Chapitre 1 : Bill

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C’est après une journée de travail fatigante que Bill décida d’enfin fermer les yeux et profiter d’un repos bien mérité. Il s’endormit presque instantanément mais rouvrit les yeux dans le courant de la nuit. Alors qu’il se sentait mal installé et qu’il gigottait de gauche à droite pour trouver son confort, il remarqua que Marie, sa compagne, n’était pas là. Habituellement, elle était toujours bouillante et réchauffait beaucoup trop le lit. Pas de doute, il faisait bien trop frais. La couette était absente elle aussi. Bill ressentit cette désorientation qui nous prend parfois au réveil et qui ne cesse qu’à l’instant où l’on ouvre les yeux. C’est ce qu’il fit. Il peina à trouver un l’éclairage suffisant pour reconnaître sa chambre à coucher. Il tâtonna du bout des doigts pour trouver l’interrupteur de sa lampe de chevet. Il sentit la rugosité d’un mur sans revêtement ni peinture. Pris d’un court élan de panique, il se redressa et laissa à ses yeux endormis le temps d’accommoder, ce qu’ils ne firent pas. Il était au sol. Il sentit que son lit avait disparu, tout comme sa table de nuit, sa lampe de chevet, ses vêtements de nuit et peut être l’intégralité de sa chambre.

Il se releva, nu, et tâtonna sur le mur le plus proche. Il posait lentement un pas après l’autre et s’attendait chaque fois à heurter quelque chose, un meuble, un mur. Rien. Il se déplaça plus vite. Toujours rien. Puis il décida de quitter le mur contre lequel il était appuyé pour marcher dans la direction opposée. Il fit d’abord un pas, puis un deuxième. Il entamait tout juste son troisième pas quand il heurta un second mur. Bill se mit à nouveau à tâtonner pour trouver un coin ou une arrête quelque part et se recréer une représentation mentale de la pièce. D’abord à gauche, rien. Puis à droite, rien non plus. Sa vue ne s’éclaircissait pas malgré qu’il fût réveillé depuis une bonne minute. Il fut clair que Bill se trouvait dans un couloir. Il se demanda où il était, et comment il était arrivé là. Il s’immobilisa et repensa à sa soirée. Il se souvint être rentré chez lui et ne pas en être ressorti jusqu’à l’heure du coucher. Il ne se souvint pas avoir déjà été somnambule mais il y avait un début à tout. L’idée ne fut pas rejetée. Son appartement ne contenait pas de couloir, il pensa être sur le palier, en dehors de son appartement mais il ne sentait pas la moquette au sol et ne trouvait pas les témoins lumineux indiquant les sorties de secours ou la minuterie. De plus, il aurait senti qu’il passait devant une porte, ou une irrégularité quelconque. Après réflexion, impossible d’avoir la moindre idée d’où Bill pouvait se trouver. Il ne céda pas à la panique qui frappait à sa porte. Bill était un individu rationnel et pensa tout à fait justement qu’il suffisait de marcher sans s’arrêter et qu’il finirait bien par trouver une limite au couloir dans lequel il se trouvait. Il entreprit de se placer au centre du couloir, les bras tendus, le bout des doigts de chaque main en contact avec les deux murs et d’avancer dans un sens. Il fit quinze pas lentement. Certain qu’il atteignait les limites de la pièce, il lança ses bras devant lui, comme pour anticiper une collision proche. Il trébucha vers l’avant, surpris par le vide qui continuait de s’étendre, et fit trois grands pas pour se rattraper. Il repositionna ses bras sur les cotés et continua d’avancer plus rapidement. Il marcha quelques dizaines de secondes, une minute peut être, à une cadence presque soutenue. L’obscurité totale devenait très gênante et psychologiquement écrasante.

