Chapitre 1

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Plutôt mal partie

Je me retrouvai dans un drôle d’endroit cette fois. Une usine. Je le devinai au tapis roulant sur ma droite et aux machines diverses autour de moi. L’endroit était désert, vide de monde, d’objets et de sons. Seulement moi et un enfant. En face de moi. Il avait la peau foncée et une casquette vissée sur la tête. Il portait une salopette ainsi qu’une écharpe autour de son cou. Son regard était fatigué, morne, désabusé. Le genre de fatigue que seuls les adultes pouvaient ressentir après plusieurs années de labeur. Ceux qui étaient prêts à mourir.

« - Bonjour, lançai-je. Tu sais où no-

- Tu ne devrais pas être ici, lança-t-il d’un ton plat, morne.

- Pardon ?

- Enfuis-toi. Ils arrivent.

- Qui arrive ? demandai-je en fronçant les sourcils. Nous sommes seuls.

- Moi, oui. Toi, non. Ils sont en-dessous. Ils viennent pour toi. »

Ses paroles me glacèrent le sang. Je déglutis péniblement. La peur s’emparait de moi alors que l’endroit était désert. L’enfant se fit plus pressant dans sa voix :

« - Réveille-toi et sauve-les. Qu’attends-tu ?

- Je n’en sais rien.

- DEBOUT ! »

Je me réveillai en sursaut. Mon front était moite de sueur et plaquait quelques mèches contre ma peau. Encore une douloureuse nuit. La chambre était plongée dans la pénombre, illuminée par la lune depuis la fenêtre. C'est à cet instant que je sus que quelque chose clochait. D'habitude, on gardait une veilleuse allumée pour les petites dans le dortoir. Je sortis doucement la main afin d'allumer ma lampe de chevet mais j'eus beau appuyer, elle ne s'allumait pas.

Mon pouls s'accéléra à nouveau. Les pannes d'électricité n'arrivaient qu'en soir d'orage, or, l’air était sec à l’extérieur. On avait coupé le courant. Lentement, je repoussai les draps avant de me lever sans bruit. Je me hissai afin de trouver Cally sur le lit du haut. Elle avait ouvert ses yeux bruns. Son index se posa contre mes lèvres tandis qu'elle murmurait :

« - Écoute.

- Je n'entends rien, murmurai-je à mon tour.

- Attends. »

Je n'entendais rien mais je patientai. Cally avait de drôles d'intuitions parfois, comme si elle anticipait certaines choses. Et j'avais eu raison de la croire.

En tendant l'oreille, j'entendis des bruits de pas à l'étage du dessous. Peu après, j'entendis des grognements, des bruits sourds et d'autres sons qui me glacèrent le sang que je ne pus réellement distinguer. Il se passait quelque chose d'étrange. Cally le sut aussi.

En percevant des sons dans le hall, je saisis un sac sous mon lit puis fonçai vers la porte. Habituée à des situations de crise depuis l'incident dans l'une de mes familles d'accueil, j'avais toujours un sac sous mon lit en cas de départ impromptu. La part paranoïaque de moi était plutôt préventive.

« - Cally ! lançai-je. Bloque la porte et fais sortir les petites. Je me charge des garçons. »

Je n'eus pas à m'assurer qu'elle acquiesce pour qu'elle mette le plan à exécution. Allumant la lampe de mon téléphone, je me ruai jusqu'aux dortoirs des garçons avant de refermer la porte derrière moi. J'entendais déjà les pas dans les escaliers se presser. Ils parurent surpris de me voir ici mais d'autres s'étaient réfugiés derrière le plus grand, Brad. Il avait quatorze ans mais avait assez de maturité pour tenter de protéger ses cadets.

« - Brad, aide-moi à bloquer la porte. Les autres, prenez un sac avec le nécessaire. Exécution ! »

Je tentais de contenir ma panique mais certains la sentir. Ils s'activèrent tous pendant que Brad et moi poussions un lit jusqu'à la porte. Ce n'est qu'au moment qu'elle s'ouvrait que nous pûmes la bloquer. D'autres garçons placèrent d'autres objets diverses ou poussaient à contre-sens. Les coups contre la porte se firent plus forts et violents sous les cris des plus jeunes.

