tunique brune qui détonnait par son manque de praticité à bord d’un tel vaisseau. Ce qui, pourtant, ne semblait pas la déranger. Mais ce qui était le plus notable chez elle était la large paire de cornes striées qui ornait chacun des côtés de son crâne, et l’épais bandeau pâle qui ne quittait jamais son front. La jeune alien, le sourire aux lèvres, bavardait gaiement avec l'équipe partie “s'occuper” de l'épave :

— Alors ? Ça donne quoi, ma grande ?
— Oh. Et bien, ça s'annonce plutôt bien. Deux grandes caisses de lingots. Et assez de carburant pour nous permettre d'aller au moins jusqu'à Juri... pour nos vacances, lui répondit la voix de Tiana, apparemment de bonne humeur.

— Juri ? songea Seilah, pourquoi pas après tout. C'est la destination favorite des amoureux, non ? Il faudra surement que je refasse ma garde-robe et la tienne aussi, par la même occasion.

— Qu'est-ce qu'elles ont mes fringues ? Elles ne te plaisent plus, tout à coup ? répliqua l'ancienne militaire, faussement vexée.

— Tu sais très bien que si. Tout me plait sur toi. Quoique... sans rien c'est aussi bien.

Bien qu’entendre sa Capitaine aussi heureuse le ravissait, Tooms commençait à être mal à l'aise à force d’entendre les deux femmes flirter ainsi. Les démonstrations affectives en public avaient une certaine tendance à l’agacer. Mais ce n’était pas la seule raison de son anxiété grandissante : selon lui, leur petite affaire prenait beaucoup trop de temps et augmentait le danger qu’ils couraient tous. Après avoir passé une main dans son épaisse touffe de cheveux bouclés et exprimé son exaspération dans d’un soupir éloquent, il s'empara du microphone de la radio :

— Capitaine, sauf ton respect, tu sais qui est responsable de ce carnage. Et tu sais aussi qui on est en train de voler. Alors tu comprendras que j'aie pas forcément envie de rester ici plus longtemps que nécessaire. Donc si c’est pas trop demandé, vous pourriez essayer de vous dépêcher !

— Tooms, mon grand, c'est pas du vol. lui répondit Tiana avec le plus grand calme. C'est de la récupération. Et pour ce qui est des Charognards ou de l’Alliance, on sera parti avant qu'ils aient le temps de rappliquer.

Tooms soupira. Même après tout ce temps, Tiana Fry jouissait toujours d’une assurance à toute épreuve, sans imaginer un seul instant qu’un jour cela pourrait peut-être lui revenir en pleine figure.

— Tu sais ce que j’en pense, n’est-ce pas ?
— Oui, Tooms, je sais. Et je te dis que tu es trop pessimiste.
— Pas pessimiste, Tiana... Réaliste !

Soudain, un bip régulier résonna dans l’habitacle. Affolé, Tooms regarda Seilah. Celle-ci comprit et récupéra le microphone des mains du pilote qui, lui, se précipitait à son poste :

— Mon coeur, dépêche-toi. On a de la compagnie.
— Je fais comme je peux… ronchonna Fry.

Tooms, de son côté, avait affiché l’hologramme du vaisseau qui était en approche de leur position.

— Une patrouille de l'Alliance composée d’un seul vaisseau : un autre croiseur. annonça-t-il à Seilah, qui relaya l'information. On aura aucune chance s’ils nous trouvent ici.
— Tooms ! Dis-moi pour combien de temps ils en ont avant d’arriver sur notre position ! s’écria Fry.
— Dix minutes. Peut-être moins.

Il pressa un bouton au-dessus de lui, et sa voix retentit dans tout le vaisseau :

— On a un croiseur qui vient droit sur nous, Mei. Prépare toi à recevoir la marchandise et à nous occulter dès qu’ils sont à bord.

Mei était la plus jeune de l'équipe, mais aussi une mécanicienne de génie. Sous ses airs de gamine désabusée, elle pouvait faire du Charon une bête de course, mais également le faire disparaître tant des écrans radars qu'aux yeux de tous. Cette petite Azrienne, une alien aux traits félins, était vraiment unique en son genre et représentait à elle seule le plus précieux des atouts de cette “famille” peu orthodoxe.

De son côté, l'équipe de récupération s'apprêtait à partir aussi vite que possible. Heureusement, les coffres ne pesaient rien dans le vide sidéral, mais malgré cela, les combinaisons spatiales ne facilitaient pas les mouvements.

Quelques minutes plus tard, des coups sur la coque du cargo se firent entendre : l’équipe était enfin de retour.

Sur la passerelle, Tooms était à son poste, agité. Un voyant s’alluma alors sur sa console, signe que le sas de chargement était enfin verrouillé et il enclencha quelques boutons. Des bruits de succion ainsi qu’un ronflement mécanique résonnèrent, faisant trembler les parois métalliques du cargo, et finirent dans un claquement marquant ainsi la fin de la manoeuvre de séparation.

Lorsqu’il releva la tête, il croisa les prunelles rouges de Seilah qui était inquiète, et ne put lui répondre que par un bref haussement d’épaules. Sans dire un mot, la jeune femme se retira rapidement vers l’arrière du vaisseau, où se trouvait le sas, pour prendre des nouvelles de l’équipe de récupération. Elle était composée de Tiana et d’un autre homme, chauve, barbu et à la musculature impressionnante, qu’elle trouva en train de se débarrasser de leurs combinaisons avec grande difficulté.

