Chapitre 30

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Jeudi 11h45. J’ai dû lui faire la même tête qu’un poisson rouge qui se verrait dans un miroir et se demanderait : « Tiens, cette tronche je l’ai déjà vue quelque part, mais je ne me souviens pas où. »

« Quoi Lepervier ! T’es pas réjoui de me voir ?

— Si… Si. »

Nous nous sommes pris dans les bras.

« Pour une fois que le père Deplat t’évite les transports en commun glauques, sombres et puants, tu pourrais être un peu plus démonstratif !

— Merci frérot. Mais…

— J’étais dans le coin ; alors je me suis dit : ‘’Plutôt que de rentrer à la maison tout seul et l’attendre des plombes. Autant faire la route avec lui.’’ » Il m’a fait un clin d’œil : « A moins que tu aies envie de faire une nouvelle rencontre dans le couloir du métro. »

Il m’a demandé comment s’était passée ma journée et ma nuit chez Roxane.

Je le lui ai raconté de la plus factuelle des façons. J’ai volontairement omis, toute interprétation subjective des évènements, toutes mes réflexions, mes impressions, mes sentiments naissants à son égard car, si j’ai su les transcrire sur mon carnet, pendant le vol, je n’ai pas eu le temps de les analyser, de séparer le vrai du faux, le fantasme du concret, le transcendant de l’immanent.

Ce que j’ai vécu la veille avec Roxane, n’est en rien comparable à ce que j’ai vécu auparavant avec mes autres maîtresses, Aurélie exclue. En effet j’ai ressenti les mêmes symptômes et les mêmes signes. Les mêmes pensées ont traversé mon esprit, les mêmes images me sont apparues ; mais décuplées, centuplées. La puissance d’attraction que la sœur de Déborah a exercée sur moi est telle que je ne tarderai pas à tourner en orbite autour, qu’elle deviendra mon centre de gravité.

Dès que l’avion s’est posé au sol et que, comme tous les autres passagers, j’ai rallumé mon téléphone, son long message d’amour rempli de cœurs est apparu à l’écran. Je l’ai lu et relu, sans faire attention où je mettais les pieds. Je ressentais le bienfait de ses baisers, ses mains caressant mon corps, son odeur, son haleine pénétrant mes narines, ses gémissements amoureux emplissant mes oreilles. J’ai embrassé mon téléphone et, j’aurais donné n’importe quoi pour être ramené à Marseille d’un claquement des doigts. C’était l’heure de sa pause et j’aurais pu lui voler une infinité de baisers.

Vingt et une heures auprès d’elle, à la voir, à l’entendre à la toucher, à la respirer ont bousculé mes paramètres et je sens des mises à jour qui commencent à s’effectuer dans tous mes organes.

« En tout cas, tu as une mine superbe, frérot m’a-t-il lancé. Il y a longtemps que je ne t’en avais pas vu une pareille. »

13h50 En bas de chez lui, il y a un petit restau familial où il emmène souvent les filles lorsque Violette n’est pas là, ou lorsqu’il n’a pas eu le temps d’acheter un poulet rôti, ou des escalopes, ou des filets de sole. Elodie a promis de se mettre à la cuisine, car elle en a un peu marre du restaurant. Nous avons commandé une grillade. Lui avec des frites, moi avec de la salade. Nous avons parlé du contrat avec la maison d’éditions Anglaise. Puis il m’a parlé de Violette, de sa mère qui allait bientôt se remarier (elle était veuve depuis deux ans) avec un homme qui vivait à Tahiti et qui avait cinq ans de moins qu’elle, ce qui n’était pas trop du goût de sa fille et son fils.

« Surtout, qu’elle a envie de s’installer là-bas.

— Ils se voient beaucoup ?

— Edouard plus que Violette. Il faut dire qu’avec son boulot… »

Il a laissé sa phrase en suspens comme pour me faire comprendre que même la famille qu’elle s’était créée elle ne la voyait pas beaucoup.

