Chapitre 2

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Après l'épisode du cirque, Noctifer m'a emmené avec lui. Apparemment, son groupe était caché dans les montagnes et nous devions marcher pendant un jour ou deux pour les rejoindre. Au début de notre voyage, le silence régnait entre nous. En ce qui me concerne, ce n'est pas que je ne voulais pas lui parler, mais c'est surtout que je cherchais à comprendre pourquoi il était venu me voir moi, un gamin de quatorze ans, pour le rejoindre dans sa quête. Sans compter que je venais de massacrer un cirque entier et que je ne ressentais aucun remord pour mes victimes... Je ne m'étais pas senti honteux parce que je les avais tués, mais parce que je m'étais abandonné à ma rancœur. N'importe qui m'aurait rejeté ou, au moins, considéré comme quelqu'un de mauvais, mais pas lui. Pendant que je réfléchissais, je le surpris à chantonner joyeusement.

- ... Vous chantez?

Noctifer tourna la tête vers moi, un sourire aux lèvres. Il hocha la tête et repris sa chanson là où il l'avait laissée. Cet homme me troublait vraiment... Il agissait comme si tout était normal.

- ... La police va me chercher. Je fis remarquer à voix haute.

- Oui sûrement.

- Et ça ne vous dérange pas?! Je ne vais vous apporter que des ennuis...

Le mage s'arrêta, d'abord sans m'adresser un regard. Il se tourna et m'attrapa les épaules pour me forcer à le regarder dans les yeux. Il avait de nouveau le même regard sérieux qu'il avait quand il m'avait proposé de le rejoindre.

- Ecoute moi bien: tout d'abord, arrête de me vouvoyer! Ensuite, personne n'est inutile. Nous avons tous un don dans un domaine en particulier. Et Dernièrement, je veux que tu t'enfonces dans le crâne que je suis moi-même un hors-la-loi! La police, tout comme l'armée, me poursuit activement. Et tous ceux qui ont décidé de me suivre sont dans le même cas. Tu n'as pas à te préoccuper de ce genre de détail, d'accord?!

Je le détaillai un moment en silence. J'avais beau l'avoir côtoyer pendant plusieurs semaines, je n'arrivais toujours pas à déceler ce qu'il pouvait bien penser. Noctifer me tint par les épaules jusqu'à ce que je me décide à lui donner une réponse.

- T'es bizarre... Mais, ok. Au fait, tu veux pas récupérer ta veste?

Ma réponse fut accueillie par un rire. Je lui lançai alors un regard interrogateur. À ma connaissance, je n'avais rien dit de drôle.

- Et c'est moi qui suis bizarre?! Il me répondit avec une teinte d'amusement dans la voix. Récupérer ma veste?! Dans l'état où tu es? Et par ce froid? Non, non, tu me la rendras quand on t'aura trouvé une tenue appropriée.

J'ai baissé la tête, à la fois touché et embarrassé. Le mage se pencha légèrement en me voyant faire, comme pour chercher à comprendre ce qui n'allait pas. Je voulais à tous prix éviter qu'il me voit aussi embarrassé, mais j'ai visiblement échoué. J'entendis un léger pouffement de rire, ce qui me gêna un peu plus. Puis, je sentis une main ébouriffer mes cheveux. C'est alors que je voulu relever la tête pour protester, mais je me ravisai en sentant une vague de nostalgie m'envahir le cœur. Voilà qu'il me rappelait mon grand frère... Nous avons alors continué notre chemin, discutant de temps en temps. Noctifer nous faisait nous arrêter quand il sentait que je fatiguais un peu trop. Quant à nos repas, nous chassions ensemble, puis il préparait ce que nous avions attrapé. Nous avons voyagé comme ça pendant deux jours entier. À l'aube du troisième jour, nous sommes arrivés devant l'entrée d'une grotte située à flanc de montagne. Je n'étais pas très à l'aise à l'idée de devoir entrer dedans. J'espérais même pouvoir passer notre route, mais je dû me résoudre à suivre mon sauveur quand je le vis s'engouffrer dans la pénombre sans aucune hésitation. Quelques minutes plus tard, la lumière de torches nous accueillit. Un campement se dressait un peu en contrebas. Je voulais observer les lieux un moment seulement Noctifer continuait à avancer. Depuis que nous étions arrivés devant cette grotte, il était devenu plus silencieux et regardais toujours droit devant lui, la tête haute.