Bill perdit son sang-froid et se mit à courir. Ce fut sa façon de se débattre, de baisser les bras, de céder exceptionnellement à la panique pour retrouver un peu de lumière. Il ouvrait parfois les yeux un peu plus grands et se créait des illusions de flash lumineux qui lui laissaient penser, le temps d’un instant, qu’il avait enfin trouvé cette lumière salvatrice. Il s’arrêta finalement, fatigué. Il s’assit d’abord, puis s’allongea sur le ventre, la tête à l’intérieur des bras, comme pour se laisser l’occasion de se réveiller à nouveau. Puis il laissa son cœur se calmer et se remit en route. L’incompréhension de sa situation ainsi que l’invraisemblance d’un couloir sans fin firent naître un effroi sans précédent qui s’empara de son cœur. Il courut ainsi une vingtaine de minutes. « Il y a quelqu’un ? » cria-t-il ? Personne ne répondit, pas même son l’écho. Il insista « S’il vous plait ? », puis s’effondra en sanglot. Toute piste rationnelle avait désormais quitté son raisonnement. Il acceptait l’idée que ce couloir puisse être enterré, qu’il fût seul en ces lieux et qu’on l’y laisserait mourir de faim ou de soif. Il laissait son imagination travailler et anticipait qu’après 3 jours de marche, il finirait par trouver un troisième mur et qu’il n’en serait pas beaucoup plus avancé. Était-il dans son tombeau ? Après quelques dizaines de minutes, son corps s’était refroidit. Des vêtements, ou une couverture, lui manquaient autant, si ce n’est plus, qu’un brin de lumière. Il devait se remettre en marche pour se réchauffer, en sachant qu’il s’épuiserait plus vite s’il faisait des efforts physiques. Peut-être était il parti dans le mauvais sens ? douta-t-il. Il fit un pas en sens inverse puis se raisonna. « Rien ne m’indique quelle direction est la meilleure, autant rester sur mon premier choix ».

A force de frottement contre les murs, les extrémités de ses doigts étaient en sang. Il avait alterné ses doigts de contact avec les deux parois mais désormais, tous étaient devenu trop douloureux. Bill fit quelques pas sans toucher les murs, mais il ne put supporter l’idée que toute parcelle de paroi n’ait pas été vérifiée. Il revint en arrière pour s’assurer qu’il n’avait pas raté la seule sortie, justement située à cet endroit. Il n’en fut rien mais Bill n’osa pas reprendre la marche. Il s’assit pour réfléchir. S’il avait eu des vêtements ou n’importe quoi sur lui, il eût pu bricoler quelque chose qui fût resté en contact avec les parois et eût donné une information sonore sur la présence d’une irrégularité. Il songea à arracher ses cheveux et les enrouler au bout de ses doigts et jugea que cela ne tiendrait probablement pas très longtemps en place, et s’userait très rapidement. Puis, la réflexion avançant, immobile, le froid rattrapa Bill à nouveau, cette fois-ci accompagné d’une soif sèche qui rendit sa gorge rugueuse. Il ne pouvait pas s’arrêter en chemin. Bill se releva et tenta une stratégie de déplacement différente. Il partirait d’un point d’une paroi puis traverserait le couloir en biais de façon à frapper le mur opposé de l’épaule tout en ayant progressé d’un pas. Tel un caillou ricochant d’un mur à l’autre, il frapperait tour à tour chaque mur en progressant très peu vers l’avant. La couverture de la surface de chaque mur n’aurait alors pas été parfaite mais selon lui, il ne pouvait pas passer à coté d’une ouverture suffisamment large pour constituer une sortie. Il entreprit donc de déplacer ainsi, de mur en mur, ralentissant sa progression mais épargnant ses mains désormais trop douloureuses.

