Chapitre 2 (1ère partie)

5 minutes de lecture

II

  Le hululement d'une chouette perça le silence environnant, faisant tressaillir Domingo, puis la lune, majestueuse, apparut entre les nuages apportant une clarté brumeuse sur la campagne.

  Domingo qui s'était allongé sur le dos ressentit cela comme un heureux présage. La lumière surgissant de la nuit, la chouette chassant les nuisibles, tout comme lui et l'armée dans laquelle il combattait.

  La veille, ils avaient repoussé un détachement nationaliste et l'avaient poursuivi jusqu'à cette colline où ils se trouvaient. Demain, ils iraient finir le travail et exterminer les vermines fascistes.

  Au fond, Domingo était un romantique, il portait les espoirs de liberté du peuple espagnol, il devait nécessairement vaincre les fascistes afin de sauver l'Espagne, Vicar, son village, sa famille, ses amis et surtout Dolores aux cheveux blonds comme les blés murs en été, au sourire doux et chaud comme un soleil de printemps, sa Lolita dont les grands yeux gris brillaient comme des lacs tranquilles quand elle le regardait.

  Lentement, les nuages recouvrirent à nouveau l'œil argenté de Dolores qui le contemplait depuis le ciel et Domingo s'endormit enfin en souriant !

  Des bruits diffus le réveillèrent, il régnait une certaine agitation sur sa droite, ses compagnons commençaient à se préparer. Miguelito, son voisin, lui fit passer une gourde remplie de vin. Dans son sac, il lui restait un peu de pain dur et une pomme, cela ferait un excellent petit déjeuner. Quelqu'un ayant préparé du café, Paco, que tout le monde appelait puntillero (1) à cause de son poignard avec lequel, disait-il, il avait achevé le maire de son village (un phalangiste déclaré surnommé « el toro »), lui en servit un gobelet. Il n'était pas fameux, mais il était chaud et ce n'était pas si souvent qu'il pouvait en boire.

  Dans la ferme, les officiers commençaient à sortir afin de réunir la troupe, donner les ordres et faire part des dernières nouvelles. Il courut sous les arbres pour se soulager, il ignorait quand il pourrait de nouveau bénéficier d'un peu de tranquillité.

  Le soleil finit par percer à travers la brume. Le jour était maintenant complètement levé, comme d'habitude ils avaient appris avec plaisir que leurs adversaires avaient perdu un certain nombre de positions et étaient partout en train de reculer, mais sans y croire totalement, faute de pouvoir vérifier. Pour l'heure le régiment qu'ils avaient bousculé hier, se trouvait à moins de trois kilomètres de leur position et ce serait une formalité de s'emparer d'eux. Ils s'alignèrent et la colonne s'ébranla vers le village situé à l'ouest où s'étaient réfugiés les rebelles.

  À mi-chemin, le sergent Mas fit signe à Domingo de sortir du rang et lui dit :

  — Cavilear, vous allez retourner à la ferme, le commandant a oublié une sacoche près des lavabos, vous nous la ramènerez au village – Il le regarda fixement l'espace d'une seconde et poursuivit – les autres couards sont sûrement partis pendant la nuit, mais soyez prudent quand même en revenant, jàndalo (2), exécution !

— À vos ordres sergent ! – répondit Domingo en saluant.

  Pendant un court instant, pensif, il regarda son régiment s'éloigner, puis remettant son fusil à l'épaule, il repartit vers la ferme. Au bout de trois cents mètres, il décida de laisser son sac à dos sur le bord du chemin, comptant le reprendre en repassant. Ainsi allégé, il se dirigea de nouveau vers le sommet de la colline.

  Le soleil commençait à chauffer doucement l'atmosphère, le ciel était clair, il allait faire une belle journée comme il y en avait souvent par ici en hiver. En empruntant le chemin qui menait à la ferme, il se retourna pour regarder dans le lointain, son régiment qui atteignait les premières maisons du village.

  Domingo était un petit homme brun, râblé, sec et noueux comme un chêne et tout aussi solide. Les combats auxquels il avait participé l'avaient aguerri et le spectacle de désolation qui subsistait après une bataille, les morts et les blessés geignants, ne le traumatisaient plus autant. Il avait les nerfs bien accrochés, mais ce qu'il vit soudain le fit s'effondrer.

  Les fuyards d'hier s'étaient transformés en véritables furies et une marée humaine semblait déferler sur ses compagnons. Une mitrailleuse les avait d'abord pris en enfilade, les décimant avant qu'ils puissent se jeter à terre, puis les hordes nationalistes les avaient submergés et étaient en train de les achever à la baïonnette. Ses amis pensaient qu'ils s'étaient enfuis pendant la nuit et en fait, ils étaient tombés dans une embuscade. Il courut vers ses compagnons, comme un fou, pendant une centaine de mètres, puis il trébucha et tomba.

  Des larmes plein les yeux l'empêchaient de distinguer ce qui se passait là-bas. Il s'essuya, rageur, avec sa manche et réalisa bien vite qu'il ne pouvait rien faire. On n'entendait pratiquement plus de coups de feu. En se relevant-il vit qu'un petit nombre des siens avaient les mains en l'air et étaient rassemblés d’un côté.

  « Il vaut mieux être prisonniers que mort ! » Pensa-t-il à voix haute. Il voyait les rebelles inspecter les bas-côtés de la route et achever les blessés.

  — Hijos de putas ! – Hurla-t-il. Heureusement ils ne pouvaient pas l'entendre. Il commença à descendre le long de la route en se cachant derrière chaque accident de terrain et chaque buisson, afin de récupérer son sac qui devait se trouver non loin de là. Dés qu'il l'eut trouvé, il fit demi-tour le plus rapidement possible en tentant de disparaître au milieu des taillis.

  Il lui fallait rejoindre Barcelone et le commandement afin de les prévenir. Il marcha ainsi, à l'écart de la route durant plusieurs kilomètres avant d'entendre des tirs de mitrailleuse puis une série de détonations. Il tomba à genoux, haletant, terrassé par l'horreur. Ils avaient dû exécuter leurs prisonniers, ses amis, ses frères. En regardant en direction de la ferme, il put voir un camion bringuebalant et fumant qui s'y arrêtait. Les fascistes étaient remontés jusqu'à la ferme. Ils devaient chercher les blessés ou l'arrière-garde, mais ceux-ci étaient partis pour Barcelone, avec les véhicules, dans la soirée d'hier

  Ou alors, ils le recherchaient ! Ils avaient du le voir repartir vers la ferme tout à l'heure ou ils l'avaient entendu quand il avait hurlé !

  À cette pensée, il accéléra et s'enfonça encore plus dans la campagne. Le soleil de janvier n'était pas trop chaud et il pouvait marcher d'un bon pas. Voyant que personne ne semblait le poursuivre, il but un peu d'eau de sa gourde, à l'abri d'un arbre et vit quelques oiseaux qui volaient en direction de la mer. Il les suivait du regard quand il entendit les détonations dans le lointain.

JI 30/01/22

Annotations

Vous aimez lire Jacques IONEAU ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0