Une fois définitivement arrivé dans le campement, nous fûmes accueillit par une femme, plutôt petite. Elle avait des yeux vert que venaient accentuer ses cheveux d'un noir de jais. L'inconnue semblait heureuse de voir revenir Noctifer, mais je vis son enthousiasme se faner quand ses yeux se posèrent sur moi. Elle regarda le mage avec une expression que je ne saurais décrire. Ils échangèrent quelques mots un peu à l'écart, de sorte que je ne les entende pas. Malgré tout, je sentais le regard pesant de la femme posé sur moi. Moi je me contentai d'observer l'agitation du campement. Il y avait des enfants qui se couraient les uns derrières les autres avec insouciance. Des femmes, que je supposais être leurs mères, les regardaient faire tout en vaquant à leurs occupations. Un peu plus loin, des hommes s'entrainaient au combat, brandissant leurs armes non sans exhiber leur fierté. J'ignore pourquoi, cette vue me fascinait. Une voix féminine d'une froideur à vous glacer le sang me tira de mon observation.

- Tu es donc le nouveaux... Suis moi, je vais te donner une tente... et des vêtements...

J'ai tourné la tête vers elle en silence. Je n'aimais pas son ton: il me rappelait de très mauvais souvenirs, et je sentais que ça allait vite me taper sur les nerfs. Elle commençait déjà à s'éloigner mais je n'ai pas esquissé un mouvement. L'étrangère se tourna, l'air furieux. Je crois qu'elle était sur le point de me réprimander, cependant Noctifer intervint.

- Je vous conseille vivement d'employer un autre ton avec lui. De même pour votre comportement. Lui dit-il tout aussi froidement. Ce ton me surpris vu qu'il ne s'était jamais montré sous cet aspect avec moi. Je vis la femme baissé la tête comme un enfant qu'on venait de disputer.

- Pardonnez-moi, Maître...

- Ce jeune homme est sous ma protection, souvenez-vous-en. Je ne comprenais rien à ce qui se passait, mais je choisis de ne pas m'en mêler. Mon attention fut de nouveau attirée par les rires des enfants, jusqu'à ce qu'une main se pose sur mon épaule. Noctifer se tenait devant moi, son sourire habituel aux lèvres. Je dois te laisser un petit moment, mais Lilya va t'expliquer tous ce qu'il y a à savoir. Elle est celle qui gère notre groupe quand je dois m'absenter. Je te verrai au dîner.

- Elle a pas l'air de m'aimer beaucoup... Le mage soupira silencieusement.

- Ne fait pas attention à ça... Elle a juste du mal à accepter le fait que je t'ai pris sous mon aile. Je haussai un sourcil.

- C'est pas ce que tu as fait pour tous les gens ici? Ma question le fit rire.

- C'est vrai en un sens, mais je ne m'occupe que très rarement des nouveaux venu comme je l'ai fait avec toi.

- C'est-à-dire...

- C'est-à-dire, venir te voir personnellement pendant plusieurs semaines et te donner la possibilité de te libérer. Habituellement, j'envoie mes hommes s'en occuper. Cette fois-ci je fronçai les sourcils. Si ce qu'il venait de me dire était juste, alors pourquoi avait-il décidé de s'occuper de mon cas personnellement? Et pourquoi cette Lilya avait-elle autant de mal à l'accepter? En me posant ses questions, je me suis mis à observer Lilya, qui, elle, me fixait avec un regard sévère. Noctifer suivit mon regard avant de reporter son attention sur moi. Tu pourras me poser autant de questions que tu veux ce soir. Pour l'heure, s'il-te-plaît, laisse-la s'occuper de toi.

