Journal d'un corps - Pennac

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C'est bien les hommes ça ! Toujours à maquiller vos trouilles en vertu.

 Pennac et moi c’est une histoire d’amour, un des auteurs que j’apprécie le plus et qui a toujours le talent pour me rendre le moral quand celui-ci se fait morose. Depuis sa sortie, je lorgnais assez patiemment sur « Journal d’un corps » le draguant avec tendresse dans les librairies et observant avec intérêt son adaptation en bd par Larcenet. Je l’ai acheté il y a quelques jours pour finalement le dévorer en moins d’une après-midi.

Papa disait: tout objet est d'abord objet d'intérêt. Donc mon corps est un objet d'intérêt. Je vais écrire le journal de mon corps.

 Le pari était risqué, l’idée de l’auteur et d’une simplicité absolu : raconter l’histoire d’un individu à travers son corps qu’il raconte en brèves de journal qui, s’ils n’en sont pas intime, s’en rapprochent. Quel programme : envelopper la vie, via son lot de découverte des plus intimes puisqu’on ne parle en fait jamais que de sa propre conquête. Du corps de l’enfant à celui de l’adolescent jusqu’à la lente agonie du vieillard rien n’est épargné au protagoniste qui vit maladie, passion, famille, deuil et amour.

 Il est difficile de discerner ce que nous ôtent, en mourant, ceux que nous avons aimés. Passons sur le nid des affections, passons sur la foi des sentiments et les délices de la connivence, la mort nous prive du réciproque, c’est vrai, mais notre mémoire compense, vaille que vaille

  L’histoire commence avec un traumatisme d’enfance, la peur, celle irrépressible et absolue de l’impuissance face à une mort qu’on devine inexorable et affreuse. Et le narrateur, pour se libérer de son caractère pusillanime choisit d’écrire l’analyse de son être pour le comprendre, et le dompter.

« 12 ans, 11 mois, 18 jours,

Je n'aurai plus peur, je n'aurai plus peur, je n'aurai plus peur, je n'aurai plus jamais peur »

  Le héros est ordinaire, on ne saura jamais son métier, si ce n’est qu’il fait des conférences et donne dans la politique, qu’il vit relativement aisé dans un milieu socio-culturel supérieur. Aussi l’affection qu’on lui porte vient à nous surprendre comme un coup du hasard, lui dont on ne connait pas le nom, où alors, l’ai-je oublié. L’homme est sympathique et s’attache, sans haine, à vivre de son mieux. C’est un homme du siècle dernier avec les habitudes et le regard qui en découlent. Et semblable au grand père qu’il campe dans cet œuvre on s’y attache avec toute l’affection possible, oubliant encore et toujours que personne n’est honnête lorsqu’il se raconte et que les personnes âgées ne sont pas toutes innocentes.

Au départ, l’homme ne sait rien. Rien de rien. Il est bête comme les bêtes. Les seules choses qu’il n’a pas besoin d’apprendre c’est respirer, voir, entendre, manger, pisser, chier, s’endormir et se réveiller. Et encore ! On entend, mais il faut apprendre à écouter. On voit mais il faut apprendre à regarder. On mange mais il faut apprendre à couper sa viande. On chie mais il faut apprendre à aller sur le pot. On pisse mais quand on ne se pisse plus sur les pieds il faut apprendre à viser. Apprendre, c’est d’abord apprendre à maîtriser son corps.

  Pennac quant à lui est égale à lui-même, son style a toujours la simplicité qui le caractérise allié à son talent pour faire ressentir l’âme humaine et sa liberté dans le vocabulaire passant du soutenu au familier en une phrase exerce toujours sur moi une fascination d’enfant qui s’ébroue devant ce langage moins catholique. D’autant plus efficace ici que le lexique balaie sans tabou ce qui pourrait nous répugner, pauvres occidentaux que nous sommes. Le style est d’une élégance sans pareil pourtant sans jamais sombrer dans la prétention ou la pédanterie.

Eh oui, pour la morve on a inventé le mouchoir, le crachoir pour la salive, le papier pour les selles […] mais rien de spécifique pour le sperme. En sorte que depuis que l’homme est adolescent et qu’il décharge partout où la pulsion l’y pousse, il tente de cacher son forfait avec les moyens du bord : draps, chaussettes, gants de toilette, torchons, mouchoirs, kleenex, serviettes de bain, brouillons de dissertations, journal du jour, filtre à café, tout y passe, même les rideaux, les serpillières et les tapis. La source étant intarissable, innombrables et imprévisibles étant les pulsions, notre environnement est un honteux foutoir.

  Le livre m’a touché au cœur, mais encore une fois, je suis amoureux de Pennac depuis la première ligne de l’œil du loup, puis de Comme un roman lu dans ma tendre enfance. Les émotions font mouche et l’histoire, qu’on s’ingéniera à créer de nous-même comme on relit un puzzle, prend en haleine et dispense tant larme que rire. Le coup de génie étant dans le rappel de l’illusion biographique de Bourdieu. Le narrateur voit sa vie comme une succession de faits logiques, presque écrite et lui donne un sens, clin d’œil probable à la romanisation de nos vie, elles qu’on veut plein d’aventure à l’instar du divertissement qu’on mange à longueur de temps.

Là est la stupeur : nos enfants datent de toute éternité! A peine sont-ils nés que nous ne pouvons plus nous concevoir sans eux. Certes nous gardons la mémoire d'un temps où ils n'existaient pas, où nous existions sans eux, mais leur présence physique plonge en nous de si soudaines et si profondes racines qu'ils nous semblent exister depuis toujours.

  Ne cherchez pas dans ce livre une réponse à la vie, au corps où à rien d’autre, ce n’est jamais en soi, que le récit d’un être qui a vécu et qui a tenté de s’expliquer à lui-même, tout en appliquant la pensée Stoïque de Sénèque et humaniste de Montaigne, lui qui aimait tant les lire.

 Le nombre de barbus de trois jours à cette soirée de quadragénaires ! Curieuse époque, tout de même, la moins aventurière qui soit, assureurs, avocats d’affaires, banquiers, communicants, informaticiens, boursicoteurs, tous salariés d’un monde virtuel, tous en surcharge pondérale, sédentaires à en trouer le plancher, le cerveau confit dans leur sabir d’entreprise, mais des têtes de baroudeurs, tous, retour d’expédition, fraîchement revenus du Ténéré ou redescendus de l’Annapurna, au moins. Bref, la mode par antiphrase.

  Au final, il faut le lire pour la même raison que les autres livres de Pennac, redevenir enfant pendant quelques heures, le temps de dévorer avec curiosité son regard plein de malice et d’amour sur le monde qui nous entoure.

 Le verbe «culpabiliser» s’est installé dans la langue française en 1946. Et le verbe «déculpabiliser» en 1968. Quand l’Histoire parle d’elle-même...

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