Chapitre 4 (2ème partie)

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  Domingo marchait de long en large sur le sable, en contemplant la médittéranée. Repensant à l'écrivain Machadi, il s’assied, prend ses genoux dans ses bras, pose son menton dessus, des images passent devant ses yeux clos… le poète récitant ses vers devant quelques amis…

Quelqu’un a vendu la pierre des foyers

Au lourd teuton, à la famine maure,

Et à l’italien les portes de la mer.

ou encore, assis dans un café devant un groupe de soldats, la dernière fois qu’il le vît

Si ma plume valait ton pistolet

De capitaine, je mourrais content.

  Il reprend soudainement pied dans le présent, quelqu’un vient de le secouer sans ménagements, lui intimant l’ordre de se présenter aux autorités à l’entrée du camp.

  Il s’y rend en compagnie de plusieurs autres prisonniers. Un jeune homme lui demande s’il sait pourquoi ils sont là.

  — Pas plus que toi, mais nous ne tarderons pas à le savoir – lui répond t-il.

  — Je m’appelle Abel – dit le jeune homme en lui tendant la main.

  — Et moi Domingo, enchanté Abel. – répond-il en serrant chaleureusement cette main.

  — D’où es-tu, Abel ?

   — Je suis de Lérida, mais j’habitais à Madrid quand la guerre à commencé. Pendant le siège de Madrid, j’ai combattu avec les compagnons de Durruti (5) et quand ils ont ramenés son corps à Barcelone pour ses funérailles je suis parti avec eux, puis je suis retourné à Lérida dans ma famille. J’ai participé aux combats contre les troupes de Yagüe sur le Segre (6), mais nous avons dû nous replier sur Barcelone en février ensuite ce fût la retirada (7) et finalement la France. Et toi ?

   — Je viens de Vicar, un village près d’Alméria. Mon régiment est tombé dans une embuscade à un ou deux jours de marche au sud de Barcelone et fût entièrement détruit. J’ai survécu car j’avais été envoyé en arrière pour récupérer une sacoche appartenant au commandant. J’ai vu le massacre depuis la ferme située à deux ou trois kilomètres. Je me suis enfui et plus tard j’ai entendu ces salauds abattre les paysans de la ferme dans laquelle nous avions bivouaqué la nuit précédente.

  Après avoir patienté devant l’entrée d’une tente située de l’autre côté des barbelés, il est introduit auprès de plusieurs officiers et quelques civils assis en face de lui, tous du même côté d’une grande table. Après un bref interrogatoire, l’un des civils lui propose de travailler à la construction de bâtiments publics, de routes et autres travaux d’utilité publique, s’il accepte il sera transféré dès demain à Marseille puis embarquera d’ici un mois pour l’Algérie :

  — vous y serez logé, nourri et payé !

  Lui précise le civil en lui tendant un papier et un crayon pour qu’il le signe. Il y jette un bref coup d’œil.   

  — Et sinon ? – demande t-il.

  Ils le regardèrent sans un mot, puis l’un des officiers lui dit :

  — vous étiez un soldat, non... Comme beaucoup d’autres qui ont abandonné leur uniforme ? Dans ce cas vous pouvez également vous engager dans la légion étrangère.

   Ils attendaient une réaction de sa part et comme il se taisait, l’officier poursuivit avec un léger sourire :

  — ou vous pouvez repasser la frontière pour retrouver et réintégrer votre unité... Alors, que décidez-vous ?

   Domingo savait que le retour en Espagne signifiait la mort, il ne voulait pas s’engager à nouveau comme militaire, surtout dans une armée étrangère, sans un mot, il prit le crayon et signa la feuille. En la récupérant le civil lui dit :

  — Très bien, vous avez fait le bon choix, soyez prêt demain matin à sept heures, un car partira pour la gare et de là vous rejoindrez Marseille, je vous souhaite bonne chance pour la suite…

  — Faites entrer le suivant – l’interrompit l’officier s’adressant aux gardes à l’entrée de la tente.   