Je finis par accepter bien que peu convaincu. Je ne me sentais pas encore à ma place parmi tous ces gens. Et le regard désapprobateur de la femme aux cheveux noir ne m'aidait pas vraiment à me sentir mieux... Noctifer commença alors à s'éloigner. Il s'arrêta un moment et m'adressa encore quelques mots avant de partir vaquer à ses occupations. Lilya me fit signe de la suivre avec un sourire qui se voulait chaleureux. Elle me montra tous ce qu'il y avait à voir, me présenta aux personnes les plus importantes du groupe et me donna toutes les indications nécessaires pour que mon séjour parmi eux se déroule bien. De même, elle me procura des vêtements décent. Durant l'intégralité de cette petite visite, ma guide et moi nous avons adressé la parole que quand la situation l'exigeait. Puis vint le moment où l'on devait me donner la tente où je dormirais. Seulement, l'individu qui s'en occupait a tout simplement refusé de le faire. Nous lui avons demandé pourquoi, et il nous répondit que c'était un ordre de Noctifer, qu'il avait décidé que je dormirais à ses côtés. Je sentais que ça n'allait pas plaire à Lilya et... J'avais raison de le penser. Elle esquissa un sourire figé et me demanda de pouvoir me parler seul à seul sur un ton mielleux. Quelque qu'aurait été mon choix, elle me tira un peu à l'écart du campement. Son regard était lourd de reproches.

- Qu'est-ce que tu as fait? Je ne répondis pas, puisque je ne comprenais pas ce qu'elle me demandait. Je répète: qu'est-ce que tu lui as fait?

- Rien...

- Ne me fait pas rire! Le maître n'a jamais accordé un tel privilège à qui que ce soit! s'énerva-t-elle. Je décidai de garder le silence. Je n'avais rien à lui répondre de toute façon. Je ne sais pas qu'elles sont tes intentions, mais fait moi confiance ! Je t'ai à l'œil... me dit-elle sèchement avant de me planter là.

Je soupirai, déjà fatigué par le comportement de cette femme. Puis, une question me vint à l'esprit: qu'est-ce que je devais faire? Essayer de sociabiliser avec les gens du clan?! Je n'étais pas sûr d'en être capable à cet instant précis. Je sentais qu'il me fallait plus de temps pour y parvenir. Mais alors, qu'est-ce que je devais faire?! J'ai réfléchi à la question pendant que je me baladais dans le campement comme une âme en peine. Les autres me regardaient passer et murmuraient de temps à autre. Je n'y prêtais pas vraiment attention. Puis, je sentis quelque chose, ou plutôt quelqu'un, heurter ma jambe. Ce n'était autre qu'un enfant aux cheveux blonds. Il avait les yeux bruns allant vers le noir, et, sur sa tête, pointaient de petites cornes de bouc. Le petit bouc serrait une peluche de mouton contre lui, comme si sa vie en dépendait. À bien y repenser, il avait l'air craintif.

- ... Pardon... monsieur... je l'entendis murmurer. Je lui adressai alors un sourire et me suis accroupi devant lui afin d'être à sa hauteur. Le garçon n'avait pas l'air plus rassuré pour autant.

- Pourquoi tu t'excuses, petit bonhomme? Il me regarda, l'air confus. Je lui tapotai la tête doucement, espérant ne pas le brusquer. C'était un accident, non? Le petit bouc baissa les yeux tandis que le silence s'installait doucement entre nous. Je sentais des regards fixés sur nous. Tu t'appelles comment?

- ... Feilim monsieur...

- Moi c'est Youri! Pourquoi tu courais? lui ai-je demandé. Quelque chose en ce garçon me mettait à l'aise, et je voulais en profiter un peu plus. Je n'avais plus ressenti cette sensation depuis longtemps. Feilim me fit signe de me rapprocher après un moment d'hésitation. Puis, il me murmura ses raisons au creux de l'oreille. Je vois... Et si on devenait amis toi et moi? Il m'observa avec un mélange de surprise et de crainte sur le visage. Comme ça tu n'auras plus à courir pour les fuir.

- D'accord monsieur. Il me dit un peu plus franchement. Sa façon de s'adresser à moi m'amusait d'une certaine manière.

- Mais il faudra que tu arrêtes de m'appeler "monsieur", d'accord?

- Oui mons... Feilim m'offrit un grand sourire. You! Les gens qui nous avaient écouté jusque-là se mirent à chuchoter autour de nous. Quant à moi, le surnom que ce mignon petit bouc venait de me laisser sans voix.

