Chapitre 49

8 minutes de lecture

 « Mon chéri… » J’étais en train de faire ma valise. « … Depuis votre dernière altercation, ton père est furieux, hors de lui. Il m’a envoyée en tant que conciliatrice de la dernière chance… Tu vois comme il t’aime malgré ce que tu penses… Pour que tu redeviennes raisonnable, comme tu l’as toujours été.

« Impossible, maman. Désormais nous sommes fiancés. Je lui ai même offert une bague.

— Nous le savons. Et ça le met encore plus hors de lui. Il faut que tu rompes à tout prix ! Mon trésor, écoute moi, si j’échoue, j’ai peur qu’il ne prépare quelque chose de bien plus terrible.

— Qu’est-ce qu’il y a de plus terrible que de vouloir la mort la femme que j’aime, devant mes yeux de surcroît ; sinon que de vouloir la mienne également ?

— Ne dis pas cela, mon poussin, je t’en supplie.

— C’est pourtant ce qui risque d’arriver, s’il met sa menace à exécution. Je ne pourrai pas lui survivre.

— Tu ferais de la peine à ma grande sœur, qui t’aime tant.

— Elle comprendra. » Je me suis laissé asseoir sur le lit : « Pourquoi m’en voulez-vous à ce point ?

— Tu le sais très bien. Pour éviter qu’un deuxième petit Lepervier ne devienne orphelin.

— Qu’en savez-vous, ai-je crié. Vous avez la possibilité de voir l’avenir ? A quel âge je mourrai, si je vous écoute ?... Et Maïa ?... Et Roxane ?... Est-ce qu’elle épousera un autre homme ?... Aura-t-elle des enfants de lui ?... Non. Tu sais ce qu’il va lui arriver, si je la quitte ?... Tu veux que je te le dise ?... Elle ne survivra pas, maman. Elle se laissera mourir. Alors, mourir pour mourir, je préfère encore qu’elle meure dans mes bras. Tu ne peux pas savoir combien je l’aime.

— Oh que si, trésor. Nous n’étions pas dupes, ton père et moi, cet été là. D’ailleurs, si nous n’avions pas fait claquer la porte, la fois où vous avez failli vous embrasser, sa mère vous aurait surpris, et tu aurais eu de gros ennuis, mon chéri. »

J’ai été saisi de stupeur et d’angoisse :

« Vous voyez tout ce que je fais ?

— Tout mon trésor. »

Des gouttes de sueur froide ont coulé sur mes tempes :

« Alors vous…

— Oui, nous n’ignorons rien de ce que Maïa et toi faites au lit.

— Et…

— Tu veux savoir ce que nous en pensons ?... » Je l’ai vue hausser les épaules : « C’est votre vie. Nous n’avons pas à penser quoi que ce soit, ni même à intervenir.

— Attends, maman, là je ne comprends plus. Si vous n’intervenez pas entre elle et moi, pourquoi le faites-vous entre Roxane et moi ? »

Je l’ai vue s’approcher, tendre sa main vers ma joue et la caresser. J’ai senti une chaleur douce parcourir mon corps.

« Trésor, si nous n’avions pas à craindre que votre fils, et notre petit fils par la même occasion, ne devienne orphelin, nous vous laisserions vous aimer en paix. Nous ne savons que trop ce qu’est l’amour avec un grand ‘’A’’.

— Puisque vous le savez si bien, laissez-nous tranquilles. Et qu’importe ce qu’il adviendra. » Je l’ai suppliée : « Je t’en prie maman. Je t’en prie. »

Je l’ai vue s’asseoir auprès de moi et m’entourer de ses bras. Elle pleurait elle aussi :

« Tu ne peux pas savoir tout ce que j’ai fait pour la préserver. Le nombre de fois que j’ai dû me traîner aux pieds de ton père pour qu’il la laisse vivre. Si ça n’avait tenu qu’à lui, elle serait morte ce jour où, la durée de votre coup de fil lui avait fait oublier qu’il était l’heure de la reprise des cours, et qu’elle a traversé ce grand boulevard de Marseille n’importe comment. Il voulait qu’elle se fasse renverser à ce moment-là. Je l’ai imploré de toutes mes forces de n’en faire rien. Et elle est arrivée à son école saine et sauve. Elle ne te l’a pas raconté ?

