Chapitre 31

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 J’ai levé la tête, juste au moment où l’hôtesse passait avec le charriot à boissons, sandwiches et confiseries. Je lui ai commandé une eau gazeuse. Mon voisin de droite, côté couloir, gamin d’une dizaine d’années, se prénommait Dieter. Il était absorbé par la lecture de son bouquin dont je ne comprenais que « Don Carlo »du titre. (J’avais beau avoir une voiture Allemande au prénom Espagnol, je captais mieux la langue de Cervantès que celle de Goethe…) Il n’a rien voulu : ni soda, ni eau, ni jus de fruits, contre l’avis de sa mère qui semblait lui faire reproche. C’est elle qui a commandé pour lui, en baragouinant quelque chose à laquelle il a répondu sans décoller les yeux de son livre : « Ia Mutti ! Ia ! ».

Pas mal la maman mais un peu oppressante. Et dire qu’elle voulait que son rejeton aille s’asseoir à côté de son père, pour pouvoir prendre sa place. Son sourire et ses yeux bleus plantés sur moi, ne m’avaient pas échappé. « Désolé madame, ai-je pensé. Vous ne tirerez rien de moi, pas le moindre coup d’œil, pas la moindre esquisse de mes lèvres pointant leurs commissures vers le haut. Je serai aussi imperturbable que le bâton que Jupiter a envoyé aux grenouilles qui voulaient un roi. Mes pensées sont ailleurs, chère Mutti, vers une femme dont le prénom est aussi doux et cristallin qu’un arpège de célesta : Roxane ! Roxane ! Quelle harmonie dans ces deux syllabes. Quant à sa beauté, je ne saurais vous la décrire de peur de paraître pompeux et rasoir. Je n’ai pas la grâce de Ronsard, ni la majesté d’Hugo pour cela. Je n’ai que mes yeux, qui sont tous remplis d’elle. Alors, Mutti, je préfère que ce soit votre Dieter mon voisin. Au moins il a la tête plongée dans son bouquin et ne me calcule même pas. »

J’ai avalé un grand verre d’eau gazeuse, et j’ai repris la rédaction de ma chronique.

Vendredi : 16h30. Déborah s’est excusée d’avoir entendu mon message de ce matin à peine maintenant. Elle passe le weekend dans sa maison de Normandie, et ça ne capte pas très bien. « Dommage. La prochaine fois, si tu peux, passe en semaine, on pourra aller se boire un café ensemble. » Oui, Roxane lui a parlé de nos retrouvailles. « Je me suis toujours rendu compte que tu avais un petit faible pour elle. Je pensais même que si elle avait eu mon âge et moi le sien, tu te serais vraiment intéressé à elle et pas à moi. » Elle m’a sidéré ! « Tu veux connaître la meilleure ? A-t-elle poursuivi. Maurice son premier flirt te ressemblait comme deux gouttes d’eau. Tu lui deman-deras. » Puis elle m’a parlé de Jean-Marc. Des costards elle lui en a taillés pour des siècles et des siècles. Pour finir par : « Je pense que vous êtes mieux assortis, que toi et moi. Si nous étions restés, notre flirt n’aurait pas tenu au-delà de la rentrée des classes. Avoue-le. » Et je le lui ai avoué. Sa fille la réclamait, alors nous nous sommes embrassés et donné rendez-vous pour une prochaine fois.

Dieter s’était affalé sur sa banquette, toujours absorbé par son roman. Les yeux bleus de Mutti, me dévoraient littéralement. Son mari s’était endormi la tête tournée vers le hublot. Scène pitoyable d’une épouse, d’une mère, belle et désirable qui se trouvait réduite après combien… Douze ?... Treize ans de mariage ?... réduite à qué-mander le regard d’un inconnu, afin de sentir d’agréables picotements au niveau du sexe, les bouts de ses seins se durcir et fantasmer sur les positions les plus hasardeuses du Kama Sûtra. « Mutti, Mutti au lieu d’imaginer ma main se glissant sous ta jupe, prend délicatement celle de ton époux et promène la doucement, le long de tes cuisses en lui murmurant des mots d’amour. Peut-être que cette nuit, au lit, il retrouvera le chemin qui vous mènera au septième ciel. » Elle semblait avoir lu dans mes pensées, car je n’ai plus senti le poids de son regard sur mon cou. Et lorsque j’ai détourné discrètement les yeux vers elle, elle avait appuyé sa tête sur l’épaule de son mari.

L’appareil n’allait pas tarder à se poser sur la piste de l’aéroport Marseille-Provence. La température au sol était de 22 degrés Celsius et le ciel était dégagé grâce au Mistral qui soufflait moyennement.

L’enfant a refermé son livre et l’a soigneusement posé sur ses genoux. Il le rangerait dans son sac à dos, dès que l’avion se serait immobilisé.

J’avais mis la chemise blanche à manches courtes, cadeau de Roxane, et par-dessus ma veste.

Dix minutes avant mon départ, elle m’avait envoyé le suivant sms : « Ô temps, accélère ton vol, et vous heures propices accélérez votre cours, j’ai hâte de retrouver tes lèvres … » Lequel était suivi d’une infinité de cœurs, qui m’avaient fait souhaiter, à mon tour, le contraire de ce que Lamartine lui avait imploré devant le lac du Bourget.