« - Allez les gars, lança une voix derrière la porte. Soyez sages et laissez-nous entrer.

- Allez vous faire foutre ! hurla Brad.

- On ne vous fera aucun mal, ricana une autre voix. »

Le temps que Brad et les autres retiennent les hommes, je m'assurai que la voie était libre à l'extérieur. Leurs fenêtres donnaient sur le jardin. Parfait. Je pris ce temps pour confectionner une corde avec les draps. Je m'assurai à ce que les nœuds soient bien épais et bien solides. Le sol n'était qu'à trois mètres mais une chute pouvait être fatale.

Solidement attachée à une poutre qui traversait le plancher, je fis descendre les plus vieux avec les sacs. Les plus jeunes les suivirent avec un peu de mal. Certains avaient peur, d'autres voulaient rester avec moi. Je dus prendre un ton plus pressant et plus dur malgré mon envie de les rassurer. Brad fut le dernier mais à peine sur le bord de la fenêtre, nous entendîmes les meubles frotter contre le plancher. Ils n’allaient pas tarder à entrer. Ils frappaient contre la porte avec une telle violence.

« - Ne fais pas attention, continue ! ordonnai-je.

- Et toi ? demanda-t-il dans un sanglot.

- Descend et fuyez jusqu'au commissariat avec les filles. Je serai sur vos talons. »

Peu rassurée, je me forçai à sourire avant de le laisser descendre. Il fit aussi attention que les autres. Le groupe de Cally les rejoignit au moment ou je laissai l'une de mes jambes pendre. J'étais bien partie mais la porte s'ouvrit vivement, balayant les meubles sur quelques bons centimètres. Des hommes armés firent irruption dans la chambre et pointèrent leurs armes sur moi.

« - Te voilà enfin, marmonna un homme mince en esquissant un sourire carnassier. Suis-nous ma belle, on ne te fera aucun mal.

- Vous m'avez l'air d'être des gens de confiance, oui. TIREZ-VOUS ! hurlai-je aux autres. »

J'eus à peine le temps de les voir partir qu’une paire de mains me tirèrent en arrière. Je percutai le plancher mais réussis à épargner ma tête. Je tentais de me lever tout de même. De grandes mains me remirent sur pied avant qu'une lumière aveuglante n'illumine mon visage.

« - Alors, on a voulu fuguer avec ses petits copains ? demanda le même homme qui avait parlé. Vous êtes plutôt désobéissants.

- Qu'est-ce que vous foutez ici ? aboyai-je en plissant les yeux. Vous nous voulez quoi ? Et où est Lucien ?

- Lucien a un empêchement qui risque de durer très longtemps, ricana-t-il. S'il avait coopéré, nous aurions pu mener à bien cette mission. Mais il a décidé de désobéir tout comme toi. Je suis clément, ma petite. Je te laisse le choix de nous suivre sans discuter ou bien avoir un aperçu de ce qu’à subi Lucien.

- Le troisième choix implique que vous alliez vous faire foutre ? le provoquai-je en souriant. »

La gifle qui s'abattit sur ma joue envoya ma tête sur le côté droit. Ma joue gauche était en feu mais mon regard s'alluma à son tour. Mon sang bouillonnait et il dût le voir, je le devinais au rire gras qui lui échappa.

« - Je te la laisse, je vais préparer la voiture. »

Je ne sus pourquoi mais je savais ce qu'il allait m'arriver. L'homme qui le tenait contre lui me jeta littéralement au sol, venant retenir mes bras contre le sol. Il s’assit ensuite à califourchon sur moi afin de faire pression sur mes jambes. Je ne voyais presque rien mais je devinai son sourire dans la pénombre. Je me débattis tout de même en criant pour appeler de l'aide.

