Dimanche

Ce matin, le réveil est difficile, et surtout, j'ai encore ce mal de tête qui me comprime le cerveau. Je suis encore plus fatiguée que la veille et je me sens vidée. Je me suis débattue toute la nuit entre rêves éveillés et cauchemars. Dans les seconds, c'était la destruction pure et simple de ce que j'étais parvenue à créer dans les premiers. Cette situation m'use. J'aimerai tellement pouvoir arranger les choses et aider Synalco, que j'en arrive à ne plus me reposer normalement. Je ne vis que pour ça depuis près de quarante-huit heures et c'est devenu obsessionnel.

J'ai tout fait pour que Marc, Sophie, Silvère et leurs camarades de classe reviennent, avec le lycée tout entier, en même temps que Lysandre. En revanche, j'ai totalement mis de côté Giacomo et je m'en veux, car il ne faut pas que j'oublie d'aider Synalco.

Après le petit déjeuner, mon Chéri retourne à son bricolage dans la cave et je me remets à écrire. C'est encore et toujours la seule voie d'amélioration pour moi, et puis, si Lysandre est revenu, quelque chose s'est peut-être débloqué et l'écriture va sans doute pouvoir faire bouger l'histoire. Mais c'est tellement confus pour moi à présent que je suis en manque d'idée.
J'entends des notifications de messages sur mon portable retentir et je vois encore un sympathique commentaire sur WordPaddy. Cela me met du baume au cœur, et je relis mes écris encore une fois.
Je constate ravie que la mise à jour a fonctionné, plus de copier/coller sauvage, je remets donc en ligne le fameux chapitre. Je pourrai aussi préparer le terrain pour mon prochain projet.
Je commence à créer la fiche avec le titre et le résumé de quatrième de couverture.
- Il faut un titre qui accroche... voyons ...
Soudain mon portable sonne, c'est Synalco.
- Salut, c'est moi.
- Salut, ça va ?
- Pas vraiment...
- Comment ça ?
- J'étais en pleine discussion avec Lysandre et Yanel quand tout à coup, ils se sont ... ils sont ... leurs corps ...
La voix de Synalco tremble et il a le souffle saccadé. La panique l'empêche littéralement de parler.
- Calme-toi... prends ton temps, qu'est-ce qui s'est passé ?
- Ils ont disparu. Devant moi !
J'ai beau entendre ce qu'il vient de me dire, mon cerveau semble rejeter l'information.
- Non, ce n'est pas possible ...
- Si ! Ils se sont... affadit devant moi ! C'est horrible, c'est... je les ai vu s'estomper ! Ils sont carrément devenus translucides et ils se sont volatilisés !
Je ferme les yeux, je commence à craquer. Tout cela me dépasse, et je sens que je suis au bout de ma volonté.
- Il faut que je réfléchisse... laisse-moi du temps... Rappelle-moi ce soir, ou demain.
- D'accord.
Mais il ne raccroche pas. J'entends son souffle dans l'appareil, il est terrorisé, je peux le sentir.
- Ne t'en fais pas, ça va aller...
- Il n'y pas que ça, j'ai peur que Gio ne réapparaisse plus jamais ou que moi je ...
- Non, non, non !! Ca n'arrivera pas ! On va trouver le moyen de sauver tout le monde, toi y compris. Je te le promets !
- Entendu... merci pour tout ce que tu fais. Je suis désolé, ...
- Ne t'excuse pas. On va y arriver.
- A demain alors.
- Oui, à demain.
Je raccroche complètement bouleversée. La seule lueur d'espoir vient de s'éteindre et ça me rend soudain très triste.
Je regarde mon ordinateur, et je serre les dents. Qu'est-ce qui a changé depuis hier pour que Lysandre « re-disparaisse » et Yanel en plus ? Je me repasse toute la journée, la soirée, mes rêves agités, je ne vois pas ce qui pourrait en être la cause.
Je commence à cliquer et à ouvrir mes dossiers, je les passe en revue, et j'ouvre celui qui concerne Lysandre justement. Lysandre... et Yanel.
Yanel qui disait à Synalco que Lysandre était revenu... justement, c'est cette histoire qui m'a posé problème sur WordPaddy... Je sens que quelque chose ne va pas en pensant à tout ça. Et j'ai comme une espèce de vertige qui me fait tanguer. WordPaddy.
Depuis que j'ai mis mon histoire sur cette plateforme, ce pourrait-il que ... les personnages disparaissent dans les méandres de l'Internet ?
Le cœur battant à tout rompre, je prends mon téléphone portable et ouvre l'application en question. En quelques instants, j'ai de nouveau suspendu la mise en ligne du fameux chapitre aux multiples copier/coller et j'attends. J'attends, encore et encore. Je fixe mon téléphone et je pense très fort à Synalco.
Ça sonne enfin. Synalco ...
- C'est un truc à me faire mourir sur place ! Je ... je ne comprends rien ! C'est Lysandre, ...
- Dis-moi qu'il est revenu...
- Oui ! Et Yanel ?
- Aussi !
- Et ils sont ... entiers ?
- Oui ! Ils sont là devant moi.
- Alors j'ai trouvé !
- C'est vrai ?
- Je crois que j'ai compris oui ! C'est juste délirant mais c'est tellement évident !!
- Alors ?
- Je crois que les personnages disparaissent à partir du moment où je publie en ligne leur histoire. Et ce serait Internet qui les annihile.
- Sérieusement ?
- Oui, ça se tient ! Si Lysandre est revenu hier, c'est parce que j'ai suspendu la mise en ligne d'un des chapitres où il figure. Et ce matin, j'ai fait la manœuvre inverse. Du coup, il a, disparu, et malheureusement, Yanel aussi.
- Et donc, si je te suis bien, tu as remis en hors ligne le passage en question, d'où leur retour...
- Exactement.
- Et pour Gio ? Tu as aussi mis notre histoire sur Internet ?
- Non, sinon on ne se parlerait pas ...
- Certes. Donc, c'est un autre problème.
- On va trouver comme pour le reste. Je vais tout de suite bloquer l'autre histoire. Reste en ligne.
Je pianote sur mon ordinateur et me connecte en même temps que l'on se parle.
- Voilà, c'est fait. Je ne sais pas comment cela va se manifester à toi, car il y a une trentaine de personnes au moins qui est sensée revenir. Le mieux est d'attendre un peu.
- Je te rappelle dès que les choses évoluent de mon côté.
- OK.

Je suis atterrée par ce qui vient de se passer. Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ? C'est pourtant évident et en même temps incroyable, mais ça reste cohérent.
J'ai tellement hésité à montrer mes écrits à qui que ce soit, et à présent, après avoir osé les publier il y a deux mois à peine sur le net, se pourrait-il que cet acte soit comme une sorte d'abandon, une espèce d'émancipation que je donnerai à mes personnages fictifs, et que du coup, ils disparaitraient de mon monde imaginaire ?
Et pour Giacomo alors ? Le problème reste entier. Sauf si je publie leur histoire, ou du moins, un condensé et du coup, ils seraient ensemble. Je peux tenter la manœuvre, le risque majeur, c'est que Synalco ne pourra plus me parler, et je peux le perdre aussi.
Je décide de le faire. Je file dans la chambre, récupère ma pochette cartonnée à rabats et retrouve une variante d'une rencontre entre mes deux protagonistes.
- Allez, c'est parti ...