« Pourtant, Deplat, tu m’as toujours dit que tu n’aurais jamais pu épouser une fonctionnaire avec des horaires réguliers. »

Il a levé les bras au ciel :

« Non, quelle horreur ! Quand nous restons une semaine sans nous voir, tu ne peux pas t’imaginer comme c’est beau de nous retrouver ! »

« 16 heures 30 nous sommes allés chercher les filles à l’école. Dès qu’elles m’ont vu, elles se sont ruées vers moi en hurlant de joie. Elles m’ont littéralement mitraillé de bisous. J’ai cru que mes joues allaient être aspirées par la forte succion de leurs lèvres. J’étais aux anges. Ludwig a fini par leur dire de venir faire des bises à leur papa. Alors, comme un seul homme, elles se sont élancées vers lui. Il m’a semblé entendre mon téléphone vibrer. En effet. Maïa avait entendu mon message et avait hâte d’être à dimanche soir pour que je lui raconte tout… sous la couette. Elle avait plein de choses à me raconter, également.

« Avec joie, Maïa de mon cœur… Sauf si Roxane m’invitait, à dormir chez elle. En m’en allant à l’heure où elle part à l’école, je pourrai être rendu à Nice suffisamment à temps pour me préparer mentalement à mon rendez-vous à la librairie ‘’Le Cube’’.

— Très bien mon chéri. Tu me préviendras.

— Sans faute marraine de mon cœur. »

Ce n’est pas la première fois que surgissent – volontairement ou pas – ces changements de programme. Elle a bien succombé aux larmes d’Andréas pour rester une semaine de plus à Barcelone ; je peux à mon tour céder au chant d’une sirène prénommée Roxane. Je suis loin d’avoir la sagesse et la volonté d’Ulysse, et elle ne l’ignore pas.

Ludwig, quant à lui, est au téléphone avec Sandrine, notre secrétaire commune. Nous passerons tous les deux le lendemain à 10 heures 30. Moi, pour signer les contrats et prendre le chèque d’avance sur droits. Lui, pour signer ses divers courriers. Au parc, Elodie a tenu à me présenter ses copines. Elle leur a dit que j’étais son tonton, son parrain et j’écrivais des livres. Elles m’ont souri, puis ma grillonne s’est éclipsée avec elles. Cindy, m’a montré les cabrioles qu’elle savait faire. Ludwig allait me poser une question lorsque mon téléphone a vibré. C’était Roxane. Je lui manque terriblement. Toute la journée elle n’a cessé de penser à moi. Elle a lu et relu mon message en réponse au sien. Est-ce que le soir nous pourrions faire un Skype ?

Vendredi 1 heure 15. Nous avons parlé pendant près de trois heures. Je lui ai présenté Ludwig. Elle se souvenait de lui, et de la paire d’inséparables que nous faisions (Il s’est raclé la gorge et lui a fait croire sur son ton le plus sincère, qu’il se souvenait d’elle). Puis il lui a envoyé un baiser de la main et, hors caméra, il m’a regardé en levant les deux pouces, façon de me dire qu’elle était plus belle que belle.

A un moment donné de notre conversation, elle m’a dit de me retourner. Elle avait une surprise à me montrer. Je me suis exécuté. Lorsqu’elle m’a dit : « Ca y est ! » et que j’ai pu à nouveau me tourner vers l’écran, j’ai eu la plus belle vision du monde et, sans doute, de l’univers. Elle avait ôté son T-shirt et me montrait ses seins : « Les originaux sont plus beaux, n’est-ce pas ? » Elle me l’avait déjà demandé la veille lorsque j’ai pu les extraire des bonnets de son soutien-gorge : « Ils sont plus doux, plus chauds, plus moelleux, et leur goût est incomparable. »

