Epilogue

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 La mi-août est à l’été, ce que le bouquet final est au feu d’artifice. Le soleil nous envoie ses rayons les plus chauds, les plus brûlants, comme un dernier baroud d’honneur avant de céder sa place à l’automne, aux feuilles mortes qui ‘’se ramassent à la pelle’’. Heureusement, Ludwig a fait construire une piscine dans sa grande maison Seine-et-Marnaise et nous nous y sommes donnés à cœur joie. Plongeons et re-plongeons. Et ma grillonne qui prenait mes épaules pour un tremplin.

Pour le déjeuner, Violette avait préparé du melon avec du jambon cru, une grosse salade de riz, le tout arrosé de vin blanc glacé et, en dessert, des glaces : fraise, citron, vanille, chocolat, pistache… Il y en avait pour tous les goûts des gourmands. Après le café, Ludwig a ramené deux barreaux de chaise et m’en a donné un :

« Il faut bien que l’on fête cela. »

Ma presque belle-sœur a ouvert de grands yeux et pris une mine sévère :

« Hors de question que vous fumiez ces horreurs ici. Même si nous sommes dans le jardin, nous sentirons leur puanteur… Puis, je vous rappelle qu’il y a une femme enceinte. Allez le fumer en faisant un tour. Je suis sûre que vous avez plein de choses à vous raconter. »

Ludwig prenant un air faussement outragé, m’a donné un coup de coude :

« On nous chasse frérot. » Il s’est levé et m’a fait signe d’en faire autant : « Allons déguster ce délicieux Havane entre hommes. »

Dix mètres plus loin, il me l’a allumé et allumé le sien

« Pas mal le coup du cigare, hein frérot ? » Il m’a donné une tape vigoureuse sur le dos : « Comme ça tu peux me raconter la fin en toute tranquillité... D’autant que tu ne lui as pas raconté la vérité, n’est-ce pas ?

— Non.

— Bon, je t’écoute Lepervier, m’a-t-il lancé en plaçant son bras sur mon épaule. Donc, le lundi… »

A dix-sept heures trente, comme nous l’avions convenu, j’ai sonné. Roxane m’a ouvert le portail et s’est jetée dans mes bras. Ses parents n’ont pas tardé à nous rejoindre. J’ai offert les tulipes à Dorothy qui m’a fait la bise, et la bouteille de whisky douze ans d’âge à Jean-Pierre qui m’a serré la main chaleureusement. Après, elle m’a montré notre chambre et, tandis que je défaisais ma valise, elle m’a annoncé, toute heureuse, qu’elle avait reçu un mail de son avocat. Jean-Marc demandait le divorce lui aussi. Ce n’était plus qu’une question de papiers à signer et attendre la convocation du juge. Quelques semaines à tout casser. Nous nous sommes embrassés longuement, et nous sommes revenus dans le salon. Elle a mis discrètement la bague à son annulaire gauche et, après avoir caché ses mains derrière le dos, elle a annoncé à ses parents que nous avions une nouvelle à leur annoncer, et m’a prié de la leur dire. Je me suis raclé la gorge :

« J’ai demandé à votre fille si elle voulait devenir ma fiancée… J’attends toujours sa réponse, ai-je ajouté sur un ton malicieux. »

Piquée au vif, elle m’a pincé le nez

« Mais qu’il est bête ! J’ai dit ‘’oui’’ tout de suite »

Et leur a montré la bague.

« Je plaisantais. »

Et quand j’ai voulu l’embrasser sur la bouche, elle a tourné la tête et mes lèvres ont rencontré sa joue.

« Voilà pour ta punition, m’a-t-elle lancé en me tirant la langue. »

Nous avons fêté l’évènement au champagne et j’ai proposé d’inviter tout le monde au restaurant.