J'ai passé quelques heures aux côtés de Feilim. Cet enfant était pour le moins surprenant. Il possédait des connaissances phénoménales sur l'astrologie tout comme sur la géographie. En l'entendant parler, on pouvait facilement comprendre à quel point ces sujets le passionnaient. En parallèle, il aimait beaucoup dessiner. Quant à la peluche qu'il tenait encore et toujours contre lui, il s'agissait de la seul chose qui lui restait de sa famille. C'était un point commun que nous partagions: nous avions tous deux perdu tout ce que nous avions à cause de la cruauté de certains humains. Mais à la différence de moi, Feilim avait bénéficié d'une bonne éducation, et ce depuis son plus jeune âge. Il me proposa même de m'apprendre à lire et à écrire. Quand son tuteur vint le chercher, je décidai de reprendre mon exploration. Il n'y avait rien qui m'intéressait vraiment jusqu'à ce que je tombe sur un groupe de femmes qui s'affairaient à préparer des médicaments. Elles semblaient préoccupées par quelque chose de grave. En fait, elles avaient peur de ne pas avoir les médicaments nécessaire pour soigner l'un de leurs malade. Quand je leur ai demandé de me décrire les symptômes, elles me les décrivirent à contre-cœur. Je ne pouvais pas les blâmer. Honnêtement, qui aurait pris un gamin de quatorze ans au sérieux s'il vous disait qu'il avait la solution au problème que tu essayais de résoudre depuis des jours? Je pense que la réponse est "très peu de gens". J'ai éventuellement réussi à les convaincre de me laisser une chance de faire mes preuves. C'est à ce moment-là que j'ai renoué avec mes origines. C'était comme si mes quatre années d'esclavagismes n'avaient jamais eu lieux. Comme si j'avais préparé ces remèdes toute ma vie. Elles me regardèrent faire sans même prendre la peine de cacher leur surprise. Une fois le médicament terminé, elles hésitèrent tous de même à l'administrer à leurs patient, mais elles finirent par le lui donner. L'homme qui se tordait de douleur quelques instants plus tôt semblait être quelque peu soulagé et s'endormit aussi sec. C'est ainsi qu'on me trouva une utilité au sein du clan de Noctifer.

Puis, le soir vint, et Noctifer me rejoignit. Il me demanda ce qu'il m'était arrivé durant son absence. Je lui ai donc décris tous qu'il s'était passé durant l'après-midi. Certains passages de mon récit semblèrent l'agacer bien qu'il ait essayé de me le cacher. En revanche, l'annonce de ma "nouvelle profession" sembla lui plaire.

- Au fait, j'ai croisé un petit bouc tout à l'heure... me dit-il en me lançant un regard malicieux. Il parlait visiblement de Feilim, mais je ne voyais pas pourquoi il parlait de lui.

- Euh... C'est bien?!

- C'est surprenant quand on sait que, d'habitude, je l'intimide. Cette réflexion me fit légèrement sourire. Mais, il a pris son courage à deux mains pour me faire une demande pour le moins singulière...

- ... Qui est?

- De le laisser t'apprendre à lire et à écrire. Je sentis mes joues s'enflammer dû à l'embarras. Je ne voulais pas qu'il le découvre, mais c'était peine perdue. J'allais te demander si c'était vrai, mais ta réaction me donne la réponse. Après un moment de silence, Noctifer repris la parole. Il n'y a aucune honte à ça tu sais?! Mais nous allons devoir corriger ce détail.

- Qu'est-ce que tu veux dire?

- Feilim et moi allons t'apprendre à lire et écrire! Je restai abasourdi par cette annonce. J'avais une dette énorme envers cet homme, et la liste ne faisait que se rallonger de minute en minute. Je ne savais tous simplement plus quoi dire pour lui exprimer ma gratitude. Aussi, je pris la décision de le remercier par les actes. J'avais beau ne pas me préoccuper des problèmes du monde des humains et du monde des particuliers, ce mage venait juste de gagner ma loyauté. Et j'étais déterminé à le lui prouver. Quand je sortis de ma réflexion, Noctifer avait les yeux rivés sur moi. Mon silence devait visiblement le troubler.

- Ta nounou va pas apprécier que tu joues aux profs avec moi...

- Comme si je m'en préoccupais! me répondit-il avec une franchise désarmante. Je secouai la tête, esquissant un sourire. Pour la première fois depuis longtemps, j'avais le cœur léger.

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