Chapitre 8

8 minutes de lecture

La salle de bain avait déjà un certain âge. Le carrelage vert foncé avait viré au gris sale, et les joints qui avaient sûrement été blancs par le passé n’assuraient plus leur fonction correctement. Une minuscule fenêtre de verre jauni laissait passer un rai de lumière et éclairait faiblement la vasque à laquelle il manquait quelques pièces.

Certes, la salle de bain d’Alexis laissait à désirer, il en convenait.

— Mais pourquoi ça fuit par le PLAFOND ?!? s’écria le jeune homme, encore en pyjama, en poussant la porte de la pièce.

En grommelant dans sa barbe, Alexis constata l’étendue des dégâts : le plafond détrempé par une auréole brunâtre laissait tomber régulièrement quelques gouttes d’eau, qui venaient s’écraser dans la flaque déjà présente au sol.

— C’est les toilettes du voisin du dessus, bougonna le jeune homme en se passant la main dans les cheveux.

Une nouvelle goutte tomba dans un « plic » retentissant.

— Je verrai ça plus tard.

Précautionneusement, Alexis referma le battant de la salle de bain et se brossa les dents dans la cuisine. Sa devise n’avait pas changé : toujours résoudre les problèmes un par un. Adrien était sa priorité et la salle de bain le cadet de ses soucis.

Le jeune homme s’assit lourdement sur le canapé, sortit son smartphone de sa poche et chercha le numéro de son « ami » dans son répertoire. Comme d’habitude, son appel sonna dans le vide et il tomba sur le répondeur. Comme d’habitude, il laissa un message, mais comme d’habitude Adrien ne rappellerait pas. Alexis était las de cette situation. Cela faisait deux mois qu’il appelait tous les jours et il n’avait jamais reçu de réponse. À croire qu’ils ne s’étaient jamais connus, ou pire, qu’Adrien n’existait pas.

Alexis éteignit son téléphone et décida de sortir prendre l’air, les sorties tardives de son ami lui manquaient, mais il allait devoir y aller seul. Le jeune homme enfila sa veste et descendit les escaliers de l’immeuble. Arrivé à la troisième marche avant le palier, il stoppa ; c’était là qu’il avait rencontré Adrien pour la première fois. Une bouffé de honte lui rougit le visage au souvenir de la gaffe qu’il avait faite ce jour-là. Mêlée à ce sentiment de gêne, la tristesse étreignait son cœur. Elle semblait s’infiltrer dans ses os, s’immiscer dans chacune de ses pensées pour lui rappeler toujours un peu plus douloureusement l’absence d’Adrien.

Alexis se remémora chaque moment partagé avec lui, chaque seconde passée à l’aimer. Manquait-il ne serait-ce qu’un tout petit peu à l’homme dont il était tombé fou amoureux ?

Le jeune homme poussa un bref soupir et en quelques pas, se retrouva dehors. Une bourrasque ébouriffa ses cheveux châtains et entraîna avec elle les quelques feuilles mortes qui jonchaient la route. La chaleur étouffante de l’été avait laissé place à la fraîcheur écarlate de l’automne. Quelques merles picoraient les restes d’un repas délaissé et jetaient par intermittence des regards furtifs à l’étrange bipède qui déambulaient lentement.

Alexis tentait d’éloigner de son esprit toutes pensée qui se rapprochaient de près ou de loin d’une certaine personne, mais en vain. Tout lui rappelait cet amour impossible, ces espoirs détruits par le rejet et ces moments qu’il ne verrait jamais.

Il n’avait plus la moindre envie de se balader. La seule chose qu’il souhaitait était retrouver Adrien et se blottir dans ses bras. Cela relevait d’un rêve impossible et Alexis rentra chez lui pour noyer sa peine devant la télévision et une tablette de chocolat.

Il devait tourner la page et avancer. Il fallait qu’il fasse quelque chose.

**********

— Vous êtes ?

— Je suis Alexis Donchamp et j’ai vingt-six ans.

— Ok.

