Chapitre 42

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 Elle m’a demandé où se trouvait la médiathèque. Sur internet, elle avait vu que Puget en possédait une. Elle se situait après le bureau de poste, tout en haut d’une volée de marches. Bernadette, la responsable, approchait la cinquantaine. Elle était grande et mince, avec des cheveux noirs et argent très longs qu’elle retenait par un chignon. Devant ses yeux gris, elle chaussait une paire de lunettes austères. Sa peau blanche et l’absence de tout maquillage, en faisait l’archétype même de la bibliothécaire, un peu froide et revêche ; mais, dès qu’on la connaissait un peu mieux, on était sous le chambre du timbre de sa voix, de son humour et de sa grande culture. Régulièrement, je lui apportais tout un stock de livres que j’avais lus et relus (téléchargés de surcroît sur ma liseuse), après avoir pris soin d’effacer toutes mes annotations.

« Tu devrais m’en laisser quelques-uns tels quels. Imagine le jour où tu auras le Goncourt ou tout autre prix littéraire, je créerai un classement ‘’Dons d’Alex Cantié’’, en mentionnant qu’ils portent tes commentaires. » (J’avais aussi fait don d’un exemplaire de chacun de mes romans).

Une fois par mois, elle organisait un atelier d’écriture suivi d’un apéritif. Lorsque j’étais là, j’étais toujours le bienvenu, d’autant que la plupart des participantes(ts) (Eh oui, les femmes étaient majoritaires…) connaissaient aussi bien Maïa (qui avait fait de nombreuses expositions) que moi… du temps où Rodin était encore de ce monde. (Il est mort un mois avant mes seize ans).

« On va faire un saut, comme ça je vais faire la bise à Bernadette et je te la présenterai.

— Une de tes ex ? »

Un petit rire m’a échappé, je lui ai embrassé la joue :

« Oh non. Quand tu la verras, tu t’en rendras compte. Et puis sache, ma sauterelle qu’ici à Puget je n’ai aucune ex. »

Pieux mensonge car, à vrai dire, j’avais eu une liaison chaude et débridée d’un mois avec Sabrina, la femme de Rufin, un ami d’enfance (dont Roxane ne tarderait pas à faire la connaissance ainsi que de leur fils David de cinq ans). Elle n’avait pas encore fini ses études d’infirmière et travaillait comme aide-soignante à l’hôpital (sur la rive droite du Var). Moi j’avais obtenu mon doctorat et je m’étais octroyé un long repos bien mérité. (Maïa filait le grand amour en Bavière avec Johann, un chef d’orchestre natif de Bonn, comme leur compositeur préféré… qui était aussi le mien). Elle avait été ma partenaire lors du fameux long ‘’weekend des lits qui grincent’’. L’année suivante elle épousait Rufin, et tout cela remontait à plus de douze ans, donc il y avait prescription, et je pouvais le taire à Roxane.

Arrivés sur la place de l’église, son attention a été attirée par la devanture de la librairie où figuraient les deux tomes de ‘’Seins au formol’’ Les couvertures étaient entourées d’un large bandeau vert, qui les recouvrait à moitié sur lesquels, était imprimé en gros caractères blancs : « 400000 exemplaires déjà vendus » pour le premier et : « 250000 exemplaires déjà vendus » pour le deuxième. (Ludwig prévoyait une édition en livre de poche !!).

Elle s’est approchée de la vitrine et s’est mise à les contempler Un homme est sorti, avec son journal sous le bras :

« Je vous les conseille, madame. C’est de l’excellente littérature

— Vous prêchez une convaincue. C’est mon auteur préféré » (Elle me lançait des petits coups d’œil furtifs.) « Il me les a même dédicacés.

— Vous en avez de la chance. »

Il lui a fait un petit sourire auquel elle n’a prêté aucune attention et lui a souhaité bonne journée. Elle lui a répondu le nez toujours collé sur la vitrine. Puis elle s’est tournée vers moi :

« Je suis fière de toi, mon amour. » Puis bas à l’oreille : « J’aurais voulu lui dire que tu étais également l’homme que j’aimais le plus au monde et que tu étais à côté de moi. »

J’ai fait la moue :

« Tu as bien fait de ne rien lui dire.

— Pourquoi, tu le connais ?

— Oui. C’est monsieur le maire.

— Tu ne l’aimes pas ?

— Oui. Je l’apprécie, mais il est quelque peu bavard et nous écourterait notre flânerie. Ce soir je te le présente. Il passe de temps en temps boire un verre au bar.

— D’accord. »

Pour la médiathèque, elle a préféré que nous y passions après la promenade. Alors, tout de suite après le bureau de poste, nous avons grimpé le grand escalier qui nous a montés sur la départementale conduisant à la maison de la mine et plus haut, à la Croix sur Roudoule. Quelques mètres plus en avant, de l’autre côté de la chaussée, commençait un chemin en terre que Maïa, Rodin et moi empruntions toujours sans jamais l’avoir parcouru jusqu’au bout. Quelle importance de savoir où il menait, pourvu qu’il nous ait procuré de belles longues minutes de promenade sereine et détendue. Mon cocker noir et blanc revenait tellement fourbu qu’à peine il avait vidé sa gamelle, il allait s’allonger sur mon lit et s’endormait profondément.

Sur le chemin, elle m’a parlé de son désir de faire son doctorat.

« Et tes petits élèves ? »

Elle a haussé les épaules.

