Chapitre 2

6 minutes de lecture

Recherche orpheline désespérément

Les jours se ressemblaient de plus en plus même après une fugue.

J’avais élu domicile dans une petite ville à plusieurs kilomètres. Je logeai dans un motel depuis une bonne semaine. J’avais pris l’initiative de limiter mes déplacements et de sortir couverte. La seule lourde dépense que j’avais effectuée était un couteau qui ne me quittait pas. Ils pouvaient me retrouver à tout instant. S’ils voulaient mettre la main sur moi, je n’allais pas hésiter avant de leur enfoncer mon arme dans le ventre.

Mes sentiments étaient perdus entre la colère, la peur, la tristesse, l’angoisse et l’interrogation perpétuelle. Pire encore, mes hallucinations revenaient de plus belles. D’abord, elles étaient futiles avant de devenir plus persistantes. Je voyais des gens aux regards tristes, aux expressions qui n’inspiraient rien de bon sans parler des manifestations la nuit. Je percevais des murmures, des ombres, des inscriptions en lettres écarlate ou sur le miroir de la salle de bain avant que cela ne disparaisse. Une fois endormie, je voyais Delilah et la gorge tranchée de Lucien. Ils me hantaient tous et ça empirait de jour en jour. J'avais besoin de médicaments.

Lorsque je sortais, je me sentais observée en permanence. Je ne cessais de rester sur mes gardes. Je baissais la tête, j’enfonçai un bonnet sur ma tête et ne sortais jamais sans lunettes de soleil. Emprisonnée dans un monde d’impressions, d’hallucinations et de paranoïa constantes, je compris assez vite que mon impression d’être suivie était bien réelle.

La nuit était tombée depuis longtemps lorsque je passai la porte d’un restaurant. Ce genre de restaurant ouvert jour et nuit aux néons colorés, aux banquettes de cuir et aux tables dont les coins étaient arrondis. Je remontai l’étroite allée puis fonçai jusqu’à une banquette, au fond de la salle. Une fois sur le cuir rouge, je posai mon sac près de moi et me glissai sur le bord de cette même banquette. Si quelqu’un s’approchait, je pourrais vite partir. La serveuse vint remplir ma tasse de café sur ma demande avant de me laisser un menu. Derrière mes lunettes, je lus le menu. Je le tenais devant moi, redressé afin de pouvoir surveiller la salle en même temps. Je pus alors repérer trois paires d’yeux se tourner dans ma direction. Trois hommes.

Au même instant, la voix off d’un journal télévisé parla :

« Une semaine est passée depuis le malheur ayant touché l’orphelinat de Hurtlepool. Le directeur, Lucien Orwell ainsi que l’une des employés, Delilah Diaz auraient été sauvagement assassinés. La police rechercherait toujours les coupables de ce crime encore inconnus, mais aussi l’une des pensionnaires, disparue après l’attaque. Il s’agit de June Turner. Son corps n’ayant pas été retrouvé, la police en a conclu qu’il s’agissait d’un enlèvement. Un appel à témoin a été lancé. Si quelqu’un venait à l’apercevoir, celui-ci est prié de contacter la police au plus vite... »

Le portrait qu’ils affichèrent était tiré de ma dernière photo de classe. Mes longs cheveux bruns avaient été lissés pour l’occasion et je portais du maquillage. La June de la photo avait l’air joyeuse et avait les yeux marron si brillants… Je voulais presque lui ressembler avec la fossette dans sa joue gauche et son nez retroussé.

En tournant la tête, je repérai les trois regards une fois de plus tournés vers moi. Les yeux du plus baraqué semblaient allumés d’une couleur dorée. Les deux autres avaient l’air d’avoir les cheveux bleu et rose mais je compris plus tard qu’ils avaient les cheveux clairs en réalité, blonds peut-être. Je fus prise d’un élan de panique soudain. Ils m’avaient probablement reconnue.

Je me levai en vitesse. Sac en main, je repris l’allée étroite afin de gagner la sortie. Je sentis une main saisir mon poignet. Freinant sèchement, je pivotai puis relevai mon sweat-shirt. Loin de vous l’idée que je lui dévoilai quoi que soit excepté le poignard accroché à ma taille. Le blond qui me tenait le poignet observa l’arme avant de remonter les yeux sur moi. Son visage était bien fait, des traits fins et légèrement anguleux. Il avait l’air plus vieux que moi. Un sourire orna ses lèvres fines. Un sourire amical, sympathique. Je pense qu’il avait profité de ma confusion pour ranger un morceau de papier dans ma main. La sienne était grande et chaude. Il avait le toucher léger et n’exerçait aucune pression. Lorsqu’il lâcha ma main, je serrai les doigts autour du papier avant de jeter un regard aux autres. Ils m’observaient et ne disaient rien. Comme moi, ils retenaient leurs souffles. Je me sentis comme un animal sauvage que l’on tentait d’apprivoiser.

