Chapitre 2: Rubis

6 minutes de lecture

Je suis toujours en colère, et je ne sais pas pourquoi. Enfin ce n'est pas tout à fait vrai, parce que je suis en colère après Jason, un point c'est tout. Personne d'autre que lui ne réussit à me provoquer à ce point, mais il pense que je ne vais pas bien, parce que, selon lui, je n'ai aucune raison de m'énerver à ce point. Mais c'est faux, voyez vous, et je me demande bien quelle femme réussirait à vivre avec un homme aussi radin, et qui prend aussi peu soin de sa personne. Il rumine sans arrêt après le passé, et parle toujours de son ancienne compagne qui l'a laissé tomber. Autrefois c'était un bon musicien, mais aujourd'hui il passe davantage de temps à fumer du cannabis, qu'à chercher l'inspiration. Et ça me met toujours hors de moi, de le voir vautré sur le canapé à ne rien faire, pendant que moi je m'entraîne à danser du matin au soir, et que je dois faire tout le ménage, la cuisine, la vaisselle, et tout ce que je ne ferais pas, si monsieur décidait de m'aider, au moins un petit peu. Je suis danseuse de Flamenco, et il m'arrive aussi d'enseigner la guitare classique.

Jusqu'à présent nous vivions en Andalousie, à Alméria. C'est dans cette ville que j'avais rencontré Jason, qui travaillait au mini Hollywood. Il était employé pour toute la saison d'été, pour animer les soirées à thème, et je devais m'y produire en spectacle, comme chaque année. Il portait un prénom anglais, parce que son père avait de lointaines origines gaéliques, mais sa famille vivait en France. C'était la première fois qu'il venait en Andalousie, il n'avait pas encore pris le temps de visiter la région, et je lui avais proposé de lui servir de guide. Nous étions très vite devenus inséparables, et une fois la saison terminée, il n'avait plus du tout envie de retourner en France, et il s'était installé chez moi, en espérant trouver d'autres contrats, mais il n'avait absolument rien trouvé. Il devenait de plus en plus aigri, de plus en plus agressif, et il avait tendance à boire plus que de raison. Un an plus tard Il avait tout de même réussi à décrocher un contrat en or, dans une ville proche de la frontière française, et j'avais commis l'erreur de tout abandonner pour le rejoindre. Je savais que je trouverai facilement du travail dans cette région, et que je pourrai aussi animer des stages, car j'avais la réputation d'être une fameuse danseuse de Buleria. Je n'avais pas longtemps hésité à tenter le tout pour le tout, bien que je savais que je commettais une erreur.

Peut être que j'avais aussi envie d'échapper à mes parents, à qui j'en voulais énormément, pour avoir tenté de me dissuader de me marier avec mon ami d'enfance, que j'aimais plus que tout au monde. Ils n'avaient pas réussi à nous séparer tout à fait, mais ils avaient tellement craché leur venin dans notre soupe, qu'elle était devenu immangeable. Notre vie de couple n'avait plus aucune saveur, tellement nous étions obligés de subir leurs sous entendus, à chacune de leurs visites. Nous avions fini par renoncer à notre mariage, et la vie avait fait le reste, car nos chemins s'étaient complètement séparés. J'avais tellement honte de mes parents que j'avais préféré mettre fin à cette relation, et je n'ai jamais su ce qu'était devenu l'amour de ma vie. J'avais même pensé que je n'aurai pas de repos tant que je ne fréquenterai pas un homme qui soit exactement comme mes parents avaient envie qu'il soit, car il m'arrivait fréquemment de faire des cauchemars, presque toujours les mêmes: mon père nous poursuivait en voiture, et nous cherchions à nous cacher dans des petites rues désertes, avec nos valises tellement remplies, que nous ne pouvions pas les fermer correctement. Les vêtements dépassaient des valises, qui risquaient de s'ouvrir à chaque instant. Nous n'avions aucun endroit où aller, sans risquer de nous faire prendre. Je rêvais aussi que nos deux pères se battaient. Bref, j'étais tellement tendue à cette époque là, que j'avais bien failli finir sous prozac. Fort heureusement, la danse Flamenca me permettait d'évacuer tout le stress, que j'avais accumulé depuis notre rupture, et Jason était l'occasion rêvé d'échapper à mes parents. Je ne voulais plus penser au passé, et j'étais prête à tout pour oublier cette famille de malheur.