Durant un instant de lucidité, il prit conscience qu’il n’avait pas levé les bras pour vérifier si un plafond était présent. Il leva donc les mains en l’air, et sauta légèrement pour ne pas les écraser sur un plafond bas. Rien. Il sauta plus haut. Il ne senti toujours aucun plafond. Une idée lui vint alors, celle de si hisser vers le haut en prenant appui sur chaque mur. Une ascension en « cheminée ». Il posa un pied contre une paroi et s’adossa contre l’autre. D’un mouvement rapide, il souleva son deuxième pied, comme s’il voulait se projeter en arrière. Dans cette position, il se trouva suspendu à quelques centimètres au-dessus du sol. Il leva à nouveau l’une de ses deux jambes. Cela lui demanda un effort important. Son ascension aurait été plus aisée si les parois n’avaient pas été si éloignées. La largeur du couloir était supérieure à la longueur de ses jambes, si bien qu’un effort d’extension intense était requis pour qu’il se maintienne en suspens entre les deux murs. Il fit l’effort malgré tout. Dans cette position, il était difficile d’évaluer s’il était monté d’un mètre ou de dix. Il n’avait plus la notion de son éloignement par rapport au sol, dans le noir complet. Bill ne sentait toujours aucune extrémité et redoutais de tomber. N’abandonnant pas, il poursuivit ses efforts dans son ascension jusqu’à ce qu’il n’eût plus la force de se maintenir. Il se laissa alors tomber et remis ses jambes droites durant sa chute. Bill n’impacta pas le sol au moment où il s’y attendait. Le choc fut brutal. Il hurla de toute ses forces. Il invoqua ses aïeux pour qu’ils vinssent apaiser sa douleur, ce qu’ils ne firent pas. Après s’être tordu de douleur, puis être resté immobile plusieurs heures, Bill reprit sa route dans le sens initial. Grimper entre les deux parois semblait être une mauvaise idée.

Il avait alterné des phases de marche, de course, de repos ainsi durant de longues heures. N’ayant pas de notions du temps qui passait, il décida de dormir. Bien qu’il fût exténué, il ne put se reposer correctement, d’une part parce que le sol était dur, mais également parce que la température corporelle descend lors de l’endormissement et que sa nudité devenait plus que gênante. Il finit par reprendre sa route, fatigué. Régulièrement, il se cognait l’orteil sur un mur ou sur l’autre car ses mouvements étaient de moins en moins précis. Il trébucha, se tordit la cheville à plusieurs reprises ce qui entamait chaque fois un peu plus son moral. Pendant ce qui sembla durer des jours, ou des semaines, Bill continua d’avancer. Il ne tomba jamais de faim ou de soif et sortit cette préoccupation de son esprit. Bien que ces sensations n’eussent pas disparues, les effets de l’absence de nourriture ne manifestèrent jamais. Il s’était astreint à ne pas trop réfléchir et s’accrochait à un espoir, celui de terminer de parcourir ce long couloir. Il avait abandonné l’idée de chercher une sortie sur les cotés et courait simplement tout droit, éternellement, ne s’arrêtant que pour dormir quelques heures. Sa psyché s’aliénait progressivement et il ne ressentit rapidement plus cette solitude abyssale de laquelle découlait une peur d’égarement, hors du temps, de l’espace, de l’existence. Une peur de sombrer dans l’oubli qui lui avait fait perdre pied les premiers jours et qui avait cédé sa place à un effroi plus grand, celui de l’éternité. Tête baissée, Bill le solitaire, l’abandonné, courrait et focalisait son attention sur chaque mètre parcouru. Chaque pas réalisé n’était plus à faire. Il visualisait mentalement une ligne représentant son chemin, et qui se remplissait au fur et à mesure de sa progression. C’était l’unique objet de son obsession et sa seule source de plaisir, liée à l’espoir qui persistait toujours un peu.