— Elle m’a juste dit qu’elle avait failli être en retard.

— Il m’en a voulu. Beaucoup. Plus le temps passerait, me disait-il, plus il te serait difficile de t’en séparer et plus dure serait la punition.

— La punition ? Il appelle la mort de Roxane une punition ? … Tu as entendu ce que son amie a dit d’elle ? » Elle a hoché la tête « Il veut la faire mourir, elle si pleine de vie, qui pourrait faire de la mienne, un trésor... » J’ai hurlé : « Et il appelle ça une punition ? Mais c’est un monstre, maman. Un monstre. Je ne peux pas croire que ce soit mon père. Maïa, m’a toujours dit qu’il était la bonté même.

— Elle ne s’est pas trompée. Il le fait pour ton bien. Tu comprends ? Ton bien. »

Je me suis levé. J’étais fou de rage. Je me suis mis à tourner en rond ; puis je me suis arrêté brusquement devant elle qui n’avait pas bougé. J’ai tendu un index menaçant :

« Dis-lui que mon bien, c’est qu’il me laisse vivre comme je l’entends ; et non comme il le veut. Si mon destin est également de mourir dans un avion avec Roxane tandis que notre fils serait gardé par sa sœur… ou sa cousine, eh bien je l’accepte. Et vous n’avez rien à dire là-dessus. » J’ai fait encore deux tours de chambre : « j’ai toujours cru que seul Dieu était maître de notre vie… Et vous êtes loin de lui ressembler. »

Elle a sorti un mouchoir et s’est essuyé le nez :

« Comme tu n’es pas gentil, trésor.

— Et vous, avec vos menaces et votre plan diabolique, vous croyez que vous l’êtes plus que moi ?

— Ton père a une patience de saint. Encore aujourd’hui, il te le prouve en m’envoyant pour te raisonner. »

J’ai recommencé à tourner :

« Mon père ! Mon père ! Mon père ! Tu n’as que ce mot à la bouche. Et toi, qu’est-ce que tu dis ? Qu’est-ce que tu en penses ? Tu l’approuves ? Maïa m’a toujours dit que tu avais une sacrée personnalité. Que tu ne te laissais pas faire par mamie Rita qui, paix à son âme, n’était pas un cadeau.

— Ma sœur en avait tout autant que moi.

— En effet, maman. Les sœurs Léchin étaient connues pour avoir… (J’avais failli dire : ‘’des couilles’’)… Des tripes, C’est ce que nous répétait Zia Mélia.

— Parce que tu me prends pour une carpette. Ingrat ! Avec tout ce que j’ai fait pour que Roxane soit encore en vie !

— Alors, fais en plus, pour qu’elle le demeure le plus longtemps possible. Que nous puissions vivre ensemble, fonder une famille, et voir nos enfants grandir… Et connaître nos petits-enfants.

— Impossible, m’a-t-elle lancé catégoriquement. » Puis, avec un petit sourire : « Peut-être avec une autre. »

Je me suis figé pendant quelques secondes, le temps que sa dernière phrase eût pénétré dans mes oreilles, et de là, transmise à mon cerveau pour analyse, et :

« Une autre ? Qu’est-ce qu’il entend par là ?

— Qu’il existe une femme avec qui tu pourras t’unir et fonder une famille.

— Ah, vraiment ? Lui ai-je demandé très ironiquement.

— Oui. »

Et toujours sur le même ton :

« Comment est-elle ? Comment s’appelle-t-elle ? Quel âge a-t-elle ? Où vit-elle ? Quel métier fait-elle ? » Je l’ai fixée droit dans les yeux : « Ecoute moi bien, maman : qui qu’elle soit, je m’en moque. Il n’y a qu’une seule femme dans ma vie : Roxane, ma fiancée. Va le dire à monsieur tape dur ! »

Elle s’est levé et a tapé le sol de son pied :

« C’est comme ça que tu parles de ton père ?

— Ce n’est pas mon père. C’est un vulgaire usurpateur !

— Et moi aussi, je suis une usurpatrice ? Elle a hurlé.

