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Christopher se retourna. Devant eux, un homme, enveloppé dans une serviette de bain, mouillé et tout rouge au sortir de sa douche chaude. Seules ses bottines aimantées avaient été enfilées.

« Vous êtes du site B, je suppose. Je suis Alan, chef de l'équipe A. » Christopher et Cédric restèrent muets. Alan continua à s'avancer jusqu'à la table. « On a eu un problème, six membres de l'équipe sur les huit ont été décimés. Les corps sont dans la réserve froide. »

Puis, voyant que ni Cédric, ni Christopher ne disaient mot : « Vous avez perdu votre langue ? »

« Heu, non. Désolé. Je suis Christopher, responsable du site B. Moon3lium nous a envoyés car votre module de communication a eu un bug. Morts, vous avez dit ?

- Oui et non, nous étions en train de remplacer le module primaire, celui qui buggait, par le secondaire, mais un mauvais contact a causé une explosion, fissurant le casque de Miguel, l'ingénieur. Son cerveau a fait une décompression pendant une dizaine de secondes. Nous l'avons allongé en espérant qu'il s'en sorte, mais quand il s'est réveillé, il hallucinait et a commencé à tuer ceux qu'il croisait. Pour le module, il ne fonctionne malheureusement plus. »

Alan était à la table, un verre en main, et faisait lentement couler l'eau de la cruche.

« Il a tué tout le monde ?

- Quasi. En une heure, sans qu'on s'en rende compte, cinq de mes hommes y sont passés. Nous avons fini par le piéger dans le sas, mais au prix des deux derniers.

- Il est mort ? lança Cédric.

- Non, il a rejoint notre caravane, mais avec une sacrée fissure dans son casque, ce qui n'a pas arrangé son état. Il a allumé les batteries et les générateurs d'hydrogène. La caméra s'est connectée automatiquement au centre de communication, on peut d'ailleurs le voir. Par contre, sa combinaison n'est maintenant plus en état. Donc il ne peut plus en sortir.

- Et cela fait combien de temps qu'il est là ?

- Voyons voir... depuis l'incident, une quinzaine de jours.

- Quinze jours dans cette boite minuscule ? dit Cédric, étonné.

- Oui, je sais, mais il est fou, il ne voit pas le temps passer. Sa cellule est d'ailleurs remplie de sang à force de s'y taper la tête. Je vous montrerai si vous voulez.

- C'est gentil, j'irai voir par moi-même après », rétorqua Christopher qui prit aussi un verre d'eau, puis se mit à réfléchir et dit :

« Bon, de toute façon, il faut installer le module satellitaire qu'on a amené. Sans cela, on ne pourra pas contacter Moon3lium. Ensuite, ben, on n'a pas le choix, on se barricade et on attend.

- Moon3lium ? Qu'est-ce qu'ils vont faire ? La seule chose qu'ils vont demander, c'est si le site est fonctionnel ! dit Alan.

- Possible, mais on a besoin d'eux pour réinitialiser les clés de sécurité. Sans cela, pas de retour. La navette ne saurait atterrir.

- Pff, comme vous voulez, dit Alan en se levant. Moi, je vais terminer ma douche.

- C'est cela, allez terminer votre douche et enfiler votre combinaison, on aura besoin de votre aide. Quant à toi, Cédric, va aider Elvin et Alfred, et fais-leur le point sur la situation. Moi, je vais voir dans quel état sont le module de communication et le prisonnier forcé. »

Tout le monde acquiesça et prit la direction des escaliers. Alan alla vers la seconde entrée, là où se trouvaient la douche et les chambres ; Cédric revint sur ses pas tandis que Christopher prit le long couloir amenant à la salle de communication. Il ouvrit le sas et trouva la console en pagaille. Il l'alluma ainsi que les écrans. « Aucun signal ». Il enleva les feuilles éparpillées et tourna le bouton « Channel » jusqu'à ce qu'il ait capté l'intérieur de la caravane du site A. L'image était pourrie, comme s'il y avait de la buée sur l'écran ou s'il était masqué avec un plastique transparent. Il essaya de deviner un corps sous les draps avant de s'incliner et de changer de chaîne.

