Chapitre 3

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Cela faisait plus d'une heure que la prêtresse m’avait quittée, me confiant à Lia, l'inconnue qui me servait désormais de femme de chambre, à moi, qui n'avais jamais eu qui que ce soit sous mes ordres pour me servir. Dés que je l’avais vue, j’avais été impressionnée. C’était une grande femme aux yeux d’un vert sapin qui contrastaient avec sa peau chocolat, recouverte de mystérieux tatouages blancs. Partant de ses cheveux acajou tressés, les dessins représentaient des racines s’enchevêtrant, sur la peau lisse de son front. Elle avait l’air en phase avec la nature, et ses vêtements confirmaient ce statut. Elle portait une longue robe jaune, cousue dans un tissu fin et aérien, tandis que ses épaules étaient recouvertes de la même cape que la prêtresse du cercle de Jade. C’était l’une des plus belles femmes qui m’ait été donnée de voir…

Pour mon plus grand étonnement, la prêtresse avait décidé à la dernière minute qu’il valait mieux que je ne me déplace pas et avait à la place appelé « son amie de longue date » Lia. Sa voix aux accents chantant des bois, m’avait tout de suite envoûtée.

Depuis maintenant une heure, elle suait sang et eau dans le but de me rendre sublime pour ma cérémonie de la Renaissance. À cette occasion, je me devais d'être époustouflante, puisqu'elle marquerait définitivement et indubitablement mon entrée dans la société Revengienne, ravivant et affirmant à la face du monde ma promesse de vengeance envers celui qui m'avait trahie et s'était servi de mon amour pour lui afin de causer ma mort.

Ainsi, Lia s'efforçait tant bien que mal d'accomplir ce que je concédais être un travail de titan : J'étais dans un état lamentable, et je crois que j'aurais eu la frayeur de ma vie si j'avais pu m'observer dans un miroir. Même si elle n'avait pas terminé, il était déjà clair qu'elle était parvenue à me rendre méconnaissable. En comparaison de mon apparence habituelle, ça ne pouvait qu’être mieux. Au sens propre du terme comme au figuré, j'étais étincelante. Je brillais de mille feux, dans une robe que je n'aurais jamais imaginé porter un jour. Elle était rouge, comme le sang et la passion qui me consumait, le tulle de ma jupe virevoltait à chacun de mes mouvements, me donnant l’impression d’être aussi libre que l’air, et les roses brodées sur mon bustier étaient très significatifs pour moi. Elles représentaient mon nouveau statut, car sous mon visage doux et innocent se cachait une âme brisée, recouverte d’épines. Avec un sourire satisfait mais respectueux, Lia vint alors mettre sa touche finale à de longues heures de dur labeur. Avec douceur et délicatesse, elle posa une couronne de fleurs sauvages qui se fonda parfaitement dans mes épais cheveux noirs. Désormais, j'étais parfaite. Il ne me manquait rien. J'allais faire sensation.

Bien-sûr, le stress me tordrait les entrailles, mais au moins, la peur d'être ridicule ou de me sentir honteuse serait absente, ou en tout cas, ne serait pas du fait de ma tenue vestimentaire irréprochable et ravissante.

Devenir princesse le temps d'un soir me ravit, là n'était pas la question, mais je me demandais, me demande, et me demanderai certainement toujours pourquoi les Conseils prennent la peine et le temps d'organiser de telles fêtes pour chaque nouvel arrivant, puisqu'il n'est garanti pour aucun d'entre eux qu'il réussira sa mission vengeresse meurtrière et pourra ainsi rester. À n'en pas douter, le cercle de l'étoile pourpre avait dépensé des sommes astronomiques pour la durée d'une soirée. Pour ma soirée... Pour moi ! Je n'osais même pas penser un bref instant au prix de la réception qui aurait lieu ce soir. Une réception en mon honneur... On se démenait pour moi, Ashley... juste Ashley. Une fille ordinaire comme il en existait tant sur terre. Oui, je vivais dans un quartier résidentiel de la banlieue de Chicago. Oui, de mon vivant j'étais plutôt prétentieuse, orgueilleuse, et, comme il m'arrivait de me l'entendre dire, « rabat-joie » ... mais plusieurs millions dépensés en mon honneur ! Et si j'échouais ? Tout cet argent parti en fumée pour des chimères ! Les victorieux qui résident sur Revenge le méritent bien plus que moi ! Ils pourraient améliorer le niveau de vie de la planète, avec tout ça. Rien que ma robe pourrait nourrir une grande partie du peuple pendant au moins un an !

Lorsque j'étais enfant je rêvais d'être une super-héroïne afin de protéger les innocents. Cependant, en grandissant, j’avais réalisé que ce n’était qu’une douce utopie. Mes parents en étaient l’exemple même. Capitalistes endurcis, ils employaient de la main d’œuvre pas cher dans des pays décimés par la montée des eaux et les fréquents tsunamis. Pour soulager leurs consciences et faire bonne figure au près de leurs amis fortunés, Ils avaient décidés de m’envoyer faire un «voyage humanitaire» en Indonésie quelques temps après mon décès, et si le destin ne s'en était pas mêlé, j'aurai été coincée un an en compagnie des personnes que mes parents exploitaient.

Au lieu de cela, c'est assez paradoxal et étrange à dire, mais à la place, je me retrouvais « coincée » dans une suite luxueuse, avec pour compagnie ma propre suivante.

— Maîtresse, laquelle préférez-vous ? demanda alors Lia, me donnant l'impression qu'elle lisait en moi et savait que mes pensées évoquaient sa présence à mes côtés.