Je fuis à toutes vitesses du restaurant. En gagnant ma voiture, j’avais le visage humide de larmes. Si je devais encore fuir à cause d’un avis de recherche et de trois idiots, je le ferais. Je roulai néanmoins tranquillement sur la route jusqu’à ma chambre dans laquelle je m’enfermai. Adossée à la porte, je dépliai le papier et le lus.

Appelle depuis une cabine téléphonique et tape « 384# » avant de composer le numéro suivant. Cela empêche d’être sur écoute lorsque l’on passe un coup de fil.

Le numéro correspondait bien à un numéro de téléphone. Je rêve ou ce type m’avait donné son numéro de téléphone sans même connaître ne serait-ce que mon visage ?! Que me voulaient-ils ? Me prenaient-ils pour une fille facile ? Peut-être étaient-ils des dealers. Pire encore : pourquoi hésitai-je à les contacter ? Non, je ne devais pas. Je ne les connaissais ni d’Adam ni d’Ève. Ils étaient probablement des types louches à la recherche de petites fugueuses dans mon genre pour en faire des prostituées maltraitées. « Les clients sont friands des jeunettes dans ton genre » me diront-ils après que j’eus aspiré une belle ligne de cocaïne.

Je ne sortis que plus tard dans la nuit. Devant le motel, il y avait une cabine téléphonique. Quelle chanceuse j’étais ! Une petite voix dans ma tête me soufflait que je prenais la bonne décision, l’autre m’étranglerait bien pour avoir pris cette décision. Je m’y enfermai puis décrochai le combiné. Je composai le code puis le numéro puis patientai plusieurs sonneries. Je fus sur le point de raccrocher avant d’entendre une voix provenir depuis le combiné.

« Allô ? »

J’hésitai légèrement avant de parler :

« Bonsoir.

- Bonsoir, souffla la voix. »

Une voix d’homme qui semblait encore endormie, mais le ton qu’il prenait semblait presque soulagé. Elle était basse mais pas grave, légèrement rauque.

« Désolée d’appeler à une heure pareille, murmurai-je. Je rappellerai demain.

- Non, s’empressa l’homme. Ce n’est pas un souci, ne t’en fait pas. Comment vas-tu ? »

Une fois de plus, mes yeux s’emplirent de larmes. Une semaine était passée et personne n’avait pris le temps de savoir comment je me portais. Si j’avais pris la peine d’appeler Cally ou d’emporter mon téléphone, elle l’aurait sûrement fait.

« Tu es toujours là ? Questionna l’homme avec une empreinte d’inquiétude dans la voix.

- Oui, grommelai-je en retenant un sanglot. Désolée je… »

Je fus forcée de prendre une longue inspiration afin de reprendre mes esprits. J'avais du mal à le reconnaître, mais cela faisait du bien de parler à quelqu'un.

« Qui êtes-vous ? Demandai-je enfin. Vous me voulez quoi ?

- C’est une très longue histoire, répondit-il avant que je n’entende un léger frottement. Nous devrions en parler en face-à-face.

- Vous me suivez depuis plusieurs jours pour me donner un rencard ?

- Non, riait l’homme à l’autre bout du fil. Disons que… C’est très compliqué à expliquer. Je ne sais pas si tu as remarqué que tu avais une pension qui t’étais versée chaque mois depuis ton entrée à l’orphelinat.

- Ouais. Une espèce d’allocation pour orphelin, répondis-je. Mon amie et moi la recevrons jusqu’à nos dix-huit ans.

- Ce n’est pas totalement une allocation, avoua-t-il. En réalité, quelqu’un vous la verse depuis votre enfance à la demande de vos parents, je pense.

- Comment ça ?

- Avant de disparaître, expliqua l’homme, tes parents ont demandé à l’institution Hoswald de te verser cette pensio-

- C’est quoi cette merde ?! Mes parents sont morts depuis plus de dix ans. Ils étaient tellement barjos qu’ils n’auraient pas pensé à me donner de l’argent. »

Je frissonnai en me rappelant mes quelques années chez eux. Ils étaient morts dans les conditions les plus affreuses qu’il m’ait été donné de voir.

« Je pense que cette histoire risque d’être bien plus complexe que je ne le pense, conclus l’homme. Peut-on se voir demain ?

- Centre commercial, terrasse au premier étage et viens seul. »

Je posai mes conditions directement. Un endroit à la vue de tous et en tête-à-tête pour me garantir un maximum de sécurité. S’il refusait, j’allais couper court à la conversation.

« Parfait. Pour treize heures, cela te convient ?

- Oui. À demain. »

Je raccrochai avant de le laisser répondre.

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