Chapitre 1: Saphir

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Depuis notre voyage en France Jason et moi ne communiquons plus du tout de la même manière, et pour être tout à fait honnête je me demande si nous réussissons vraiment à communiquer. Je n'ai pas du tout aimé la France , alors que Jason avait tout organisé pour que ce séjour soit inoubliable. Malheureusement il pleuvait beaucoup trop, il n'a pas arrêté de pleuvoir. Certes nous habitons en Irlande et nous sommes habitués à la pluie, mais au moins chez nous, il pleut souvent le matin ou la nuit, et en été nous pouvons profiter du soleil tout l'après midi. Nous nous étions installés dans ce que les Français appellent un gîte rural, au fin fond de la Venise verte. Cette région porte bien son nom, parce que nous avons eu sans arrêt les pieds dans l'eau, et même si la maison n'était pas construite sur pilotis, nous n'avions aucun mal à imaginer que notre petite voiture était devenue une gondole, tellement nous étions impressionnés par l'abondance des précipitations. Nous avons tout de même attrapé quelques bons fou rires et avons fait connaissance avec des gens intéressants, mais lorsque nous avons franchi le seuil de la petite bijouterie, qui semblait dater d'avant guerre, les choses ont commencé à se gâcher.

C'était le jour de mon anniversaire, et Jason voulait m'offrir une bague, mais il préférait me laisser choisir mon cadeau. J'avoue que j'étais un peu déçue, parce que j'aime bien les surprises, et en outre j'avais l'impression qu'il s'était souvenu de mon anniversaire au dernier moment. Je reconnais que j'étais peut être de mauvaise foi, d'autant plus que ce voyage était déjà une surprise, mais je dois dire à ma décharge, que je me suis sentie tout de suite mal à l'aise dans cette bijouterie. J'avais la sensation que j'étais déjà venue dans cet endroit, et que les murs étaient imprégnés de mes souvenirs désagréables, alors que c'était mon premier voyage en France. J'ai pensé que décidément je n'étais pas de bonne composition, et j'ai essayé de chasser cette drôle d'idée et de me concentrer sur la jolie bague ornée d'un saphir, la seule qui avait retenu mon attention. Mais au moment précis où je l'ai passée à mon annulaire gauche, j'ai cru entendre Jason faire remarquer à la vendeuse que cette bague semblait avoir été faite pour moi, pourtant ce n'était pas la voix de Jason, et je me suis évanouïe.

Lorsque je suis revenue à moi j'étais très contrariée, et aussi un peu honteuse de m'être donnée en spectacle. Cet incident était d'autant plus surprenant qu'avant de franchir le seuil de la boutique j'étais en pleine forme. J'ai tout d'abord pensé que j'avais eu accès à des bribes d'une vie antérieure, mais je me suis bien gardée d'en parler à Jason, car je pensais qu'il ne m'aurait pas prise au sérieux. Il n'a jamais compris l'intérêt que j'accorde au passé, alors que je travaille à la bibliothèque municipale de Galway, et que j'ai la possibilité de lire des pages et des pages de documents intéressants. Je n'ai jamais su qui étaient mon père et ma mère, mais lorsque j'ai commencé à fréquenter Jason, ses parents m'ont tout de suite offert une vraie place dans leur famille. Jason est musicien et nous nous sommes toujours bien entendus, malgré le fait que je sois une amoureuse du silence, et qu'il n'apprécie pas du tout le fait que je sois obsédée par l'idée de découvrir qui était ma famille, ni cette passion pour la généalogie.

Pourtant J'ai besoin de savoir qui je suis réellement, car lorsque je me regarde dans le miroir tout se passe comme si je voyais quelqu'un d'autre, et je me sens beaucoup plus âgée que cette étrangère à qui je souris trois fois par jour, pour avoir confiance en moi. C'est vrai que j'ai l'air plutôt jeune, car je fais très attention à mon apparence, et j'avais pensé à suivre une formation de maquilleuse, tellement j'étais douée pour transformer mes meilleures amies en princesses. Quelquefois j'ai l'impression d'avoir cent ans, d'avoir vécu mille vies, alors que j'exerce la même profession depuis que j'ai terminé mes études, que nous partions toujours au même endroit en vacances, jusqu'à ce que Jason organise ce voyage en France, et que nous fréquentons toujours les mêmes amis, les mêmes restaurants, les mêmes pubs...

Et puis un jour j'ai découvert un vieil article de journal qui parlait d'une femme, qui avait dévalisé une bijouterie dans une petite ville de l'ouest de la France. Curieusement la propriétaire avait été incapable de se souvenir des circonstances du délit, mais elle avait tout de même aidé la police à dresser le portrait robot de la voleuse. Elle semblait tout droit sortie d'un film d'espionnage, portait des cheveux coupés très courts, elle avait un visage émacié et de grands yeux de biche... Et j'ai compris qu'il était temps que je change de passeport.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

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