Il prit aussi en main le logbook, l'alluma et le parcourut. C'était un long listing de dates et d'heures avec descriptions, personnes concernées etc... Il n'y avait plus aucune entrée après le 24 janvier, et les dernières portaient sur la dégradation de l'antenne, l'entretien de la station et les communications managériales avec Moon3lium.

Il trouva le canal extérieur et vit Elvin et Alfred revenir en direction du sas d'entrée. Le module était maintenant détaché de la remorque. Christopher éteignit tout et partit rejoindre les autres. Il retraversa le couloir, songeur. Il en avait le temps, le couloir était aussi long que celui du site B. De nouveau, il reprit alors les escaliers et arriva à la salle de repos. Elvin et Alfred semblaient juste arrivés. Alan, qui avait fini sa douche et avait aussi enfilé une partie de sa combinaison, était en train de manger.

« Où est Cédric ? demanda Christopher.

- ?!?

- Il devait vous informer de la situation, ajouta-il.

- On ne l'a pas vu. On a défait les câbles d'attache, et puis on est rentrés.

- Vous ne l'avez pas croisé ?

- Non... de quelle situation ?

- Il n'est pas sorti vous rejoindre ?

- On ne sait pas.

- Ok, vous deux, restez ici. Alan va vous expliquer. »

Christopher fit volte-face, prit les escaliers deux à deux, se dirigea vers le sas principal et regarda les combinaisons. Toutes celles de son équipe étaient présentes, sauf celle de Cédric. Il mit son casque rapidement et alluma la communication en mode privé avec celui de Cédric.

« Gamin, t'es là ? » Mais rien. Il regarda la puissance du signal, et là, pas grand-chose non plus. Il était bien connecté. Juste que Cédric ne répondait pas. Christopher se mit alors à marcher dans la station, son casque sur la tête et, comme un jeu de piste, scruta les fluctuations des petites barres du signal. Il fit quelques pas à droite, et la barre diminua. Il se retourna et la barre augmenta. Il prit l'un des cinq couloirs de la station, toujours le regard sur la console, et au point culminant de la barre, il zyeuta par les hublots... Et là, il vit Cédric. Il flottait dans un coin caché et sombre, sa combinaison lacérée. Son visage était blanc, froid et gonflé, marqué par la dépression meurtrière.

Christopher coupa la communication, cela ne servait plus à rien. Il enleva aussi son casque et rejoignit les autres. Elvin réagit la première.

« Tu l'as retrouvé ?

- Oui, il est dehors. Mort et assassiné.

- ?!? »

Consternation et effroi.

« Je crois que votre Miguel a une combinaison parfaitement fonctionnelle. Son casque ne lui cause aucun problème, bien au contraire.

- Quoi ?!? Mais qu'est-ce qu'on fait alors ? s'inquiéta Elvin. J'ai pas envie de crever ici.

- Y a-t-il des armes ici ? demanda Christopher à Alan.

- A part quelques couteaux de cuisine, non.»

Christopher réfléchissait. Si Alan et lui, en tant que chefs d'équipe, avaient déjà eu affaire au stress de décompression, par contre, ce n'était pas le cas des deux autres. L'atmosphère devenait anxiogène et cela se sentait. Christopher prit alors le pari du plan suivant :

« Bon, il faut qu'on communique d'abord sans cela, on ne sait pas retourner sur Terre. Donc, il faut installer le module de communication, quoi qu'il arrive. Elvin, Alfred, reprenez des forces, puis vous irez dans le sas de sortie principale.

- Quoi ? Je ne sors pas avec ce taré dans les parages. Hors de question, dit Alfred.

- Je sais, ça, ce sera le boulot de moi et d'Alan. S'il n'a pas d'arme, on va aller le déloger directement chez lui. C'est le meilleur plan que j'aie. De plus, nous prendrons le sas matériel. Il est dans un des angles morts de la caravane, tout en étant assez proche. Attendez simplement notre signal pour sortir. Une fois fini avec Miguel, on se retrouve tous près de notre locomoteur et on continue le travail tous ensemble.

