Chapitre 5

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V

À peine sortit, Talline savait qu’il avait peu de temps devant lui. Sa libération aussi surprenante que rapide cachait sans doute quelque chose. De ses affaires personnelles, à l’exception de ses vêtements et de ses chaussures sans lacets, on ne lui avait rendu qu’un portefeuille vide, quelques pièces de monnaie, juste de quoi payer le bus et peut-être un café ou deux, et... une carte de visite de son avocat. Sur cette dernière figurait un numéro de téléphone qu’il ne connaissait pas.

  L’arrêt de bus était situé à six cents mètres de là, la route paraissait déserte. Il la parcourut du plus rapidement qu’il pût, gêné par l’absence de lacets, tout en surveillant les alentours. Près de l’arrêt il y avait quelques maisons et une épicerie ouverte. Il entra et demanda le téléphone afin de joindre Ithri, un ami qu’il savait sûr et discret. Celui-ci accepta de venir le chercher rapidement. Il n’avait aucune confiance dans les autorités pénitentiaires ni d’ailleurs en son avocat, commis d’office dont il se demandait pour quelles raisons on lui avait remis cette carte qu’il n’avait jamais possédée espérant sans doute qu’il appellerait le numéro griffonné.

  Au bout d’un quart d’heure, un car arriva et quelques personnes montèrent. Talline resta à l’abri dans l’épicerie et dix minutes plus tard une voiture vint s’arrêter devant, reconnaissant Ithri il s’engouffra dans le véhicule qui démarra aussitôt. Il expliqua, dans les grandes lignes, la situation à son ami qui lui demanda de se baisser lorsqu’au bout de quelques minutes ils aperçurent le car arrêté sur le bas côté par deux gros véhicules dont les occupants descendaient au moment de leur passage. Ils les virent par la lunette arrière monter dans le bus. Ithri accéléra au maximum afin de rejoindre une zone moins désertique et arriver enfin dans les faubourgs d’Alger où ils pourraient disparaître dans la circulation.

  — J’ai emprunté cette voiture à un cousin en laissant la mienne un peu plus loin, afin de ne pas être repéré. La voilà au bout de la rue à droite, la 203 noire, je vais m’arrêter à côté, prends les clés, monte à l’arrière et baisse-toi ! Je rends la bagnole et je reviens. Il vaut mieux qu’on ne te voie pas, mon cousin croit que ma voiture est en panne, il habite à cinq minutes, vas-y maintenant Samir, il n’y a personne…

  Il descendit, méfiant, il le regarda s’éloigner en tournant à gauche. Un café était ouvert à une quinzaine de mètres, il entra, commanda un café et surveilla la voiture. À peine l’avait-il bu qu’il vit Ithri revenir... seul. Soulagé, il le rejoignit près du véhicule.

  — Montons vite – dit-il – j’avais besoin d’un bon café pour oublier la lavasse qu’ils m’ont servie pendant un an et demi… quand il y en avait… !

  — Je comprends, mais c’était risqué. Je t’emmène chez-moi, allonge-toi sur la banquette et mets la couverture sur toi, afin qu’on ne te voie pas, le temps que je rentre la voiture dans la cour. Il y a un mur de deux mètres cinquante tout autour. Quand j’aurai refermé la porte d’entrée, tu pourras sortir, personne ne pourra te voir.

  Durant quatre longues semaines Talline va se terrer chez son ami dont le fils, Juba, âgé de quinze ans, servira de coursier discret pour contacter quelques membres de l’organisation clandestine (1) et obtenir de l’argent, des vêtements et des papiers afin de pouvoir rentrer en France.  

  Il avait beaucoup maigri, de quatre-vingt-quinze kilos à son incarcération, il n'en pesait plus que soixante-huit à sa libération, ses habits flottaient littéralement autour de lui, des cheveux longs, une barbe en broussaille de quinze centimètres... il avait besoin de changer d’allure pour passer la frontière.

  Quand tout fut prêt, il acheta une serviette de représentant, il la remplit de prospectus d’entreprises, se coupa les cheveux très court, mit un paire de lunettes teintées, tailla sa barbe au plus près, type homme d’affaire et se vêtît d’un complet croisé élégant. Puis il se présenta à l’aéroport pour un vol vers Rome avec ses faux documents, Il n’eut aucun problème et une fois à Rome reprit un vol pour Nice sans la moindre difficulté et de là, le train de nuit pour Paris où l’attendaient ses amis.

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Note : 1 - MNA, Mouvement Nationaliste Algérien opposé au FLN, Front de Libération National.

JI 09/02/22

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