Je la regardais d'un air ahuri, complètement perdue. Mais bon sang, de quoi parlait-elle ?! Je n'en avais pas la moindre idée, et à dire vrai, ce n'était pas le plus essentiel à mes yeux. Ce sont plus souvent mes sentiments qui me contrôlent que l'inverse, et en cet instant précis, je me sentais dominée par la fureur : pourquoi se rabaissait-elle ainsi ? Tout dans son attitude montrait qu’elle se soumettait à mes ordres, alors que je n’étais qu’un grain de poussière en comparaison avec elle…

D'un mouvement vif et agile, je me retournais pour faire face à la pauvre Lia, qui sursauta et baissa les yeux vers le sol.

— Ne m’appelle plus jamais comme ça, dis-je d’une voix grinçante en pointant le doigt droit sur sa pauvre petite poitrine secouée d’une respiration irrégulière.

Toute fébrile, elle obéit et se redressa, la tête droite, son regard semblant se focaliser sur un point fixe derrière moi : une parade sans doute imaginée pour ne pas me défier tout en continuant à ne pas me regarder dans les yeux. Malgré tous ses efforts, son incompréhension et sa crainte des représailles se lisaient sur son visage et dans sa posture.

— Je ne voulais pas vous offenser... Mademoiselle Wensley, s'était-elle excusée, se retenant tant bien que mal de m'appeler « Maîtresse ». Néanmoins, reprit-elle, sa voix se faisant plus ferme, je ne peux guère me comporter autrement, car je ne puis être ni votre égale ni votre amie... C'est au-delà des convenances : il y a un code éthique à respecter, et vous allez devoir vous y habituer.

Je décelais une certaine déception et une certaine tristesse derrière ses intonations formelles, et, alors que je la regardais intensément, et ce durant de longues minutes, dans un silence gênant, je compris que cela me peinait vraiment, moi aussi. Pourquoi fallait-il toujours qu'il y ait des inégalités, et des lois qui les renforcent ? Une classe dominante, l'autre opprimée.... Le monde ne pouvait-il tourner autrement, que ce soit sur Terre, sur Revenge ou ailleurs ?

— Et pourquoi ne pas désobéir à ce code si je t’en donne le droit ? Je n’aime pas les fioritures…

— Je ne peux pas, la prêtresse compte sur moi pour vous montrer l’exemple. Vous devez comprendre que vous faite partie d’un cercle intérieur. Vous m’êtes donc supérieure à bien des égards…

— Ca ne justifie rien. Tu es mon aînée, n'est-ce pas ? Alors pourquoi puis-je te tutoyer quand ton devoir et de me vouvoyer et de m'appeler « Maîtresse » ou « Madame » ? Ne serait-ce pas plutôt à moi de te témoigner mon respect ?

— Effectivement, je suis votre aînée, mais vous, vous êtes importante... Pensiez-vous que l'on organise des cérémonies aussi spectaculaires et grandioses que la vôtre pour tout nouvel assassiné ?

— Oui... Pourquoi ? la questionnais-je, rouge de honte, me sentant soudain particulièrement idiote.

— Vous pensiez-vraiment que les conseils gaspillent autant pour chaque assassiné ? insista-t-elle, à la fois surprise et amusée par ma naïveté.

— S’ils le font pour moi, ils doivent le faire pour les autres, sinon ce n’est pas juste…

— le monde est injuste…Certes, tous ont droit à une cérémonie mais... à la votre il y aura.... (elle s'interrompit en regardant le plafond, en pleine réflexion, puis sembla se résigner). En fait, toute la haute société Revengienne sera présente ! Tous les grands noms de Revenge, imaginez un peu ! s'exclama-t-elle, ébahie.

— Mais... je... Pourquoi me font-ils un tel honneur ?! Je ne... suis personne ! bafouillai-je, prise de haut le cœur.

Toute cette histoire me répugnait, je détestais ce concept de cercle intérieur et extérieur… c’était tout bonnement absurde. Me coupant dans mes réflexions, Lia m’appliqua du rouge à lèvres en raccord avec ma tenue.

— Il va être l'heure de partir : votre voiture vous attend à l'entrée du palais. Allez-y, vous ne pouvez pas vous permettre d'être en retard ! s'écria-t-elle en s'activant pour me faire sortir.

Déconcertée, j'obéis et me retournai, la boule au ventre et le pas pesant. Malgré mon cœur qui battait à cent-mille, me vrillant les oreilles, il me sembla malgré tout l'entendre murmurer une mise en garde : « Méfiez-vous des prêtresses, leur orgueil est parfois plus grand que leur raison. » Pour quelle raison me donnerait-elle un tel conseil ?

Lorsque je me retournai, elle était de dos : aurais-je imaginé ces paroles ? Dans un soupir, je décidai de remettre mes questionnements à plus tard et de me rendre à « ma » voiture. Et qui sait, peut-être que j'en apprendrais plus cette société si aphrodisiaque à l'occasion ! En tout cas, j'étais déterminée à en savoir plus, et rien ne m'en empêcherait !

Un valet me conduisit, très professionnel et formel, au véhicule qui patientait effectivement dans la cour. C’était une voiture à sustentions magnétiques d’un blanc éclatant. J’étais stupéfaite, cette technologie n’existait pas encore sur terre, ce n’était qu’un rêve devenue réalité sur Revenge…

Excitée, je me laissais tomber sur la banquette moelleuse de l’arrière, et attendais que le véhicule démarre avec appréhension.

Ce soir, si mes espoirs se réalisaient, je saurais enfin la vérité sur tout ce qui se tramait, sur les prêtresses, sur Revenge, sur la Terre, sur moi. Et enfin, je pourrais répondre à cette question, et surtout ne plus jamais me la poser : quelle est ma destinée ?

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