— Si toi non plus tu n’as pas pitié de ton fils, si toi aussi tu penses que Roxane doit mourir, parce qu’elle n’a pas le droit d’être la mère de nos enfants ; alors oui, tu en es une également. »

Elle s’est mise en colère :

« Anicet, je te le répète pour la dernière fois : romps avec elle et rentre à Nice, autrement… » Elle a eu une rire sardonique : « Il frappera n’importe où : demain, dans une semaine, dans un…

Je ne lui ai pas laissé le temps de finir sa phrase. J’ai pointé mon index dans la direction de la porte et j’ai crié encore plus fort :

« Va-t’en ! Maintenant j’ai la preuve de qui vous êtes vraiment. Et dis bien à celui qui se prétend être mon père que je le contrerai ! Roxane et moi sortirons vainqueurs, et vous brûlerez tous les deux en enfer pour toute l’éternité. » Elle allait arguer quelque chose j’ai haussé le ton : « Va-t’en ! »

Après son départ, j’ai été saisi de tremblements dans tout le corps. Mes dents claquaient et mes jambes ne me soutenaient plus. J’ai dû me rasseoir sur le lit. J’étais en proie à un profond désarroi. Je me suis senti abandonné, perdu, ne sachant plus quoi faire, quoi penser. J’avais peur. Dans ma tête la même image défilait en boucle : celle de Roxane étendue par terre, du sang s’écoulant de sa tête et de sa bouche. Ses yeux qui allaient me voir pour la dernière fois, étaient remplis de larmes et de terreur. Terreur du noir absolu, terreur du néant, terreur d’avoir été et de ne plus être, de ne plus ressentir, de ne plus aimer, terreur de la fin et du non recommencement, terreur de ces derniers mots qu’elle m’adressait, comme un espoir d’au-delà : « Je t’aimerai pour l’éternité. »

Ma peur était redoublée par le fait qu’elle ignorait ce qui l’attendait, que son destin était entre mes mains. La moindre erreur de ma part, lui serait fatale. Cette fois ci, je le savais, je n’aurais plus droit à un sursis. Epuisés. Comme le condamné à mort qui est venu à bout de tous les recours en vue d’obtenir une grâce. Sauf que le condamné, ce n’était pas moi. J’étais ou son bourreau, ou son sauveur. Je me suis couché sur le lit et me suis à pleurer ; de chagrin et de tristesse de rage et d’impuissance à ne pouvoir changer le cours des choses. Et dans ce trou noir où je me sentais aspiré, j’ai aperçu soudain une lueur qui m’a redonné l’espoir. Je me suis redressé et j’ai clamé à leur attention :

« Vous voulez sa mort ? Eh bien vous l’aurez… Mais vous aurez la mienne aussi. Ce matin, j’ai freiné au dernier moment derrière ce camion. La prochaine fois, j’accélérerai. Le choc sera d’une violence inouïe. La voiture s’encastrera dessous. Les pompiers venus nous désincarcérer, nous trouveront étroitement enlacés pour l’éternité. La même position que vous aviez, lorsque les sauveteurs vous ont trouvés. Les journaux qui relateront le drame, ne tarderont pas à faire le rapprochement ; sauf que le vôtre était accidentel, alors que je l’aurai provoqué. Mais quelle importance. La fin aura justifié les moyens, et ainsi cessera la malédiction des Lepervier. »

Je me suis mis debout. Léger comme une plume. Je me suis étiré. J’ai consulté l’heure à mon téléphone. Cinq minutes à peine s’étaient écoulées depuis que j’étais entré dans ma chambre. Je suis allé dans la salle de bains, je me suis rafraîchi le visage. J’ai pris mon sac, j’ai vérifié que je n’avais rien oublié. J’ai ouvert la porte, mis la clé dans ma poche. Au lieu de me diriger vers l’ascenseur, j’ai pris l’escalier pour descendre les deux étages.

Le lendemain, nous retournerions à Arcachon, nous nous baignerions, nous déjeunerions et, dans la chambre avec vue sur la baie de ce charmant petit hôtel, nous ferions et referions l’amour jusqu’à ce que nos sens implorent grâce. Et au retour…

Au retour…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Georges Floquet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0