  Domingo franchit la porte au moment ou Abel entrait.

  — Je t’attendrai au camp. – lui dit-il rapidement.

  En sortant, ébloui, il cligna des yeux sous la lumière du soleil, il fut reconduit a l’entrée du camp. Il s’assit sur le sable en attendant Abel, espérant que ce dernier partirait également demain vers Marseille. Il se dit qu’une page était tournée, pour l’heure il ne retournerait pas en Espagne combattre pour la liberté, les informations récentes indiquaient une victoire nette des fascistes et un gouvernement en fuite à l’étranger. Au début du mois, le général Franco avait fait diffuser à la radio, puis dans tous les journaux, l’ultimo parte (8). Finalement refaire sa vie à l’étranger était peut-être une bonne solution. Depuis l’Algérie il pourrait toujours réfléchir à son avenir et trouver un moyen d’aider les siens. Plongé dans ses pensées il ne vit pas Abel s’approcher, levant les yeux il vit qu’il affichait un grand sourire.

  — Je crois que nous partons ensemble demain matin – dit celui-ci,– espérons que nous serons mieux là-bas que dans ce camp, surveillés comme des prisonniers.

  Domingo lui faisant signe de s’asseoir à côté de lui, répondit :

  — Tu as raison nous sommes incapables de nous déplacer hors de ce camp sans autorisation. Autorisation qu’on ne nous accorderait pas d’ailleurs. Nous sommes parqués comme des animaux, entourés de barbelés et surveillés par des soldats armés. Finalement partir d’ici c’est un peu retrouver la liberté ! Alors, vivement demain !

~~~~~~~~~~

Notes :

1- 9ème planète du système solaire, découverte en 1930 par C. W. Tombaugh d'après les calculs de P. Lowell en 1915. (mais depuis le 24 août 2006, l’UAI [Union Astronomique Internationale] a classé Cérès, Pluton et Eris comme planètes naines, Pluton et Eris étant des objets transneptuniens et dans cette nouvelle classification Pluton s'est vu attribuer le numéro 134340.)

2 - Union Astronomique Internationale fondée en 1919 par l’astronome français Édouard Benjamin Baillaud.

3 - 1937 UB nommé provisoirement Hermès est passé à moins d'1 million km de la Terre le 30 octobre 1937, son diamètre est d'environ 0,8 km.

4 - Antonio Machado, poète espagnol, né le 26 juillet 1875 à Séville et mort le 22 février 1939 en France à Collioure.

5 - Buenaventura Durruti, fut un des principaux anarchistes espagnols de la révolution sociale espagnole de 1936. Après avoir organisé la résistance victorieuse contre les nationalistes à Barcelone, il est envoyé le 13 novembre 1936 avec ses troupes (colonne Durruti forte de 3000 combattants) à Madrid où il meurt une semaine plus tard, le 20 novembre 1936, dans des circonstances suspectes après avoir été blessé la veille. Sa compagne française, Émilienne Morin, figure de l'anarchisme libertaire, et leur fille Colette rentreronten France en 1937.

6 - Le Sègre est une rivière qui fait office de frontière naturelle entre l'Aragon et la Catalogne. On désigne sous le nom de bataille du Sègre les combats livrés sur ses rives entre les troupes nationalistes et les forces républicaines du 4 avril 1938 au 3 janvier 1939, lorsque, brisant le front, les franquistes entrèrent en Catalogne.

7 - Nom donné, lors de la guerre civile, à l’exode des troupes républicaines et des populations civiles à partir de février 1939 en direction de la France.

8 - Depuis Burgos, le général Franco fait diffuser le 1er avril 1939 l' "último parte", communiqué de victoire dans lequel il déclare que la guerre est terminée :

( Aujourd'hui, ayant capturé et désarmé l'armée rouge, les troupes nationalistes ont atteint leurs objectifs militaires. La guerre est terminée.

Le généralissime Franco. Burgos, 1er avril 1939.)

JI 05/02/22

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