Le manageur était affalé sur un siège de cuir et semblait réprimer en permanence un bâillement. Il fixait des documents face à lui sans aucune motivation et portait sur son candidat un regard désintéressé. L’homme semblait véritablement ennuyé par la situation.

— Oui et donc… vos qualifications ? Quelles sont vos compétences ?

— J’essaye de faire de mon mieux, qu’importe la tâche à accomplir, sourit tristement Alexis. Je considère qu’il s’agit plus ou moins d’une de mes compétences.

Les yeux du jeune homme perdus dans le vague, son air soigné ne pouvait cacher ses cernes et son visage ravagé par la tristesse.

— Hum… Je parlais de vos qualifications professionnelles, rectifia l’examinateur en haussant un sourcil.

Alexis eut une lente prise de conscience. Évidemment, il aurait dû parler de ses diplômes…

— Je suis diplômé de la faculté de… Adrien, soupira-t-il dans un sanglot.

L’homme qui se trouvait en face lui empoigna son C.V et le parcourut en diagonale, perplexe.

— Vous… êtes un scientifique spécialisé en chimie n’est-ce pas ?

— J’aurais préféré être spécialiste de l’alchimie de corps et des esprits… Parfois les diplômes nous font oublier la valeur des gens. Pas celle de leur travail, mais de ce qu’ils sont. Adrien était…

— C’est intéressant, je n’avais pas vu les choses sous cet angle auparavant, fit l’examinateur, l’air pensif. C’est exactement ce type d’employés ouverts d’esprit qu’il nous faut ! En quoi notre laboratoire vous intéresse-t-il ?

Alexis se mordit discrètement les lèvres, il n’avait jamais cru arriver à ce stade de l’entretien.

— Je… Pour m’occu… j’ai besoin d’ar… J’AIME LA SCIENCE ! s’écria-t-il en tentant de paraître convaincant.

— EXACTEMENT ! MOI AUSSI ! Vous êtes embauché !

Le manager semblait avoir retrouvé son entrain et il se leva d’un bond, tout sourire.

— Venez avec moi, je vais vous montrer où vous travaillerez.

— Là, maintenant, tout de suite, immédiatement, dans l’instant ? s’étonna le jeune homme d’un air stupéfait.

— Eh bien oui, vous aimez la science, non ?

— … Oui, bien… sûr, hésita Alexis en suivant l’examinateur qui s’éloignait déjà à grands pas.

Tout en guidant la jeune recrue dans le dédale de couloirs du laboratoire, le grand homme lui lançait quelques détails sur le fonctionnement des centrifugeuses :

— … Et cela permet au sang de…

— Je sais, murmura Alexis en trottinant à ses côtés.

— C’est incroyable, vous êtes savant ! s’écria l’examinateur en poussant une porte qui donnait sur la cafétéria.

Un employé roux buvait un café, penché sur des documents, l’air épuisé.

— Nous sommes tous des savants ici, fit-il remarquer sans même lever les yeux.

— Je sais Jean-Bertrand, répliqua le manager en insistant bien sur son prénom. Je te présente ton nouveau collègue.

— Jean-Bertrand… murmura Alexis pour lui-même. Jean-Melchior ! Vous êtes le petit-fils du vieux fou ! s’écria-t-il soudainement.

L’employé le dévisagea avec un mélange d’incompréhension et de dégoût.

— Je vois que vous n’avez toujours pas perdu l’habitude d’embaucher des déséquilibrés mentaux, fit-il en s’adressant à l’examinateur. Je suis quasiment certain que vous ne connaissez même pas son prénom.

— Bien sûr que si, affirma son interlocuteur, il s’appelle heu… Donchamp, répondit l’homme en jetant un coup d’œil au C.V.

— Et en plus, il a un prénom ridicule… soupira le jeune homme roux.

Désorienté par cet échange, Alexis s’obligea à reprendre ses esprits malgré la confusion qu’il l’envahissait.

— C’est mon nom de famille. Je m’appelle Alexis, enchanté Jean-Bertrand.

— C’est mon nom de famille. Je m’appelle Ethan.

