Chapitre 1

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Dans un cirque, c'est là que je l'ai rencontré... J'étais traité comme un esclave, emprisonné dans ce cirque depuis mes dix ans. Et il fut le seul à me tendre la main, le seul à me montrer une lueur d'espoir dans les ténèbres qui m'entouraient. De qui je parle? De Noctifer Medan: un homme que le monde entier avait décidé de haïr. Qui suis-je? Je m'appelle Youri Sirius: un garçon qui se contente simplement de vivre.

Je suis un loup-garou né dans la toundra russe au beau milieu d'une nuit étoilée. Ma meute avait pour principe de ne jamais entrer en contact avec les humains et nous vivions en paix depuis des générations en communion avec la nature. Nous ne chassions que ce qui nous était nécessaire et fabriquions nos propres remèdes. La vie était simple... La vie était belle... Après tout, j'avais un grand frère qui veillait sur moi et qui m'apprenait toutes les astuces qu'il avait apprises au fil de son éducation. J'avais des parents aimants qui m'apprenaient à vivre selon nos traditions. Quant à ma meute, nous ne formions qu'une seule et même famille même si nous ne partagions pas tous le même sang. Je me demande encore à partir de quand le destin nous a maudits. Oui, peut-être le jour où l'un des nôtres est tombé amoureux de la mauvaise personne. Il s'appelait Nikolas et était curieux de tout. Un jour, lors d'une de ses chasses, il trouva des empreintes de pas humains dans la forêt. Il décida de les suivre jusqu'à arriver dans le campement d'un groupe d'humains à priori nomade. Sa curiosité le poussa à les approcher et à sympathiser avec eux... Nikolas était fasciné par ces êtres dont nous ignorions tout et leur rendit visite régulièrement pendant quelques mois. Quand les humains gagnèrent totalement sa confiance, Nikolas les ramena près de notre village. Puis il entreprit de négocier avec notre chef de meute pour nous présenter l'humaine dont il était tombé amoureux. Après que notre chef ait cédé, il nous annonça son amour pour l'humaine... Et nous l'avons accueillie à bras ouverts. L'année suivante, ils nous annonçaient leur mariage. Nous nous sommes donc rapprochés de la famille de l'humaine dans l'intention de démontrer notre bonne volonté, et ils se sont montrés charmants. Nikolas m'avait communiqué sa curiosité alors je me suis rapproché de ces humains un peu plus que les autres. Je pensais même pouvoir affirmer m'être fait un ami parmi eux.

Le jour du mariage fut un jour magnifique: il y avait les décorations partout dans notre village, des sourires sur tous les visages et des odeurs de mets à vous donner l'eau à la bouche. Ce fut un jour de fête comme nous en avions rarement connu. Puis vint la nuit de noce, et notre vie bascula. Tout commença par un hurlement de douleur, suivi par une odeur de sang et de bois brulé. Mon frère est venu me réveiller. Nous sommes descendus au rez-de-chaussée où mon père et ma mère s'affairaient à préparer des paquets. Puis, des gens sont venu marteler notre porte. Ils nous hurlaient d'ouvrir et nous traitaient de monstres répugnants. Je me sentais perdu et j'avais peur, mais ma mère me prit dans ses bras et me promit que tout allait bien se passer. La porte finit par céder et quelle ne fut pas notre horreur quand les humains, que nous avions accueillis quelques heures plus tôt, entrèrent couverts de sang et l'arme à la main. Mon père nous cria de fuir et leur barra le passage, suivi de ma mère après qu'elle nous ait adressé son dernier sourire. Je voulais rester avec eux: je n'étais pas conscient du danger qui nous guettait. Mon frère fut obligé de me tirer par le bras et nous a fait sortir par la porte de derrière. L'odeur du sang et de la chair brulée me prenait à la gorge et me donnait la nausée. Quant aux cris... Je les entends encore parfois la nuit...

Mon frère et moi avons couru pendant ce qui m'a paru une éternité. Puis, un carreau d'arbalète transperça le cœur de mon frère. Nos poursuivants n'étaient pas très loin derrière nous et mon frère me supplia de l'abandonner pour reprendre ma fuite. Je ne voulais pas lui obéir, après tout il était tout ce qui me restait. Cependant, la lumière des torches qui se rapprochaient et la vie de mon frère qui s'éteignait lentement me dissuadèrent de rester plus longtemps. Après avoir fait mes adieux et après m'être excusé de l'abandonner, je repris ma course désespérée. Je courus jusqu'à ce que je sois à bout de souffle, puis je me suis caché dans un espèce de renfoncement que les racines des arbres avaient constitué. Les minutes qui suivirent me glacèrent le sang: l'humain avec qui je croyais être devenu ami m'appela sur un ton suave. Il chantonnait mon nom... Entre deux racines, je pus entrevoir son regard. Il était brulant de haine et empreint de sadisme. Je suis resté caché là, le souffle coupé, jusqu'à ce qu'une voix féminine se fasse entendre.