Un matin, ou peut être un soir, qu’importe, le temps n’avait plus de sens, Bill venait de se réveiller et ses yeux brulèrent d’éblouissement comme s’ils s’étaient ouverts pour la toute première fois. Une lueur, pourtant d’intensité faible, éclairait son couloir. Cette source lumineuse était impossible à localiser, elle était présente partout et diffuse dans l’espace. La pureté de l’air était telle que Bill put voir jusqu’à la convergence de son horizon qu’aucune fin de parcours n’était à sa portée. Il se retourna et constata la même chose de l’autre côté. Son cœur se comprima. Il refit à nouveau quelques dizaines de mètres dans la direction qu’il suivait depuis toujours. L’horizon semblait immobile, comme s’il n’avançait pas. Son cœur se comprima plus fort. Au-dessus de lui les murs s’élevaient à perte de vue, peut être aussi hauts qu’ils étaient longs. La vue de Bill se troubla, il se senti perdu et faible face à cette étroite immensité. Pris de malaise, il s’assit quelques instants. Durant une éternité, il s’était interdit de céder à la panique, de cogiter, mais l’injustice de son emprisonnement pris le dessus et Bill sanglota, priant qui voudrait l’entendre de bien vouloir le sortir de cet enfer de solitude et d’éloignement. Il regarda régulièrement dans les trois directions, pour détecter un signe quelconque, un appel lumineux, n’importe quoi. Il basculait d’avant en arrière, cognant son dos de plus en plus fort contre le béton, peut être pour se réveiller. Le pauvre Bill était lentement gagné par la folie, asphyxié par les limites d’un monde qui semaient son entendement.

A bout de santé mentale, il décida, tant qu’il lui restait encore assez de présence pour se contrôler, qu’il abandonnait. Puisque la faim ou la soif ne voulaient pas en finir avec son calvaire, il s’en chargerait lui-même. Prenant appui du pied sur un mur il se propulsa en avant avec l’intention de se cogner la tête contre la paroi opposée. Par reflexe, il amortit le choc avec ses mains mais parvint tout de même à se blesser au front. La douleur fut insupportable mais Bill avait conscience que pour parvenir à sa fin, il avait intérêt à ne pas s’appesantir sur sa douleur et continuer son automutilation. Il recommença immédiatement. Affecté par le premier coup, il courut la tête légèrement en arrière. Se redressant avant l’impact, Bill s’explosa le nez sur le mur. Il eut espoir de mourir sur le coup mais le sort avait décidé qu’il ne ressentirait qu’une douleur aigue, au-delà de toutes celles qu’il avait affronté jusqu’alors. Une seconde à peine après l’impact il fut pris de violentes nausées et déglutit une bile d’une acidité à en dissoudre le sol. Ses yeux s’injectèrent de sang et les vaisseaux alentours éclatèrent sous la pression. Bill ne repris qu’une seule fois son souffle et se tint prêt à s’achever avec une détermination sans faille. C’est alors que le sol se déroba sous ses pieds, amorçant une longue chute dans le noir infini. La surprise fut moins forte que l’espoir qui naquît en Bill à la rencontre d’une nouvelle situation. La monotonie de ce couloir sans fin était en train d’avoir raison de sa psyché. Au bout de quelque dizaines de secondes, sa vitesse de chute se stabilisa. N’ayant aucun point de repère visuel, il lui sembla être parfaitement immobile. Il ne ressentait pas l’air secouer ses cheveux ni rafraichir son corps. Bill profita donc de quelques instants de répit, pour savourer la douleur qu’il s’était infligé. En apesanteur, il posa les mains sur sa tête. Puis il tâta le dessus de son nez, probablement cassé. Il senti que le sang l’empêchait de respirer correctement. Il en expulsa une partie, d’un souffle, dans le vide sidéral…

Billy se replia légèrement, puis exténué, il s’endormit dans sa chute, confortablement.

Quand il fut bien reposé Billy rouvrit les yeux. Il était toujours au milieu de nulle part. Il s’appropria le lieu immédiatement tant il fut facile à appréhender et ajusté à sa morphologie. Ses espoirs renouvelés, il fit à nouveau appel à une puissance supérieure, pour qu’on lui vint en aide, qu’on le ramena chez lui, ou au moins, qu’on lui accordât la folie suffisante pour qu’il s’échappât ailleurs, n’importe où. Il ne fit aucun doute que des êtres capables d’entendre ses prières existaient …

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