« REVE : Après avoir déambulé dans les allées dans les allées du parc Borély sous un ciel parsemé çà et là de minuscules petits nuages blancs, qu’un léger Mistral dispersait mollement, nous nous sommes assis sur un banc face à la fontaine aux oiseaux, où trône la statue de Folon. Son parfum à l’huile d’amande douce, se mêlait subtilement à celui du magnolia grandiflora qui bordait le bassin. Des mamans avec leurs enfants en poussette, ou marchant encore de leur pas indécis, passaient devant nous. Elle les a regardées avec dans ses yeux une profonde nostalgie ; puis elle a sorti de sa poche un gros réveil à cadran rond et au tic-tac des aiguilles assourdissant, comme celui qui avait été le cauchemar de mon adolescence que Maïa avait placé sur ma table de chevet et dont la sonnerie stridente me faisait bondir du lit et briser en mille morceaux les dernières images de mes rêves (pour la plupart érotiques…). Le sien était orange fluo : « Voici mon horloge biologique, Anicet. Tu vois, lorsque cette aiguille sera arrivée là, tout espoir d’avoir un enfant se sera envolé. » Il lui restait encore pas mal de tours à faire avant d’atteindre le point de non-retour, mais par rapport à ce qu’elle avait déjà parcouru, c’était de l’ordre de un contre dix. « Anicet, si tu savais combien je désirerais un enfant. Il comblerait ma vie. Je lui donnerais des tonnes d’amour. Il serait ma consolation et ma fierté. » Et tandis qu’elle se lamentait, un violent combat m’agi-tait. D’un côté les partisans du : si-elle-me-fait-le-coup-de-Delphine-je-répondrai-non ! De l’autre côté, ceux du : pourvu-qu’elle-me-fasse-le-coup-de-Delphine-cette-fois-je-lui-répondrai-oui. Et lorsqu’elle m’a demandé, les yeux pleins de larmes et plus belle que jamais : « Anicet, tu veux me faire un enfant ? », le camp du ‘’oui’’ l’avait emporté. Elle m’a pris par la main, nous avons couru chez elle, nous nous sommes déshabillés, elle m’a entraîné vers son lit en me répétant : « Aujourd’hui, en plus je suis fécondable. » Et pendant que nous faisions l’amour, elle riait et pleurait de joie. FIN DU REVE » Dans la réalité, les choses ne se sont pas passées tout à fait comme ça. Nous nous sommes bien assis face à la fontaine aux oiseaux. Nous avons bien vu passer les mamans et leurs enfants, elle les a bien regardées avec une profonde nostalgie et j’ai pensé à son horloge biologique et à ses aiguilles qui devaient commencer à accélérer leur course, mais elle ne m’a rien imploré. Elle m’a juste demandé : « Tu n’as jamais eu envie d’avoir des enfants ? » Je lui ai répondu : « Oui, mais… » Suivi d’une infinité de points de suspension à la place desquels je n’avais pas envie de lui parler de mon traumatisme liée à la mort de mes parents etc. Alors je les ai complétés par une pirouette, dont j’ignorais encore la portée : « Mais… Je n’ai pas encore trouvé la bonne mère. » Elle s’est mise à rire. Un rire qui avait gardé toute la fraîcheur de ses douze ans, quand elle s’esclaffait pour un oui et pour un non. Un rire si communicatif que je m’y suis mis moi aussi, sans en comprendre le motif qu’elle n’a pas tardé à me dévoiler entre un spasme et l’autre : « Ici… Hi ! Hi !... A Marseille… Hi ! Hi !... Tu n’auras pas de difficultés… Hi ! Hi !... A la trouver… » J’ai mis quelques secondes à comprendre mon jeu de mots involontaire, et mes zygomatiques se sont remis en action avec plus d’intensité, et plus de force ! Trois heures après nous faisions l’amour. Elle m’avait prié de mettre un préservatif. »