« - C’est super excitant quand tu cries comme ça, ricana-t-il. »

J'étais horrifiée. Il pressait son érection contre mon ventre, songeant probablement que j'allais changer d'avis en sentant le peu de virilité qu'il avait. Les larmes aux yeux, je me disais que je n'avais plus le choix. Après avoir tiré sur le col de mon t-shirt pour dévoiler ma poitrine, je lançai :

« - Attendez ! Je vais vous suivre. Je vais vous suivre mais je vous en supplie arrêtez. »

Il éclata de rire au point d'en verser quelques larmes. Les miennes n'étaient pas dues au rire. J'avais peur, je préférais mille fois qu'il me tue sur le coup. Cependant, il défit sa ceinture ainsi que sa braguette.

« - Si tu te tiens tranquille, ça ira vite. Ce sera notre petit secret, murmura-t-il dans mon oreille. »

Doucement, il se redressa et fit la belle erreur de relâcher mes bras. Quel débile. Sa main palpa l’un de mes seins gauchement et douloureusement. L’autre avança vers mon short, obnubilé par ce que je cachais en-dessous. Il ne vit donc pas arriver mon coup de poing. Il lui arriva en plein visage. J'entendis un craquement, ne sachant pas s'il venait de son nez ou de mes phalanges qui devinrent douloureuses. Il roula sur le côté en grognant de douleur, les mains sur le visage. Il poussa des jurons pendant que je me relevai. Je fonçai hors de la chambre afin de gagner le couloir mais les bruits dans les escaliers me freinèrent. Je longeai alors le couloir avant de gagner le débarras. Je m’y enfermai puis attendis qu’ils me cherchent probablement sans succès.

En m’accroupissant au sol, je tentais de retenir mon souffle. Les sanglots me restaient dans la gorge tandis que les larmes roulaient le long de mes joues. J’aurais dû sauter et suivre les autres. Désormais j’avais des hommes après moi. Une question subsistait cependant : pourquoi ne m’avaient-ils pas encore tuée ? Je savais que j’étais facilement tuable, je n’étais pas bien forte.

Je ne sais combien de temps s’était écoulé mais je n’entendis plus aucun bruit. Plus de pas, plus de murmures, ils étaient descendus. Rien que le silence. Même le vent n’agitait plus les arbres à l’extérieur. Doucement, je sortis du débarras. J’avais emporté un balais avec moi. Le côté poilu devant moi, je l’enfoncerai ou frapperai avec la première personne qui s’approcherait. En ouvrant la porte, je tombais nez-à-nez avec le désert du couloir. Personne dans les parages. Sur la pointe des pieds, j’avançai jusqu’à la chambre des garçons.

Je ne sais pourquoi mais je changeai de direction malgré moi.

Avec précaution, je descendis les escaliers. La porte ouverte donnait sur le jardin mais surtout sur une voiture que je ne connaissais pas. La voiture des deux hommes. En descendant, je sentis quelque chose de poisseux sous mes pieds. En baissant la tête, je trouvai juste à côté de moi le corps d’une des employés de Lucien, Delilah. Je dus me mordre la lèvre inférieure pour ne pas hurler ou pleurer. En redoublant de prudence, je continuai ma descente.

Une fois sur le sol froid du hall, je me plaquai contre un mur avant de me pencher. Je vérifiai si le salon était vide mais je trouvai une masse sombre qui brandissait une lampe torche. Je me plaquai contre le mur à nouveau. Balais contre moi, j’attendais une opération du Saint Esprit pour me laisser m’échapper d’ici.

« - Aidez-moi, par pitié. »

Je sentis du mouvement autour de moi. D’autres personnes arrivaient. J’étais morte. Je n’hésitais pas une seconde et fonçai vers l’extérieur. La porte d’entrée dépassée, un homme tenta de m’intercepter – l’imbécile qui m’avait frappée - mais je brandis le balais et le poussait avec les poils de ce dernier. Il tomba alors en arrière dans une flopée de jurons. Je le contournai avec précaution mais j’entendis distinctement des hurlements depuis la maison. Je reconnus sans problème la voix de celui qui m’avait touchée. Son collège parut aussi surpris en se redressant.

Il sortit de la maison en hurlant, agitant alors ses bras dans tous les sens.