Cependant j'avais tellement réussi à me persuader que je n'avais pas droit au bonheur, que je me contentais de peu, voir de trop peu. La danse me suffisait, mais dès lors que quelqu'un, ou quelque événement s'opposait à ce que je réussisse, j'étais toujours prête à ruer dans les brancards. Et un beau jour, Jason avait eu le malheur de poser malencontreusement ma malette de maquillage sur le radiateur bouillant. Or le soir même je devais me produire en spectacle, et c'était la première. J'étais très douée pour le maquillage, et j'accordais beaucoup d'importance aux fards, que j'utilisais pour la scène. Je venais à peine de recevoir cette malette, et j'étais ravie du nouveau style, que je m'étais crée pour cette soirée. Je suis rentrée dans une telle colère, que j'avais bien failli perdre toute l'énergie dont j'avais besoin pour danser. Mais curieusement, Jason avait envie de se faire pardonner, et il avait organisé un voyage en France. Nous devions rendre visite à ses parents, qui habitaient non loin de la Rochelle, sur la côte ouest. Et j'étais très contente, car je n'avais jamais eu l'occasion d'aller en France. Malheureusement, il n'a fait que pleuvoir, et c'était bien la première fois que je voyais autant de pluie. Il faut dire aussi que j'ai passé presque toute ma vie dans une région où le soleil brille 360 jours par an. Jason m'avait prévenu, mais je trouvais qu'il avait tout de même une drôle de façon de se faire pardonner l'histoire du maquillage.

Malgré tout, j'ai passé des moments très agréables en compagnie de ses parents. D'ailleurs je les trouvais tellement gentils, que je me suis même demandé comment Jason pouvait être leur fils. Bref, tout se passait bien, jusqu'au moment où Jason a souhaité m'offrir une bague. Il m'a accompagné dans une petite bijouterie perdue en pleine campagne, à des kilomètres de la Rochelle, et je ne comprenais pas pourquoi nous avions besoin de faire tout ce trajet, pour acheter une bague, que nous aurions pu trouver ailleurs. Mais j'étais tout de même contente de visiter cette région. Il paraît qu'on la surnomme la Venise verte, et si je n'ai toujours pas compris le lien entre Venise et les étangs, je dois reconnaître que je n'avais jamais vu de paysage aussi verdoyant. Hélas et mille fois hélas, lorsque je suis entrée dans la boutique, j'ai eu l'impression d'étouffer, mais je ne comprenais pas pourquoi, car la vendeuse était accueillante, et la boutique avait quelque chose de magique. Mais lorsque Jason m'a proposé d'essayer la ridicule petite bague, ornée d'un miniscule rubis, et qu'il a prétendu qu'elle semblait faite pour moi, j'ai eu l'impression qu'une voiture me percutait de plein fouet. C'était la bague la moins chère, et elle n'était pas du tout faite pour moi, qui ai des grandes mains, et un style plutôt affirmé. J'avais l'impression d'avoir déjà vécu ce moment, mais la voix de Jason était différente, et pourtant c'était bien lui qui s'adressait à la vendeuse. Et lorsqu'il a passé la bague à mon annulaire gauche, je me suis évanouïe.

Je n'ai pas souhaité parler de cette mésaventure avec Jason, car j'avais pensé que j'étais simplement fatiguée à cause du voyage, et du rythme intensif de mes répétitions, et qu'il n'y avait pas lieu d'en faire une histoire, d'autant plus qu'il semblait très heureux de m'avoir offert cette bague. Mais quelques jours plus tard, son père avait allumé la télévision, et il a fait un arrêt sur image. Il regardait une émission sur le cinéma d'avant guerre, et il était intrigué par le visage de l'actrice. Il lui rappelait celui d'une voleuse de bijoux, qui s'était fait renverser par une voiture, en sortant de la bijouterie qu'elle venait juste de cambrioler. Elle avait disparu avant même que le conducteur ai pu lui porter secours, mais un passant avait aidé la police à faire un portrait robot de la voleuse, et cette histoire avait fait la une du journal local de la petite ville. L'actrice était une spécialiste des films d'espionnage, elle avait les cheveux coupés courts, un visage particulièrement émacié, et des grands yeux de biche, et j'ai compris qu'il était temps que je change de passeport.

FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE.

Annotations

Vous aimez lire Irène Martinelli ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0