La mise à mort

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La mise à mort

 

 Alors que la cime des montagnes commençait à rosir dans le lointain, Adila n’avait pas encore fermé l’œil. La boule au ventre qui enflait un peu plus à chaque minute lui donnait une terrible nausée. Même allongée sur le lit, concentrée sur sa respiration pour se détendre, elle ressemblait à un bout de bois. Le jour tant redouté était enfin arrivé et contrairement à ses espérances son père ne s’était toujours pas échappé.

Le Massaké avait exigé qu’elle assiste à la mise à mort de son père à la tribune d’honneur comme, selon lui, il sied à une future princesse digne de ce nom. Hakim avait bien entendu plaidé en sa faveur à plusieurs reprises, mais son père s’était montré intraitable à ce propos. Pour Hakim, convaincre Adila ne fut pas chose aisée et il avait dû se résoudre à contrecœur à lui rappeler que la vie des autres membres de la tribu était encore entre les mains du souverain et que, tant qu’ils étaient encore à la capitale, elle se devait d’obéir si elle ne voulait pas d’ultérieures représailles. Elle avait accusé le coup sans rien dire. De toute façon, en y réfléchissant bien, si la pire des hypothèses devait se confirmer, elle voulait être là pour son père et espérait que sa présence puisse en quelque sorte alléger sa souffrance, même si pour cela elle devait endurer une des pires épreuves que pouvait lui infliger la vie. Après avoir perdu sa mère et le soutien de sa famille, il lui fallait faire le deuil de cet homme qui avait toujours représenté pour elle un ilot de paix et de sécurité. En repensant à toute la tendresse qu’il avait manifestée à son égard, elle s’en voulut terriblement des paroles blessantes qu’elle avait eues à son égard lorsqu’ils avaient ramené le Tout Puissant à la capitale et que ce dernier avait été enfermé dans les cachots du Palais. Elle devait à tout prix réussir à lui faire comprendre qu’elle l’aimait par-dessus tout, quels que furent les malentendus qui les avaient séparés ces derniers temps. En attendant, elle pria avec ferveur qu’un miracle se produise.

Depuis des jours, Adila n’avait que rarement quitté sa chambre et lorsqu’elle arriva sur la grande place, le brouhaha, la chaleur du milieu de journée et la touffeur lui firent tourner la tête. Heureusement, Falda ne s’éloignait pas d’elle et son soutien lui permit de rejoindre sa place sans perdre la face. Elle savait que tous les regards seraient braqués sur elle et ne voulait pas donner satisfaction à la perversité du souverain en se montrant faible. Son père s’était toujours montré fier et digne et elle se devait de se montrer à son image pour lui rendre honneur.

Avec horreur, elle découvrit qu’à la place de l’estrade d’où le souverain avait effectué le procès, on avait monté un bûcher au centre duquel avait été soigneusement placée une potence. Cette technique barbare consistait à placer le condamné de telle façon que le prisonnier fût presque en équilibre sur le bois et que s’il tentait de s’échapper ou de replier les jambes, il s’étouffait lentement. Puisque Zarhan n’avait pas voulu collaborer en dénonçant le coupable, rien ne lui serait épargné. Cette dernière ignominie ne pouvait pas rester impunie et elle se tourna vers Falda pour lui murmurer :

— Que le ciel m’en soit témoin, cet homme devra un jour payer pour tout ceci.

La foule amassée depuis le petit matin à quelques mètres de là commençait à s’impatienter. Adila la parcourut du regard dans l’espoir d’y reconnaître la silhouette de celui qui l’avait interpellée au marché.

Les gardes attendaient la venue du Massaké pour sortir le prisonnier. Lorsque ce dernier sortit enfin, vêtu avec une longue tunique brodée d’or comme lors des grandes cérémonies officielles, il fit un signe de tête et le battement lancinant des tambours annonçant sa venue commencèrent à résonner sur la place, imposant le silence. Leurs percussions vibraient dans la poitrine d’Adila et bientôt ses propres battements de cœur se synchronisèrent à leur rythme. Sa tête se mit à tourner et elle se rendit compte qu’elle avait bloqué sa respiration tant son énergie était focalisée sur l’ouverture des lourdes portes par lesquelles allait sortir son père. L’attente était insoutenable. Elle prit la main de Falda et la serra de toutes ses forces en espérant que la douleur captât un tant soit peu son attention. Elle se répéta : respire, respire, respire ! Pourtant, comme si l’air était devenu une masse gélatineuse, ses poumons refusaient de s’ouvrir. Elle commençait à voir des mouches voler devant ses yeux quand Zarhan apparut et le hoquet d’effroi qu’elle ne put s’empêcher de pousser suffit à relancer la machine. Elle ne l’avait pas revu depuis qu’il avait été enfermé et même si Hakim avait essayé de la préparer, rien de ce qu’il n’avait décrit ne se rapprochait de la vérité.

Zarhan marchait difficilement car ses chevilles étaient entravées de lourdes chaînes et ses mains liées dans le dos. Pourtant, il avançait bravement vers son destin. Il tendit la tête lorsqu’on lui passa la corde au cou comme s’il avait hâte d’en découdre avec cet inévitable contre temps.

Plus pâle qu’un linceul immaculé, immobile, Hakim se tenait au pied du bûcher, une torche allumée à la main. Lorsqu’il vit son fils ainsi, le Massaké eut une moue de mépris. Il redouta qu’il ne s’évanouisse avant la fin de la funeste cérémonie ce qui aurait gâché son plaisir. Il passa alors près de lui et murmura :

— Je me demande ce que pense ta belle à l’idée que ce soit ta main qui embrase le corps de son père.

Instinctivement, Hakim se tourna vers Adila. Il avait jusqu’à présent redouté de la regarder car il craignait que ses forces ne l’abandonnent complètement et qu’il ne soit plus à même d’exécuter les ordres. Car c’était ainsi qu’il envisageait les choses. Il lui avait fallu bâtir une muraille contre les émotions qui menaçaient de le submerger. Aujourd’hui, il lui fallait mener un combat qu’il savait perdu d’avance pour affaiblir les défenses de son adversaire afin de livrer une autre bataille, plus importante encore, qui le mènerait à la victoire.

À quelques mètres de lui, Adila semblait chercher discrètement quelqu’un du regard. Il comprit alors qu’elle faisait preuve d’un courage surhumain par sa présence mais visiblement, elle refusait encore de croire que c’était la fin. Elle s’attendait à ce que d’un instant à l’autre son père soit délivré. Même si elle ne voulait pas se trahir et éveiller les soupçons, il la connaissait suffisamment pour savoir que sa main crispée sur celle de sa servante à sa gauche était le signe de sa très grande tension intérieure.

Un des gardes versa l’huile noirâtre et nauséabonde sur la tête et les vêtements de Zarhan. Le Massaké donna alors l’ordre aux musiciens de s’arrêter d’un simple mouvement de la main. Il tourna alors la tête vers son fils et effectua un léger hochement de tête. Hakim posa la torche sur les fagots qui s’embrasèrent aussitôt. Les flammèches vinrent rapidement lécher les pieds puis, le reste du corps.

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