— Décidément, je m’y ferai jamais. ronchonna Tiana en retirant ses pieds des chaussures à semelles magnétiques. Ces combinaisons devraient être en plusieurs morceaux. Ça serait plus pratique pour bouger.
— Possible, mais tu risquerais d’avoir des problèmes d’étanchéité. répliqua Seilah en entrant dans la pièce.

La jeune alien s’avança vers sa compagne et prit tendrement son visage entre ses mains avant de coller son front au sien. Tiana se détendit à son contact et déposa un chaste baiser sur les lèvres de Seilah, sourit, puis, avant de s’élancer pieds nus vers la passerelle, lança à sa compagne :

— Ma chérie, tu peux aider à ranger tout ça ? Tooms va avoir besoin de mon aide.

Elle arriva derrière Tooms et s’appuya sur le dossier de son fauteuil afin de voir l’hologramme qui se dressait devant le timonier. Voyant les pieds nus de sa supérieure, il haussa un sourcil interrogateur auquel elle répondit en secouant la tête. Pour elle, il était clair que le plus pressant était la situation qui devenait de plus en plus critique à mesure que les minutes s’écoulaient.

— Combien de temps avant qu’ils arrivent ? demanda Fry, inquiète, en rattachant ses cheveux, signe qu’elle prenait vraiment la situation au sérieux.
— Deux minutes et quinze secondes.

Tiana pressa le bouton de l’intercom et beugla à l’intention de sa mécanicienne :

— Hey, gamine ! Tu as moins de deux minutes pour nous faire disparaître.

Mei, de son côté, s'activait comme jamais. Elle enclenchait des mécanismes dont elle seule avait le secret. Et soudain, alors que le moteur commençait à produire un sifflement strident, un silence pesant se fit entendre. Petit à petit, le vaisseau disparut de la vue de tous, totalement invisible alors que le croiseur de l'Alliance venu inspecter les restes de l'épave entrait dans leur champ de vision.

Suivant la procédure des cas comme celui-ci, les membres de l’équipage du Charon retinrent presque leur souffle. C’était là un jeu dangereux où le Charon était une menace plus que négligeable pour un vaisseau de cette taille et où il risquait sans le moindre doute de se faire réduire à l’état de débris spatiaux. Il ne pouvait qu’attendre que le croiseur constate que rien ne restait à bord et parte enfin, afin de s’échapper de cette situation en toute sécurité.

Alors que l’immense vaisseau analysait les restes métalliques de l’épave, Tooms se retourna vers Tiana en chuchotant, comme si les membres d’équipage du croiseur allaient pouvoir l’entendre :

— J’aime pas avoir raison, mais je t’avais bien dit que ça pouvait nous arriver.

Amusée par l’attitude paranoïaque de son pilote, Fry répliqua gentiment :

— Tu sais qu’ils peuvent pas nous entendre, n’est-ce pas ?
— Ouais, mais on est jamais sûr de rien avec eux.

Environ dix minutes plus tard, le croiseur fit demi-tour, laissant le Charon seul près de l’épave, son butin bien enfermé dans sa cale. Fry profita de ce répit pour repartir vers l’arrière du vaisseau, confiant la passerelle et le cap du vaisseau à son second et pilote. Elle tomba sur le dernier membre de son équipage, le grand gaillard qui l’avait accompagné à bord pour piller l’épave du croiseur. Il répondait au doux surnom de Jack Daniels et avait pris l’habitude de beaucoup boire sur son temps libre, comme en témoignait son haleine parfumée et son teint rougi par endroits.

— C’est quoi ce bordel ? beugla-t-il. Je croyais qu’on aurait pas d’emmerdes et que personne ne viendrait… On avait pourtant débranché la balise !

Entendant la façon dont se comportait Daniels avec leur Capitaine, Tooms profita d’avoir le vaisseau en main pour faire une embardée. Cela fit tituber l’ancien mercenaire qui s’écroula contre la paroi métallique du couloir, en lâchant la bouteille d’alcool qu’il tenait à la main et qui alla se briser sur le sol.

— Calme toi, Jack ! répondit Tiana, visiblement agacée par le comportement du mercenaire. Tu te doutes bien que l'équipage a lancé un S.O.S. avant que les Charognards en finissent avec eux. Facile pour l’Alliance de retracer la position après. Donc maintenant, tu arrêtes de me prendre de haut comme ça ou tu débarques au premier spatioport venu. C’est clair ? Et tu me nettoies ça ! ajouta-t-elle en montrant les débris de la bouteille imbibés d’alcool.

Ayant mouché Daniels, Tiana était assez satisfaite d’elle-même : il était hors de question que son subordonné vienne lui marcher sur les pieds. Et surtout pas un alcoolique comme Jack, qui se contenta de hausser les épaules et de retourner vers l'arrière du vaisseau en maugréant. Fry, de son côté, était retournée sur la passerelle et demanda à son pilote :

— Tu sais où on doit aller ?
— Ouais... Fair Heaven. Pfff, une planète bien pourrie. Tu sais qu’on aura que des problèmes là-bas...
— Peut-être mais c'est surtout là-bas qu'on sera payé pour la récupération de la marchandise. Alors, on fonce. Plus vite on aura notre fric, plus vite on pourra se payer les améliorations pour le vaisseau et enfin s'offrir des vacances.
— J’espère que tu as raison. soupira le timonier qui entra les coordonnées du système solaire qui abritait la planète de Fair Heaven avant d’enclencher le moteur supraluminique du Charon.

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