Chapitre 4 (1ère partie)

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IV

  Lentement l'ombre recouvrit Domingo. Un nuage poussé par les vents d'altitude venait de cacher le soleil, apportant une fraîcheur toute relative sur la plage. Domingo se redressa doucement sur ses coudes, puis s'assit d'un coup de rein et entoura ses genoux de ses bras. Il jeta un coup d'œil sur sa droite et aperçût Iago, l'astronome, en grande conversation avec des officiels accompagnés de deux tirailleurs noirs, fusil à la bretelle. La conversation paraissait animée, mais il n'en percevait pas un mot. Il ne voyait que les grands gestes des mains et des bras, comme une conversation de sémaphores, mais incompréhensible.

  L'astronome, quel drôle de type ! Il l'avait rencontré à Jigon, au sud de Barcelone, juste avant l'offensive de Yagüe sur l'Ebre. C'était si loin maintenant, en fermant les yeux, il pouvait presque revoir ces moments et ceux qui avaient suivi. Si loin, une éternité ! Il sursauta en y pensant. C'était un mois avant la débâcle, un mois avant l'arrivée dans ce camp en France. Mais si loin ! Si présent ! Il ferma les yeux...

  — Te rends-tu compte ? – lui disait Iago, – d'un seul coup notre univers s'est agrandi ! Une neuvième planète a été découverte...

  — Il y en avait donc huit ? – lui demanda-t-il ingénument.

  — Nous en connaissions huit auparavant, c’est vrai, mais il y a huit ans, Pluton (1) a été découverte au-delà de l'orbite de Neptune !

  — Pluton ? C'est son nom ?– demanda-t-il en l’examinant, bien éveillé maintenant

  — Oui, ils l'ont nommée ainsi.

  — Qui ça ?

  — Je ne sais pas, le découvreur, l’académie, ou l’UAI (2), un comité de scientifique, peu importe qui !

  — Pluton ? Alors çà doit être l'enfer, non ?

  — En fait, personne n'en sait rien, c'est juste un nom comme ça, celui d'un dieu du panthéon romain, comme les autres planètes. Tu sais, l'homme aime nommer les choses, ça lui donne le sentiment qu'elles lui appartiennent un peu, qu'il peut agir dessus d'une certaine façon. Quant à la planète, étant donné son éloignement du soleil, si c'est un enfer, c'est un enfer de glace. La température ne doit guère dépasser moins deux cents degrés.

Luis, qui écoutait assis près de lui, le poussa du coude et dit en souriant :

— il fait meilleur ici, non ?

— Ah ! Au fait, pour répondre à ta première question – dit Iago– il y a en fait bien plus que huit ou neuf planètes si l'on compte les astéroïdes situés entre Mars et Jupiter.

— Les quoi ?

— Les astéroïdes. Des petites planètes qui forment une ceinture, une sorte de cohorte de petits astres situé s sur une même orbite ou des orbites très voisines et correspondent sans doute à une planète qui se serait fracassée en morceaux peut-être à la suite d'une collision avec un autre astre, à moins, tout simplement que l’énorme masse de Jupiter, toute proche n’ait empêché l’agglomération de poussières, débris, gaz et tout ce qui permet à une planète de se former, ou encore, qu’il s’agisse d’un astre errant ou d’un satellite échappé de Jupiter, qui aurait alors explosé sous l’effet de forces gravitationnelles . "

— Parce qu'il arrive que des planètes se rentrent dedans ou se promènent ?

— C'est rare, mais cela arrive, en tout cas dans cette région du système solaire. Et même parfois, çà peut arriver ailleurs. Par exemple il y a deux ans, un petit astéroïde appelé Hermès (3) est passé tout près de la Terre.

— Tout près ?

— Oui ! Enfin à moins d'un million de kilomètres de la Terre, mais tu sais, là-haut, ce n'est rien, vraiment, on peut dire qu'il a frôlé la Terre.

  Et il pouvait continuer comme ça pendant des heures, à nous expliquer la création de l'univers, intarissable.

  Pluton, drôle de nom pour une planète que celui du dieu des enfers ! A mon avis, nous avions du échouer dans son ambassade sur Terre. Quoique l'enfer soit plutôt de l'autre côté des Pyrénées. Nous, ici, nous sommes sauvés… en quelque sorte !

  ...Ou bien tombés de Charybde en Scylla, comme les compagnons d'Ulysse !

  Domingo s'allongea à nouveau sur le sable, les yeux fermés, il se remémorait les évènements qui l'avaient amené dans ce camp. La liberté, la guerre, la mort, la peur, l’espoir, l’amitié ! Il se souvint du poète, comment s'appelait-il déjà ? Ah oui ! Machado (4), un andalou comme lui, il était de Séville et était très malade. Le passage de la frontière, à pieds, au sein d’une foule immense, alors qu’il était épuisé par la fatigue, les privations, la maladie et le froid, avait été d’autant plus atroce que s’y ajoutait le déchirement de l’exil.

  Du fait de sa notoriété, et peut-être aussi de sa fortune, il avait été accueilli dans une pension de famille, en compagnie de sa mère, disait-on, mais malade, il était alité depuis et la rumeur le disait mourant, au point que l’ambassadeur Marcelino Pascua tentera de le faire transférer à Paris afin de le faire soigner.

  Hélas ! Il est déjà trop tard, il est intransportable. Resté trop longtemps sans soins suffisants, il mourra dès les premiers jours d’exil, d’une crise d’asthme plus forte que les autres à moins que ce ne soit du désespoir de voir son pays tomber aux mains de ses bourreaux.

JI 04/02/22

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