« - Félix ! hurlait-il. Félix on se casse !

- Qu’est-ce qu’il t’arrive, bon sang ? demanda le dénommé Félix, le cerveau sûrement.

- Ils ne sont pas morts ! scandait-il. Ce sont des zombies ! »

Félix m’adressa un regard interrogateur. Je haussai les épaules, aussi perdue que lui. Nous les vîmes alors arriver.

Les corps de Delilah et Lucien. Ils marchaient dans notre direction. Ma bouche s’ouvrit sous la stupeur tandis que je reculai de quelques pas. Lucien avait eut la gorge tranchée à en croire la ligne rouge sous son menton. Il marchait lentement, calant ses pas à ceux de Delilah. Elle portait plusieurs marques rouges sur l’abdomen, à travers son haut. Ce qui me frappa particulièrement ce fut leurs regards. Ils étaient vides d’émotions tout comme leur visage.

La main de Félix me poussa au sol sous la panique avant qu’ils ne s’éloignent en courant jusqu’à leur voiture.

« - Prenez-la ! hurlaient-ils. Mangez-la ! »

Les pneus de la voiture crissèrent sur le bitume lorsque les deux zombies arrivaient à ma hauteur. Agenouillée au sol, je protégeai ma tête à l’aide de mes bras. Mourir des mains des morts-vivants ne m’enchantait guère mais c’était mieux que de rester entre les griffes de Félix et de son ami agresseur sexuel.

De longues secondes passèrent mais rien ne se passait. Aucun mouvement, aucune parole.

Tremblante, je relevai la tête en direction de Lucien et Delilah. Ils me fixaient de leurs yeux vides, le visage dénué d’expression. Je les considérai en silence, le souffle court et les membres tremblants. Je me redressai lentement mais ils ne bougèrent pas d’un iota. Ils me fixaient toujours comme s’ils attendaient. Qu’attendaient-ils vraiment ?

« - Vous êtes là ? demandai-je en tentant de contrôler les tremblements dans ma voix.

- Seulement si tu le souhaites, répondit Delilah d’un ton morne. »

Lucien avait tenté de parler mais ses cordes vocales avaient dues être sectionnées.

« - Comment se fait-il que vous soyez debout ? Vous devriez être morts. »

Je vis enfin une expression sur leurs visages. Ils prirent une expression peinée, bouleversée. Ils tâtonnèrent alors doucement leur corps, comme s’ils prenaient conscience de leur état.

« - Nous ne le savions pas, répondit Delilah. Nous savions simplement que tu avais besoin d’aide.

- Comment ? soufflai-je en sentant le sang battre contre mes tempes.

- Tu l’as prononcé. »

Ses paroles me parurent familières mais aussi lointaines. Avais-je réellement invoqué les corps de Lucien et de Delilah ? Je devais délirer. Le choc émotionnel sûrement. Je me relevai sur mes jambes même si elles menaçaient de se dérober. Lentement, j’avançais jusqu’à la maison, sentant leurs regards dans mon dos. Sur le perron, je risquai un regard avant de marmonner :

« - Vous devriez peut-être… retourner à vos places. La police va arriver. »

Les enfants devaient déjà être arrivés au commissariat. Connaissant Cally, elle devait se faire un sang d’encre pour moi. Sans un mot, ils s’approchèrent puis me dépassèrent jusqu’à arriver au hall. Delilah s’en alla jusqu’aux escaliers avant de reprendre sa position. Lucien disparut alors jusqu’à son bureau.

« - Reposez en paix, soufflai-je. »

Par la suite, j’allai récupérer mon sac à l’étage. Je fouillai ensuite les poches du cadavre de Lucien, désormais bien mort avant de grimper dans sa voiture. Sans attendre, je démarrai puis m’éloignai de l’orphelinat. Je ne savais pas où j’allais mais je prenais la fuite. Je me sentais comme une criminelle alors que j’étais totalement innocente. Mes pensées se tournaient vers les enfants et Cally. J’abandonnais ma famille et je ne savais pas pourquoi.

Peut-être parce que j’étais convaincue que j’étais un monstre.

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