Ce dernier serra la main de son nouveau collègue sans enthousiasme tout en le détaillant attentivement de la tête aux pieds.

— Magnifique ! s’écria l’employeur. Moi c’est Gérard.

— C’est son nom de famille, jugea bon de préciser le scientifique roux. Personne ne connaît son prénom, c’est un mystère avec un grand point d’interrogation.

— Ici tout le monde se tutoie ! enchaîna l’examinateur sans tenir compte de la remarque de son employé. Allons boire quelque chose pour fêter ça !

— Et c’est reparti, soupira Ethan. Allez-y sans moi, j’ai du TRAVAIL ! Et les familiarités sont à éviter dans un milieu professionnel !

Alors que le jeune homme s’apprêtait à leur fausser compagnie, le nez plongé dans ses documents, son supérieur hiérarchique l’attrapa par le col et le tira brusquement en arrière.

— Hors de question Jean-Bertrand ! Il est grand temps pour toi d’apprendre à te détendre !

— Et il serait temps que vous appreniez à travailler monsieur !

Témoin silencieux d’une querelle qui s’éternisait, Alexis était partagé entre la sensation de ne pas être à sa place et un fou-rire. Il préféra s’éclipser discrètement jusqu’aux meubles de cuisine qui bordaient les murs, dans l’espoir d’épancher son stress dans un quelconque gâteau comestible — si cela existait tout du moins. Le jeune homme ouvrit quelques placards au hasard, mais nulle trace de la moindre friandise à se mettre sous la dent. Des dizaines de bouteilles d’alcool s’alignaient sur les étagères en rangs parfaitement ordonnés.

— Qu’est-ce que… commença Alexis.

— Ah ! Je vois que tu as l’œil ! s’écria aussitôt Gérard en s’avançant jusqu’à lui, tout en tirant Ethan par le pull. C’est un très bon cru de 1981 ! Et là un excellent whisky !

— Euh… Mais… C’est normal tout ça ? bégaya le nouvel employé.

— Non, mais il le fait quand même, marmonna le rouquin en tentant de se dégager.

— Mais enfin Donchamp ! Que serait la vie sans un peu d’amusement ?! Prends donc un verre avec moi !

— Euh non, sans façon, merci, s’excusa Alexis.

— Bonne idée, commenta Ethan en quittant la pièce lorsqu’il se fut libéré de la poigne de son supérieur.

Face à tant d’étrangetés, Alexis se demanda ce qu’il faisait ici. Il avait atterri chez une bande de fous ! Et son offre d’emploi ne relevait pas du miracle, mais de la malchance, une fois de plus !

Le jeune homme se dirigea discrètement vers la porte et fit mine de regarder sa montre.

— J’ai un rendez-vous, il faut que j’y aille, annonça-t-il avant de déguerpir sans même attendre une réponse.

Alexis sortit des locaux et rejoignit l’arrêt de bus le plus proche au pas de course. Quelques feuilles mortes voletaient au sol, en un bruissement désagréable. Un bus entièrement gris, pareil au ciel, s’arrêta un bref instant pour laisser monter le jeune homme, qui comme à son habitude, repéra rapidement où étaient placées les quelques personne déjà présentes.

Une femme ridée avait posé ses sacs de courses sur les trois sièges qui l’entouraient, empêchant un couple de s’assoir. Quelques lycéens occupaient tout l’espace restant en s’appuyant nonchalamment sur les autres places.

Alexis se fraya timidement un passage vers le fond du véhicule et poussa un soupir. Rien n’allait. Il aurait mieux fait de rester chez lui pour s’occuper de sa salle de bain…

Le jeune descendit à son arrêt, entra dans son immeuble, prit son courrier, et s’enferma dans on appartement. La lumière peinait à se illuminer la pièce à travers les épais rideaux, et créait des jeux d’ombres biscornues.

Alexis se laissa tomber sur son canapé et jeta un coup d’œil à une lettre qui dépassait de son tas de courrier. Il reconnut immédiatement l’écriture qui l’ornait.

C’était une lettre d’Adrien.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Le duo Lunaire ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0