Chapitre 2 (4ème partie)

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  Le refuge était tout près, mais dans cette purée épaisse, ils auraient pu passer à côté sans le voir. A l'intérieur, une table, deux bancs et deux chaises occupaient le centre de la pièce. Le long des parois, quelques bat-flanc recouverts de sacs emplis de paille, dans un coin, des couvertures que les réfugiés se partagent rapidement.

  — Vous croyez qu'on peut faire du feu ? – demanda Paco accroupi devant la cheminée près d'un petit tas de bois.

  — Non, non ! – répond José, – faut pas ! On va se faire repérer par les autres salopards de fascistes !

  — Je crois pas ! – réplique Pepe, – avec cette tempête de neige, ils peuvent rien faire et en tout cas, ils sont sûrement au chaud en bas. Ils enverront les avions pour nous canarder, mais seulement quand il neigera plus.

  — Il a raison ! – insiste Paco, – il y a tout ce qu'il faut ici, on est tous gelés et on en a besoin. Alors je vais le faire ce feu tant qu'il me reste un peu de force et de volonté.

  Et il se mit à entasser quelques brindilles, un vieux bout de journal quatre ou cinq petites branches par-dessus et il y mit le feu.

  Tous se pressèrent autour de lui quand il ajouta les grosses branches et que la flambée peu à peu réchauffa l'atmosphère.

  — Regardez ! – Fit Placido, un civil d'une cinquantaine d'année qui s'était joint à leur groupe hier matin, – j'ai trouvé des pommes de terre et des haricots, on va pouvoir manger !

  Il chercha du regard, un récipient pour cuire les haricots, tout en nettoyant les pommes de terre de ses grosses mains et en les glissant sous la cendre. Avisant un casque :

  — on pourrait s'en servir en enlevant la garniture, ça fera une belle gamelle !

  Joignant le geste à la parole, Paco ôta les sangles de cuir du casque et le lui passa.

  — Tu as raison, ce casque quand je le portais avait une tête bien pleine, maintenant il nous fera le ventre bien plein !

  Et tous partirent d'un grand rire qui évacua ainsi une partie de la tension de ces derniers jours.

  Le repas fut excellent et joyeux, ils firent même chauffer de l'eau pour se laver et après quelques heures de repos, alors que la neige semblait vouloir s'arrêter de tomber, ils repartirent d'un pas plus léger, vers le sommet tout proche, vers la France, vers la paix, vers la liberté.

  Une fois passé le col, le chemin suivait le flanc de la montagne en une pente à peine marquée. La neige semblait moins abondante de ce côté du pic. Le froid était plus supportable et la marche était facilitée par le terrain. Ils pensaient être à moins de deux journées de marche du poste frontière. Ils avançaient péniblement, tant ils étaient épuisés, mais ils avançaient quand même.

  Le ciel se faisait de plus en plus menaçant et au fil des heures, l'air devenait lourd et oppressant. En fin d'après-midi des grondements lointains retentirent répercutés de montagne en montagne. La pluie ou la neige n'allait pas tarder à tomber, ils décidèrent de chercher un abri pour la nuit. La lumière du jour ayant beaucoup baissé, ils purent apercevoir encore éloignée, la lueur des éclairs reflétée par la glace et les nuages. Voyant une sorte de promontoire rocheux, un peu plus bas, ils s'y rendirent pensant qu'ils pourraient trouver un abri dessous.

  Juste en face d'eux, un éclair gigantesque illumina le ciel et les pics neigeux parurent tout proches, puis le fracas assourdissant du tonnerre les enveloppa et roula longtemps de sommet en vallée, repris par le chœur des échos.

  — L'orage est sur nous ! – dit Pepe tranquillement en rallumant pour une énième fois son mégot.

  Personne ne lui répondit. Ils étaient tous blottis les uns contre les autres, à flanc de montagne, sous un entablement, une sorte d'abri naturel, creusé dans la roche comme avec un énorme coin et donc, abrité sur deux côtés.

  — Nous devrions amasser la neige sur le devant pour empêcher le vent de nous geler cette nuit ! dit José, joignant le geste à la parole.

  Des coups de tonnerre retentirent à nouveau dans le lointain, mais il n'y eut pas d'orage cette nuit-là. Emmitouflés dans leurs couvertures, à l'abri des éléments dans leur caverne, tous serrés ensemble comme leurs ancêtres des âges préhistoriques, ils s'endormirent d'un sommeil agité mais réparateur. Au petit matin, tenaillés par la faim, ils reprirent la route vers la vallée, vers la France, la liberté, la vie... Ils étaient tous persuadés de pouvoir reprendre le combat après quelques jours de repos en France et quand ils virent le poste frontière, spontanément, ils entonnèrent l'internationale et formèrent le " V" de la victoire en levant la main, heureux comme des gosses qui viennent de faire une bonne blague. Agrupemos todos es la lucha final … (12)

Ils allaient vite déchanter… !

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Notes :

1- Nom donné au toréro qui achève le taureau avec le cachetero, une sorte de poignard réservé à cet usage

2 - Familièrement : andalou !

3 - Signifie aussi bien : "les chiens" que "la vilenie“.

4 - Monsieur, vous pouvez manger à la cantine des soldats, s'il vous plait, rapportez-moi du pain.

5 - Oui, oui monsieur, suivez-moi !

6 - C'est ici, monsieur, s'il vous plait, n'oubliez pas mon pain !

7 - Bonjour !

8 - Pop. : La fuite.

9 - Fleuve dont l'embouchure est située 6 km au sud de Barcelone

10 - Général nationaliste dont les troupes comportaient des régiments marocains.

11- nom donné au parlement bicaméral espagnol (aujourd'hui Cortes Generales)

12 - paroles du refrain de l'International

JI 30/01/22

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