Nous étions arrivés au village. Ludwig m’a demandé si je voulais un café, et nous avons pris place à la terrasse du seul bar

« Il faut que je te précise, Deplat, que pendant ce temps, ça s’agitait dans ma tête. Les images de l’accident que je m’apprêtais à provoquer le lendemain, passaient et repassaient en boucle. Malgré les affres qu’elles suscitaient en moi, elles ne semblaient pas trahir la joie et la bonne humeur que j’affichais devant cette famille qui ne deviendrait jamais la mienne. En même temps, la voix de Maïa m’implorait de ne pas commettre une telle atrocité, parce qu’il y aurait eu une victime de plus : elle. Je n’avais pas d’autre choix, frérot. Désormais, ils frapperaient n’importe où, n’importe quand… Cela revenait dire que je n’aurais pas pu la laisser seule un instant. J’aurais dû l’accompagner à son école, venir la rechercher ; bref, la suivre comme un garde du corps une vedette. Je n’aurais eu plus de vie. Alors j’ai préféré que nous partions ensemble.

— Comme ça j’aurais perdu mon frère, ma ravissante future belle-sœur, ainsi que ma future filleule. »

J’ai haussé les épaules :

« Je t’avoue que je n’aurais jamais été capable de me tuer, et encore moins de la tuer. J’aurais été plus monstrueux que ce couple qui se prenait pour mes parents. Je me suis même demandé si ma tante n’avait pas raison et que tout cela se passait dans ma tête. Et pourtant non, frérot. Le comportement de Roxane à Puget, ses scènes de jalousie continuelles, ça ne lui ressemble pas. Elle a été manipulée par eux. Chez ses parents, pendant que nous célébrions nos fiançailles, je les entendais rire dans ma tête, ironiser sur la situation : ‘’Pauvre chéri pris entre le marteau et l’enclume : ou c’est toi qui la tues, ou c’est nous. Car, ne va pas t’imaginer que tu mourras toi aussi, si demain tu provoques cet accident. Tu en sortiras indemne, et tu vivras le restant de tes jours avec l’insurmontable remords d’avoir tué la femme de ta vie.’’ Et leur rire sardonique a retenti dans mes oreilles tandis qu’ils me répétaient : ‘’Tu auras tué la femme de ta vie !’’

J’ai battu la cendre de mon cigare et bu ma deuxième gorgée de café qui avait tiédi.

« Donc, tu as décidé de continuer la célébration au restaurant.

— Oui, mais ses parents n’ont pas voulu y venir. (Sans doute, un autre jour de la semaine) Ils ont insisté pour que nous y allions tous seuls, en amoureux…. »

… Dans la voiture, elle a commencé sa scène de jalousie, à propos de Floriane qui lui avait dit beaucoup (trop) de bien sur moi. Avais-je eu le temps de coucher avec elle ? Espérais-je le faire ? Lui avais-je demandé son numéro de téléphone pour lui envoyer des sms érotiques ?… Puis, elle a enchaîné sur mes maîtresses passées et celles à venir, qu’elle ne croyait plus à la sincérité de mes sentiments. Avec cela, une fois arrivés au restaurant, le ciel est devenu noir tout à coup. Une pluie de fin de monde s’est mise à tomber. Les éclairs, la myriade d’éclairs a déchiré l’obscurité, et les coups de tonnerre violents, puissants, à faire trembler le sol, à réveiller les morts. L’Apocalypse en un claquement de doigts que la météo n’avait pas prévue.

A peine je me suis garé, elle est sortie en criant qu’elle ne voulait plus jamais me revoir. Elle m’a lancé la bague à la figure :

« C’est un cadeau, Roxane. Un cadeau.

— Non, un symbole qui n’a plus lieu d’être. »

Je suis descendu pour la rattraper. Elle m’a échappé, j’ai couru, j’ai glissé. J’ai voulu me relever, j’ai glissé à nouveau, comme si une force invisible me déstabilisait à chaque fois. Elle continuait à courir en me hurlant de m’en aller, sans regarder où elle mettait les pieds. Je ne la voyais plus. La nuit était trop noire. Parfois, à la lueur d’un éclair je distinguais sa silhouette.

Sur la chaussée, les voitures roulaient à toute allure, à grands coups de klaxon. Automobilistes pressés de rentrer chez eux. Tous les feux s’étaient détraqués. Orange clignotant, ce qui rendait la circulation encore plus chaotique, anarchique. Les accro-chages étaient évités de justesse et les injures fusaient d’un véhicule à l’autre.