« Ils m’auront donné beaucoup de joie et de satisfaction, mais je ne me vois pas rester institutrice toute ma vie, finir comme mademoiselle Mantier qui, à presque soixante ans ânonne toujours les mêmes choses à des petits qui commencent à la trouver un peu vieille et barbante à leur goût. » Elle a fait une petite pause et, d’un ton teinté de nostalgie : « Et puis, il se peut que dans quatre ou cinq ans, ils auront fini par me lasser. »

Pour me masquer son trouble, elle a avancé de quelques pas et s’est mise à scruter les petites fleurs sur le bord du sentier. J’ai eu un serrement de gorge en repensant au rêve que j’avais fait chez elle à Marseille, lorsqu’elle me montrait son horloge biologique et que dans ma tête je vivais le combat entre les partisans de ‘’oui’’ pour lui faire l’enfant qu’elle me demandait, et les partisans du ‘’non’’. Et si un mois auparavant je lui avais répondu que je n’avais pas encore trouvé la bonne mère à qui confier ma semence pour engendrer ma progéniture, (et la sienne par la même occasion), désormais, elle était là, à quelques mètres de moi, en train cueillir des fleurs et les mettre à ses cheveux. Je n’avais plus de doutes là-dessus. Roxane était la seule femme à me donner envie de fonder une famille, de m’engager avec elle pour le meilleur et pour le pire ; exactement comme trente-six ans auparavant, un jeune sous-directeur de banque beau comme un Dieu (Dixit Maïa…), venu de Nantes à Nice y passer trois semaines de vacances, pour séduire et conduire dans son lit tout ce que la Côte d’Azur comptait comme jolies filles, et fuir du même coup, les malheureuses candidates que ses parents ne cessaient de lui présenter (Filles de barons, de comtes, petites cousines de sous-préfet, de substitut, petites nièces de général ou de contre-amiral etc. toutes moins belles les unes que les autres). Ce séduisant Breton, donc, qui s’apprêtait à conquérir, toutes les pin-up de la French Riviera, était resté bouche bée, yeux ouverts comme des ovnis devant une ravissante jeune fille de 19 ans qu’un ami commun lui avait présenté, et devant laquelle il n’avait balbutié que ces quelques mots : « On peut se revoir demain seul à seul ? ». La ravissante Stéphanie Léchin n’avait répondu qu’un « oui » à peine audible, tellement son cœur battant à toute vitesse, avait rougi ses joues, et bloqué tout son dans sa gorge. Ainsi avait commencé leur belle histoire d’amour (avec un grand « A ») et autant dire, qu’à son retour à Nantes, ayant montré à ses parents la photo de l’élue de son cœur, il leur avait dit que ce serait elle, ou alors ils ne le reverraient plus jamais. Et moi, le pauvre orphelin, qui m’étais juré de ne plus tomber amoureux, après ma rupture avec Aurélie, provoquée par la peur que ne se reproduise la même tragédie qui avait coûté la vie à mes parents, j’étais à deux pas en arrière de la plus belle des institutrices de France et de Navarre qui, dix-huit ans auparavant était une sauterelle espiègle, dont j’étais amoureux malgré une différence d’âge astronomique, en cet été 97.

J’avais envie de la prendre par les épaules et lui glisser à l’oreille que je désirais être le père de ses enfants, de nos enfants. Car je l’aimais comme jamais je n’avais aimé de ma vie. Toutes les femmes qui s’étaient succédé dans mon lit, n’avaient jamais compté. Or, contrairement à maman (selon ce que Maïa m’en avait raconté) qui n’avait jamais mis en doute la sincérité des sentiments de papa pour elle, (Pourtant, question femmes, toujours d’après la sculptrice de mon cœur, nous n’avions rien à nous envier l’un l’autre), je sentais chez Roxane une réticence à me croire. Toutes ces questions qu’elle me posait, ce ‘’C’est une de tes ex ?’’ qu’elle m’avait lancées quand je lui ai parlé de Bernadette, me prouvaient combien j’avais encore de chemin à parcourir, d’arguments à développer pour ma défense, afin qu’elle comprenne que les mots d’amour que je lui disais, étaient aussi sincères que ceux qu’elle ne cessait de me répéter.

Elle est venue vers moi, une fleur bleue à ses cheveux :

« Tu me trouves belle ? (Elle avait pleuré).

— Tu es ravissante, tu es divine, tu es splendide.

— Parce que j’ai cette fleur dans les cheveux ?

— Avec ou sans elle, avec un bec ou des crocs, tu seras toujours la plus belle pour moi. »

Elle s’est pendue à mon cou :

« Avec un bec ou des crocs. Où vas-tu chercher tout ça ?

— C’est une chanson que chantait Serge Reggiani… Voyons si je m’’en souviens.

— Tu veux me la chanter ? M’a-t-elle demandé avec un fond d’inquiétude

— Non. J’ai pitié pour tes oreilles. » Rire commun : « Je vais tâcher de te réciter la strophe dont je me souviens :

« Je t’aimerais même avec la gueule de travers

Je t’aimerais même en mec, même en militaire

Je t’aimerais même avec une bosse dans le dos

Même avec un bec, même avec des crocs… »

Elle s’est blottie contre moi :

« Tu sais, pour mon doctorat, j’aimerais faire ma thèse sur mon écrivain préféré qui est également l’homme que j’aime le plus au monde. »

J’ai pris un air sérieux :

« Conflit d’intérêt, madame. Vous risquez gros. »

Elle a haussé les épaules :

« Personne n’a besoin de savoir.

— Donc je devrai me faire invisible pendant ton doctorat. Camoufler mon visage derrière une longue barbe et une épaisse moustache… ou un bec ! »

Elle a souri :

« Comme ça nous serons deux à en avoir. On ne s’embrassera plus, on se bécote-ra. »

Nous avons ri, puis je l’ai serrée contre moi :

« Alors, permets moi de te voler un baiser avant que nous ne devenions des cultri-rostres, des curvirostres, des brévirostres et j’en passe. »

Elle m’a tendu ses lèvres :

« Vole m’en autant que tu voudras. »

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