- Laisse tomber... Dans ce froid, il ne survivra pas de toute façon. On les a eus ces monstres. Allons plutôt nous mettre au chaud.

C'était la femme de Nikolas... Une fois sûr qu'ils étaient définitivement partis, je me remis à marcher sans savoir où aller. Je sentais des larmes chaudes couler sur mes joues, mais je me suis contenté de les ignorer. J'étais seul. J'avais froid. Je me sentais vide. J'ai continué à marcher jusqu'à ce que je n'aie plus assez de forces pour me relever, espérant mourir au milieu de cette toundra que j'aimais tant. Mais le destin en décida autrement. Un cirque itinérant me retrouva et me recueillit. Ils m'ont d'abord soigné et nourri alors même que je sombrais dans l'inconscience. Je suppose qu'ils ont découvert ma nature de loup-garou à ce moment-là. Quelques jours plus tard, je me suis réveillé dans une cage. Quelqu'un m'a jeté un bout de viande crue entre les barreaux en guise de repas, mais je n'avais l'intention de manger. Mon corps était considérablement affaibli et la faim me tordait le ventre, mais je ne voulais tout simplement rien faire. Ils m'ont laissé allongé avec le même bout de viande pendant trois jours. Le matin du quatrième jour, ils sont venus avec une trique et ont tentés de me forcer à manger en me battant. Ils m'ont aussi menacé de me gaver de force si je ne me décidais pas à manger. Puis, deux autres jours se sont écoulés. J'étais toujours dans la même situation avec cette même viande puante sous le nez, mais j'avais la douleur en plus. Voyant que je ne voulais toujours pas manger, ils sont venus avec des sangles et un tuyau le troisième jour. Ils m'ont solidement attaché et m'ont glissé leur tuyau profondément dans la gorge, sans doute pour m'empêcher de tout recracher. Vous n'avez pas idée d'à quel point c'est douloureux... Ils m'ont obligé à manger de cette manière pendant un mois entier, le temps que je récupère un minimum de force. Dès que je fus à nouveau capable de me tenir debout sans leur "aide", ils ont tenté de m'apprendre des numéros parfaitement humiliants. Je leur ai résisté au début, mais ils ont vite repris leurs triques et leurs fouets. Quand j'abandonnais et finissais par faire leur stupide numéro, ils me lançaient un "bon chien chien" avec de grands sourires narquois et revenaient avec un numéro un peu plus humiliant le jour suivant. Ce cinéma a duré pendant un an... J'avais à peine onze ans quand ils m'ont exposé à leur public comme une simple bête. Comme si leurs tours de passe-passe n'étaient pas assez humiliants, ils m'ont exposé à moitié nu, même au cœur de l'hiver, non pas pour un souci d'esthétique. Ils aimaient simplement me réduire à rien d'autre qu'un chien sauvage. Quand leurs précieux clients le demandaient, ils les laissaient même me caresser, comme si j'étais un animal exotique comme un autre. Evidemment, il y a certains jours où l'humiliation était trop difficile à supporter et j'essayais de me rebeller. Cependant, vous devez vous en douter, ils finissaient toujours par me remettre au pas. J'ai subi cet enfer pendant trois autres années. Je n'étais plus alors qu'une bête terrifiée, blessée et rongée par la haine... Une semaine avant la fin de la quatrième année, la quatrième merveilleuse année depuis que ces enfoirés m'avaient relégué au rang d'esclave, un homme se glissa dans "les coulisses" où l'on m'avait enfermé... Il était grand, avait les cheveux châtains et les yeux noisette. Ses vêtements laissaient penser qu'il était quelqu'un de puissant de par leur raffinement. Il visita d'abord les lieux, observant les animaux un par un. Ce qui me marqua le plus, je crois, c'était la compassion qu'on pouvait lire dans son regard. Puis, il arriva au niveau de ma cage et s'arrêta. Cet étranger m'observa pendant quelques instants avant de s'accroupir devant moi.

- Tu comprends ma langue? Me demanda-t-il avec une voix douce. Son regard n'était plus seulement empreint de compassion. On pouvait aussi y lire une colère sourde. Cet homme avait beau attiser ma curiosité, mes quatre années de mauvais traitement m'empêchaient de lui faire confiance. Je pense qu'il a dû s'en apercevoir puisqu'il n'a rien rajouté et a tendu la main vers moi.

- Me touchez pas! lui ai-je alors hurlé. Sa main s'arrêta net. Après quelques minutes à se regarder l'un l'autre en silence, je me suis retourné pour lui faire comprendre que je ne voulais pas lui parler.