Je me suis relevé, j’ai poussé un sprint, j’ai saisi son bras et quand j’ai voulu le ferrer, le brusque mouvement qu’elle a fait pour se dégager, m’a de nouveau déstabilisé, et je suis tombé pour la troisième fois.

« Tu ne pourras rien, mon garçon. Regarde la camionnette comme elle fonce. Elle n’a même pas ses feux allumés. Elle va arriver droit sur elle. Elle n’aura aucune chance de s’en sortir. Comme dans tes cauchemars. Elle va la prendre de plein fouet, la soulever en l’air come un fétu de paille. Quand elle va retomber sur le sol…

— Tais-toi, monstre ! Tais-toi ! J’ai hurlé.

— Tu as raison. Je me tais. Je vais voir cela de près. Ta mère est déjà aux premières loges. Elle a un petit côté sadique que je ne lui connaissais pas. Adieu, Anicet. Prie pour le salut de son âme. »

Puis le choc, puis le sang, puis les cris. C’était fini. Je l’ai vue étendue sur le sol. Un policier était accroupi auprès d’elle. Il lui parlait :

« Madame, vous allez bien ?

— Elle est morte, elle est morte, j’ai répété.

— Morte ? Jamais de la vie. Peut-être un peu sonnée. Il faut dire que j’ai été un peu brusque. Mais que voulez-vous, c’était ça, ou alors elle y passait. »

Et moi, complètement abasourdi :

« Pas morte ? J’ai entendu le cri, j’ai vu le sang gicler.

— Des cris, pour sûr, monsieur. Tout le monde était persuadé qu’elle ne s’en tirerait pas. J’ai sauté de mon scooter, je me suis lancé sur elle et je l’ai plaquée au sol sans trop de ménagement, je l’avoue ; mais je l’ai sauvée. » Puis s’adressant à elle : « Vous allez bien ? Voulez-vous qu’on appelle une ambulance »

Roxane se redressait lentement. Elle se tâtait la tête, les bras les jambes :

« Ça va !... Que s’est-il passé ? »

Ses yeux étaient à l’affût. Qui cherchait-elle ? Lorsqu’elle m’a aperçu, elle m’a souri. Je me suis approché :

« Vous connaissez ce monsieur ? Lui a demandé le policier.

— C’est mon fiancé. Que s’est-il passé, Anicet ? »

Je l’ai prise dans mes bras, je l’ai serrée de toutes mes forces.

« La camionnette a happé les faux esprits de mes parents, Deplat. Ils ont hurlé. J’ai vu leur sang gicler. Et tout de suite après le ciel s’est éclairci, la pluie a cessé de tomber et j’ai vu ce rayon lumineux qui nous a éclairés tous les deux. Mon père et ma mère, les vrais, baignaient dans cette magnifique lumière. Ils pleuraient de joie et m’ont répété je ne sais combien de fois qu’elle était très belle qu’ils étaient fiers de mon goût. » J’ai pris la main de Ludwig. « Tu me crois frérot. »

Il a acquiescé :

« Tu comptes la lui dire un de ces jours ?

— La vérité ? Jamais, Deplat. Jamais. D’autant qu’elle a tout oublié. Elle ne se souvient même pas de toutes les scènes qu’elle m’a faites, de la lettre qu’elle m’a écrite, que je me suis empressé de brûler. »

Il m’a tapé amicalement sur l’épaule :

« En tout cas, ça fera un très beau sujet de roman.

— Ah, si c’est mon éditeur qui parle, je tiens à l’informer que je tiens d’abord profiter quelque temps de ma vie d’homme marié.

— Pas encore, frérot. Pas encore.

— De ma vie de père, alors.

— Là non plus, pas encore. Dans six mois. Pour le moment tu n’es qu’un tiers de père. »

J’ai aspiré une nouvelle bouffée, rejeté une fumée épaisse comme du brouillard, vidé ma tasse de café qui avait totalement refroidi :

« Un tiers de père, c’est mieux que pas père du tout. »

Il a levé les yeux au ciel :

« Si tu le dis, frérot »

Il a posé l’argent sur la table et nous avons repris le chemin de la maison en savourant la fin de notre cigare.

FIN

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