Le mariage

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Depuis la mort de son père, presque deux semaines auparavant, Adila avait beaucoup maigri et perdu son entrain. Penchée au-dessus de la fenêtre comme à son habitude, elle contemplait l’horizon presque aussi noir que l’encre. Bientôt il se teinterait de rouge et les clameurs habituelles allaient reprendre leur cours. Elle profitait de ces moments de calme et de solitude pour écrire des billets secrets à sa tante. Elle aimait ce moment où tout à coup une pointe de lumière apparaissait au loin signe que la vie reprenait son cours normal et que quelqu’un s’affairait à préparer la journée alors que tous les autres profitaient encore de quelques minutes de précieux repos.

Quand Falda entra dans la chambre une bougie à la main pour l’aider à sa toilette, elle se retourna lentement quittant à regret son poste d’observation. Elle avait, à plusieurs occasions, songé à abréger ses souffrances, surtout lorsqu’elle se réveillait en sueur avec l’image du corps de son père carbonisé fixée sur ses pupilles, mais elle n’en avait pas eu le courage et cette lâcheté était comme un acide qui aggravait encore ses souffrances. Les jours s’étaient succédées et le remord l’avait consumé chaque jour un peu plus. Elle s’en voulait d’avoir cru la promesse de l’inconnu du marché et de ne pas avoir entrepris tout ce qui était humainement possible pour sauver son père de cette fin horrible. Et ce d’autant plus qu’ils s’étaient quittés sur un malentendu la privant de l’occasion de lui dire combien elle regrettait d’avoir pensé qu’il était un lâche.

Ses yeux rougis et gonflés témoignaient encore des larmes qu’elle avait versées pendant la nuit.

En la voyant ainsi, Falda exprima son désaccord en claqua la langue bruyamment.

— Vous êtes loin de ressembler à la jeune mariée rougissante que vous devriez être. Je vais tacher d’arranger cela mais il faut que vous m’obéissiez. Retournez vous coucher encore quelques instants, vous êtes plus pâle qu’un spectre du désert. J’imagine que ce n’est pas l’excitation qui vous a privé une fois de plus du sommeil.

Falda n’attendait pas de réponse car elle plus que quiconque connaissait les démons qui tourmentaient sans répit sa maîtresse.

Résignée et lasse, Adila s’en remit à sa servante. Elle s’allongea en soupirant et Falda lui appliqua sur ses paupières closes des compresses imprégnées d’une décoction de fleurs d’iris et de bleuet. La domestique entreprit ensuite de lui masser longuement les tempes et le cuir chevelu afin de la détendre. La respiration de la jeune femme se fit plus profonde et, ne pouvant plus lutter contre ce corps qui réclamait son dû en repos, elle finit par s’endormir. Falda lui massa enfin tout le corps et les cheveux avec de l’huile d’argan. Quand elle eut fini, elle réveilla à contre cœur Adila et lui ordonna de se plonger dans l’eau de son bain qui éliminerait le surplus d’huile laissant sa peau soyeuse et douce comme de la soie. Une fois qu’elle estima que sa maitresse était prête, elle fit entrer la tatoueuse. Cette dernière dessina sur ses mains, ses pieds et son visage les signes qui repousseraient les mauvais esprits et augmenteraient sa fécondité. Alors que son œuvre était presque terminée, la future mariée se mit de nouveau à fondre en larmes. Elle aurait dû être entourée par les femmes de sa famille pour se préparer à un jour si spécial. Même si Falda l’enveloppait de bienveillance et de chaleur, rien ne valait les conseils d’une mère ou d’une sœur aînée. Alors qu’elle s’apprêtait à devenir une femme, elle aurait voulu n’être encore, au moins quelques heures, qu’une enfant dans les bras de sa mère. Sa suivante et la tatoueuse échangèrent un bref regard. Elles comprenaient toutes les deux trop bien son chagrin pour avoir été, elles aussi, séparées de ceux qu’elles aimaient dans leur plus tendre enfance. La tatoueuse ajouta un minuscule signe juste au-dessus du pubis pour repousser un peu le moment où un petit être viendrait se lover à cet endroit.

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