- Cela me semble OK », dit Alan.

Les deux autres n'osaient rien dire. Ce n'est pas qu'ils étaient pour, mais ils n'avaient pas de meilleur plan en tête. Alors tous acquiescèrent. Le repas se déroula dans le silence le plus total et une fois terminé, aucun mot ne fut prononcé jusqu'en bas des escaliers. Alan et Christopher prirent la direction du sas, non sans aller chercher d'abord le casque d'Alan.

Les deux chefs d'équipe s'engagèrent dans le tunnel. Christopher engagea la conversation.

« Vous avez de la famille sur Terre ?

- Quoi ? Nooonnn, enfin si, mais non. » Christopher le regarda bizarrement, puis demanda :

« Divorcé ?

- Voilà, vous avez compris. Et vous ?

- Oui, dont deux gamins fabuleux qui voient en leur père un héros. S'ils savaient vraiment le travail que je fais...

- Vous avez de la famille et vous venez sur la Lune. Bizarre.

- Oh, cela n'a pas que des désavantages, vous le savez bien. Et puis, rien que pour la vue et le paysage. »

Tout en parlant, Christopher regarda l'intérieur de son casque. Une petite loupiote interne l'intrigua. Alors, il prit le casque d'Alan pour comparer, sans que celui-ci ne fît attention. Mieux, Alan commença à parler avec ses deux mains libres.

« Oui, mais le problème, c'est Moon3lium.

- Cela dépend pour quoi... C'est une entreprise, elle ne peut faire ce qu'elle veut tout le temps, poursuivit Christophe, regardant toujours l'intérieur des deux casques.

- Allez, on sait tous les deux très bien qu'ils se foutent de la sécurité et du personnel. Ils ont diminué le coût de la maintenance, beaucoup de choses ne marchent plus. Avant, les équipes étaient composées de minimum quinze ou vingt personnes, maintenant on est dix, et ils vont encore diminuer bientôt. Et tout cela pour quoi ? Pour l'argent.

- Le monde est ainsi fait.

- Non, le monde n'est pas ainsi fait. Moon3lium est ainsi fait.»

Ils étaient arrivés au sas matériel. Christopher prit les deux casques d'une même main et appuya sur le bouton vert du mur. Le sas s'ouvrit et Christopher ajouta :

« Os lo ruego, señor.

- Gracias. » Sans en avoir conscience, Alan avait répondu en espagnol. Quand il s'en rendit compte, il s'arrêta net et se retourna, mais trop tard : Christopher avait refermé le sas et bloqué le mécanisme. Seule la porte vitrée les séparait.

« Bonjour Miguel », dit Christopher. Mais Miguel avait un petit sourire en relevant la tête.

« Comment tu as su ?

- Le logbook, il n'y avait plus d'entrée après le 25. Si tu avais été le chef d'équipe, le logbook aurait été rempli. On a été formés pour cela, c'est devenu machinal. »

Silence.

« Vous savez pourquoi je les ai tués ?

- Laissez-moi deviner. Alan vous a annoncé que vous étiez viré, que cela serait votre dernier voyage ?

- Mmfff, vous le savez déjà.

- Le site B a eu sa restructuration il y a six mois. Nous ne fonctionnons plus qu'avec des équipes de quatre-cinq personnes.

- Alors, vous me comprenez.

- Vous comprendre ? Cédric avait toute la vie et il n'avait rien à voir là-dedans.

- Dommage collatéral.

- Et le fait que vous vouliez me tuer ? Je ne suis aussi qu'un dommage ?

- Cela dépend si vous me comprenez ou pas.

- Je ne vous comprends pas, et vu que je n'ai pas de prison sous la main... » Christopher appuya sur le second bumper, celui qui ouvrait la porte arrière. L'air s'extirpa, emportant Miguel avec lui. Après un long saut en impesanteur, il atterrit lentement dans la poussière lunaire avant de stopper net sur ses genoux.

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