- J'ai vu ce que ces humains te font subir... Un enfant comme toi ne devrait pas subir tout ça tu sais. J'entendis sa voix me dire. Il avait une voix grave mais chaude, presque rassurante. Elle me rappelait celle de mon père d'une certaine manière. Je ne pus m'empêcher de me rouler en boule alors même que les visages de ma famille me revenaient à l'esprit. Tu n'es pas obligé de me faire confiance. Ce serait parfaitement logique d'ailleurs... Mais j'aimerais t'aider à te libérer de tes geôliers.

- Fichez le camp... Fut tout ce que je pus murmurer. Le silence se fit de nouveau entendre. Puis, des bruits de pas: ceux de cet homme qui s'éloignait. Il s'arrêta à un moment.

- Je reviendrai te voir si tu me le permets. J'aimerais au moins que tu ne sois plus seul contre le monde... me dit-il avant de partir.

Et il tint parole. Durant les semaines qui suivirent, il vint me voir quotidiennement. Au fil de ses longs monologues, j'appris alors qu'il s'appelait Noctifer Medan et qu'il était un mage, donc qu'il n'était pas humain. Je ne voulais pas lui parler après tout, ou du moins au début. Je me suis peu à peu ouvert à lui. Je me surprenais même à attendre ses visites avec impatience. Il était devenu, sans que je ne le veuille, cette faible lueur d'espoir qui m'aidait à tenir bon. Lors d'une des visites de Noctifer, il me proposa de fuir avec lui. J'aurais voulu accepter, mais ma cage demeurait fermée à clef et mes geôliers faisaient des rondes régulières. Le mage n'a pas insisté quand je lui ai expliqué mes raisons de refuser. La nuit même, j'entendis un cliquetis à la porte de ma geôle. J'ai attendu pendant quelques minutes, croyant que c'étaient les employés du cirque qui étaient venus, mais le silence régnait. Je me suis donc levé et me suis avancé vers la porte. Celle-ci était entrouverte. J'ai jeté un regard dans les alentours, mais là encore il n'y avait personne. J'avais peur que ce soit un piège de ces maudits humains. Cependant, l'occasion était trop belle, et je risquais de ne pas en avoir d'autre. Je suis donc sorti, et ai tenté de me faufiler en dehors de ce cirque que je haïssais.

Un employé m'a repéré quelques minutes après mon évasion. Dans un accès de rage et de peur, je lui ai sauté au cou. Tout ce dont j'avais alors conscience était un goût de sang dans ma bouche et le bruit d'un corps qui s'écroulait à mes pattes. J'avais pris ma forme de loup sans le savoir, et ma haine, de même qu'une soif de sang, commençaient alors à m'envahir l'esprit. Cette nuit-là fut sanglante. Je n'ai repris mes esprits qu'au petit matin. Le sol était teinté de rouge tout comme mon corps. Je me suis alors assis et ai observé le lever du soleil en silence. Je me sentais soulagé et honteux à la fois.

- Et bien, et bien... Une voix familière se fit entendre derrière moi. Ce n'était autre que Noctifer qui me regardait non pas avec dégout, mais avec une certaine tendresse dans le regard. Sa présence me troublait. Je ne t'ai pas vu quitter le cirque alors je commençais à m'inquiéter pour toi, m'expliqua-t-il avec un sourire.

- La cage...

- Oui, c'était moi. Je sentis des larmes couler le long de mes joues: des larmes qui n'avaient pas coulé depuis longtemps. Noctifer se rapprocha de moi et, une fois à ma hauteur, déposa sa veste sur es épaules et me prit dans ses bras. Ce geste me prit de court, je ne savais plus quoi dire. Nous sommes restés comme ça pendant quelques minutes. Une fois qu'il me lâcha, le mage adopta une expression sérieuse. Youri, ce que tu as subi... Ce que les humains t'ont fait subir, n'aurait jamais dû être possible. Je levai alors la tête vers lui, confus. Il faut que tu saches que je suis devenu l'ennemi juré du monde humain comme du monde des particuliers. Mais j'ai un rêve: je veux restituer ce monde à notre peuple. Nous avons trop longtemps été persécutés, et il est grand temps que quelqu'un nous rende ce qui nous est dû... Youri, je te propose de me rejoindre. Je t'offrirai touts ce que les humains t'ont pris...

Je voulais lui répondre immédiatement mais il me coupa avant que je ne puisse prononcer un seul mot.

- Mais avant de me donner une réponse, il faut que tu prennes conscience que me suivre signifie également vivre reclus, et dans le risque constant de se faire capturer par les autorité Amarilliennes ou humai...

- J'accepte! Ce fut à mon tour de lui couper la parole. Nous nous sommes regardé encore quelques instants en silence. Noctifer finit par me sourire et m'ébouriffa les cheveux.

- C'était rapide... Mais bienvenue dans mon clan!

Ce fut comme ça que cet homme changea ma vie... Comme ça que cet homme me sauva la vie!

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