Apparemment, Saturne semblait avoir fait fi de notre supplique commune. Placé à la queue de l’appareil, il me fallait attendre que chaque passager devant moi, eût ramassé ses affaires dans le casier, et vérifié qu’il n’ait rien oublié à bord. Ils n’avaient pas l’air de se presser et le couloir trop étroit, ne me permettait pas de me faufiler. J’ai cru que j’allais rester coincé dans cet appareil ad vitam aeternam, et j’imaginais Roxane se faisant la même réflexion. « Plus longue est l’attente, dit la sagesse populaire, et plus belles les retrouvailles. » D’accord. Hélas, un proverbe dit tout le contraire : « L’espoir fait vivre, l’attente fait mourir. » Et je craignais de la retrouver étendue sur une civière un masque à oxygène sur la bouche, tandis qu’une ambulancière lui crierait : « Madame, vous m’entendez ?... Madame restez avec nous » Et qu’une autre, les deux mains à plat sur son sternum, lui pratiquerait un massage cardiaque musclé. Et tandis que j’entre-voyais déjà la une en gros caractères, du quotidien local : « MARIGNANE : UNE JEUNE FEMME EST MORTE D’AVOIR TROP ATTENDU SON AMANT COINCE AU FOND DE L’AVION » mes jambes se sont remises en mouvement : « Gauche ! Droite ! Gauche ! Droite ! ». Ouf, j’avançais.

Qui était l’homme avec qui elle discutait ? Jean-Marc l’implorant de reprendre la vie commune ?... Non. Ils n’avaient pas l’air d’un couple en pleine remise en question, mais plutôt de deux connaissances qui devisaient de façon courtoise et amène. Un collègue ? Un ami ? Une relation ? Un parent d’élève ?...

… Elle a surgi à l’improviste. Ses lèvres se sont collées aux miennes et nos langues se sont cherché querelle. Ses seins pressés contre mon torse, mon sexe contre le sien, nos jambes emprisonnées les unes avec les autres, ses mains autour de mon cou, les miennes allant de son dos à ses reins.

Tout mot eût été superflu. Nous sommes restés statiques à nous regarder dans le plus profond des yeux, et nous nous sommes embrassés de nouveau, et de nouveau encore. Nos bouches avaient du mal à demeurer trop longtemps éloignées, et elles revenaient sans cesse se coller ensemble.

« Toujours d’accord pour notre virée, monsieur l’écrivain ?

— Toujours d’accord… mademoiselle du métro. »

Nos lèvres se sont unies à nouveau et nous nous sommes dirigés vers le parking où ma voiture m’attendait depuis trois jours :

« C’est qui l’homme qui te parlait ? »

Elle m’a embrassé la joue et s’est serrée encore plus contre moi :

« Le directeur de mon école. Il a voyagé dans le même avion que toi.

— Et il a eu la chance de descendre bien avant !... Au moins il t’a aidé à patienter.

— Il était tout content parce sa demande de départ à la retraite a été acceptée. Il part dans trois mois.

L’homme me paraissait âgé d’une quarantaine d’années :

« On part tôt à la retraite à l’Education Nationale.

— Tu trouves ? Le pauvre il doit avoir plus de soixante ans. »

J’ai émis un sifflement admiratif :

« Bien conservé. Tous ses cheveux, et pas un seul gris. »

Elle s’est mise à rire :

« Ça se voit que tu l’as vu de loin. Il se teint !

— D’accord. Monsieur veut plaire aux minettes.

— Je dirais plutôt aux minets.

— Je vois. »

J’ai actionné la serrure, lancé mon sac sur la banquette arrière, tandis qu’elle s’installait à ma droite.

« Si je te disais comment il s’appelle, tu ne me croirais pas. »

J’ai réfléchi quelques instants.

« Tu veux que je te donne un indice ?

— Vas-y. »

J’ai allumé le moteur :

« Ça a un rapport avec la ville où nous allons.

— Il s’appelle Aubagne ? »

Elle a ri :

« Non. » Petite pause pour me laisser réfléchir puis : « Un autre indice ?

— Oui.

— Ca a un rapport avec l’un de ses plus illustres gentilés.

— Il s’appelle Pagnol… Ou Marcel. Monsieur Marcel !

— Encore faux. Un troisième indice ?

— Attends. Je réfléchis. Donc, nous avons : Aubagne, Marcel Pagnol… Allez, j’ac-cepte.

— Une mémorable partie de cartes. »

J’ai enchaîné :

« Sur le port de Marseille ?

— Oui. Si tu ne trouves pas cette fois ci, tu auras un gage.

— Oh ! J’ai intérêt à trouver, alors. » J’ai introduit mon ticket dans la fente. L’écran m’a indiqué le prix à payer. J’ai introduit ma carte. Après l’avoir récupérée, j’ai saisi le ticket de sortie. La barrière s’est ouverte et la petite ampoule s’est allumée dans ma tête.

« Non ! Ne me dis pas qu’il s’appelle comme l’instituteur.

— Eh oui. Et en plus, il vient de Lyon !!

Se non è vero, è ben trovato !

Ma pero è verissimo, m’a-t-elle rétorqué.

Je lui ai lancé un regard admiratif :

« Ma parole, tu as toutes les qualités, même celle de parler la langue la plus mélodieuse du monde. »

Elle m’a fait un large sourire :

« Tu as oublié que j’ai un père Italien ?

— C’est vrai.

— Mais toi ?

— Ma grand-mère maternelle, était Italienne. Et j’ai de la famille dispersée dans cette belle botte en forme de pays. Plus précisément à Rome, Florence, Turin et Bari.

— Aucun en Calabre ? »

Je l’ai regardée :

« Personne n’est parfait. »

La voiture filait sur une route pratiquement dégagée. Je tenais mon volant de ma seule main gauche. J’avais posé la droite à un dixième de millimètre de sa cuisse. Elle me l’a prise. L’a embrassée doigt après doigt, puis la paume, et l’a faite redescendre le long de son cou, de ses seins, de son ventre, de son sexe, enfin l’a posée sur sa cuisse en soulevant bien haut les pans de sa jupe légère.

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