« 14h40 Sandrine, la cinquantaine hautement désirable, est une petite femme rondelette au visage poupin lisse comme la peau d’une pomme qu’on vient de lustrer, au sourire indélébile, aux lèvres charnues. Elle est charmante et drôle. Ses seins sont deux bombes atomiques hautement radioactives. Sa croupe est à dévorer sans modération. Hélas, tous ces beaux atouts sont réservés à Roger l’homme de sa vie depuis vingt- cinq ans, père de leurs trois enfants. Tout mon charme ne la fait pas ployer. C’est pour cela que je la surnomme : « Ma Citadelle imprenable. » Mais je la qualifie également de : « Ma tentatrice fauve » à cause la couleur de ses yeux et du regard qu’elle pose parfois sur moi. Elle a une double casquette. A la fois secrétaire de Ludwig, à la fois la mienne, quand elle fait le tri de tous les mails que je reçois au nom de mon alter ego. Parmi eux, elle en déplace une grande partie dans la corbeille, notamment ceux dans lesquels, par admiration, on me demande d’être le témoin d’un mariage (quand ce n’est pas d’être le marié lui—même !), le parrain d’un enfant (ou quelque fois le concepteur) ou, plus crûment quand on me propose des plans culs avec des épouses encore désirables qui n’intéressent plus leurs maris, j’en passe et des meilleurs. Les courriels concernant des demandes d’interview, des invitations à des festivals de livres, des participations à des conférences, des séances de dédicaces organisées par des libraires ; bref, toutes manifestations où ma présence pourrait accroître ma popularité, ainsi que le nombre de tirages de mes livres, elle les fait suivre à Ludwig. A lui après, d’en discuter avec moi et, éventuellement de faire un tri, et d’établir un calendrier Enfin, ceux qu’elle me transfère, concernent des questions personnelles de lectrices (teurs) à propos de l’un ou l’autre de mes romans ; ou encore des conseils pour devenir un écrivain célèbre etc.

Dès qu’elle m’a vu apparaître, elle s’est levée et m’a gratifié de deux baisers sur les joues, sonores et parfumés à la rose. Sur son bureau, trônait un magnifique bouquet d’orchidées qui lui avait été livré une demi-heure auparavant avec ce petit mot : « De la part de ton soupirant préféré. A.C. » Je l’ai commandé hier à 17 heures passé à ma Vénus de fleuriste à qui j’ai annoncé que je ne pouvais pas la payer de suite, vu que j’étais à 900 kilomètres de son magasin : « Et alors ! Tu crois que la boutique va faire faillite ?... Paie-moi quand tu voudras mon écrivain adoré. » Je l’ai remerciée, je l’ai traitée d’Ange et de Déesse, elle m’a interrompu : « Si tu veux que tes fleurs arrivent à temps, il faudra que tu abrèges tes compliments. Je te fais plein de bisous et à lundi. ». Elle a sorti le contrat, m’a indiqué l’endroit précis où je devais parapher et signer, sans omettre le sempiternel laïus : ‘’Lu et approuvé’’ dans la langue de Shakespeare. Afin que ma signature ne déviât pas de sa trajectoire elle avait posé ses deux mains à plats sur les feuilles :

« Est-ce que je peux te dessiner un cœur sur le dos de ta main ?

— Tu n’y penses même pas, s’est-elle insurgée. Roger a horreur de ça.

— Il m’agace ton Roger. Il n’aime rien.

— Si. Il m’aime moi.

— Il en a de la chance. »

Elle a levé les yeux au ciel :

« Mon chou, quand je l’ai rencontré tu n’avais que dix ans. Tu aurais voulu qu’on m’arrête pour détournement de mineur ? »

Elle m’a remis le chèque d’avance, émis sur une banque Anglaise. Ensuite elle m’a donné le décompte de mes droits d’auteur, dont elle m’avait fait le virement du total.

Quelle manne pour mon compte !

Quelle manne pour mon percepteur aussi !

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