Chapitre 27

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 Une salle de fitness cent pour cent féminine c’est un régal des yeux. Dans le grand espace de la rue Penchienatti, mes pupilles dilatées au maximum, s’affolaient devant toutes ces silhouettes succinctement vêtues d’un débardeur rose largement échancré, qui leur arrivait au nombril et d’un pantalon de jogging dont je devinais qu’il était à même leur peau. Le mélange acre et doux de leur transpiration et leur parfum mélangés, loin d’irriter mes narines, elles les engourdissaient. Je me sentais transporté dans un univers Fellinien de femmes aux formes plus que généreuses et sensuelles, fauves à la fois indomptables et dociles, gourmandes d’hormones mâles, de gonades et de sécrétions spermatiques.

Les mouvements de leurs corps en action, la sueur qui trempait leurs bodys qui se collaient à leurs seins durs et fermes, provoquaient des réactions en chaîne à l’inté-rieur de moi. Cela partait de mon cerveau, siège des fantasmes, aux veines transportant le sang qui coulait à flots vers mon cœur, dont les pulsations ne cessaient de s’accélérer, à mon appareil reproducteur qui commençait à se sentir un peu à l’étroit dans mon pantalon.

Je les observais, et elles m’observaient. Certaines se demandant ce que je pouvais bien faire là, puisque la gente masculine y était bannie, d’autres me voyant sans doute comme le probable réconfort après l’effort. Et moi, ébloui par ce spectacle, j’ai murmuré à voix basse : « La femme est un rayon de la lumière divine. »

« Vous cherchez quelqu’un ? »

Le ton brusque et péremptoire de Marielle, m’avait fait regretter d’avoir cité Rûmi. Je me suis retourné. Elle avait de longs cheveux lisses peroxydés, frangés jusqu’aux sourcils. Son visage avait la cinquantaine, son corps vingt de moins. Son bustier, court et échancré lui aussi, ainsi que son pantalon jogging, étaient jaune fluo. Elle me dévisageait d’un air méfiant. Joséphine est sortie en courant.

« C’est un ami de Lambert. C’est avec lui que je vais boire le café. »

Elle nous a lancé un regard, doublé d’un sourire qui en disaient long sur ce qu’elle devait s’imaginer. Elle a hoché la tête ; puis, au moment de rentrer dans la pièce qui devait être leur bureau, elle a fait demi-tour m’a observé et :

« Vous êtes Alex Cantié, n’est-ce pas ?

— Oui. »

Sourire mielleux et ton de velours, elle m’a susurré :

« Et dire que je n’ai pas encore eu le temps d’acheter votre dernier roman.

— Vous pourrez le faire lundi. Je suis à la librairie ‘’Le Cube’’ dans la vieille ville.

— Je le sais. Je le sais. Je l’ai lu sur votre page. Vous pensez si je serai là. »

Son haleine sentait la rose et le chocolat, mélange qu’elle devait verser dans sa cigarette électronique. Son corps sentait l’huile solaire et à sa façon de me dévisager, elle n’aurait refusé aucune proposition de ma part, surtout celles les plus chargées en arrières pensées.

Joséphine, était vêtue de la salopette décrite par la fille de madame Prunier. Elle m’a conduit dans un café de l’avenue Saint Jean Baptiste où, après que nous avons passé commande, elle m’a proposé une cigarette que j’ai refusée – préférant mes petits cigares – et s’en est allumée une. Elle était détendue, apaisée, préparée sans doute à cet entretien où elle allait enfin me livrer la clé de ce mystère et se soulager d’un grand poids. Elle a aspiré une bouffée et l’a recrachée sans même avoir avalé la fumée :

« Je croyais que tu avais tout deviné, la semaine dernière lorsque nous nous sommes rencontrés au café de la place du Palais

— Eh non. Je croyais encore que Roxane était celle que m’avait décrite ma voisine. C’est-à-dire, un portrait te ressemblant. »

Elle a souri :

« Les lolos en moins.

— Oui. Les lolos en moins. »

Le garçon est venu avec les deux tasses. Il les a posées sur la table avec la note, et s’est éclipsé.

« J’ai compris lorsque Lambert m’a dit que tu étais à Marseille chez ta cousine Roxane et que vous faisiez une randonnée. Ça faisait un peu trop de coïncidences : le même prénom, la même ville, la même activité durant le weekend…

— Je vois… » Elle a avalé une gorgée de café et tiré une bouffée. « Et comment tu as deviné que le moulage était le sein de Roxane ? »

Je l’ai regardée comme si elle m’avait demandé comment je savais que la ville où nous étions s’appelait Nice. Je lui ai répondu sur le ton de l’évidence

« Grâce à l’étiquette avec son nom inscrit dessus. »

Elle a écarquillé les yeux :

« Une étiquette avec son nom ? »

Son étonnement m’avait surpris. Quoi, je n’aurais même pas eu droit à ce maigre indice ?

« Ah oui, c’est sans doute celle laissée par la sculptrice en signe de reconnaissance. Elle a dû oublier de l’enlever.

— D’accord ! Je n’aurais même pas dû connaître le nom de ma donatrice, me suis-je presque insurgé, en écrasant mon petit cigare et vidant ma tasse de café. »

Elle a tiré une nouvelle bouffée qui a considérablement augmenté la taille de sa cendre qui allait tomber dans sa tasse et que, d’une chiquenaude, elle a envoyée valser sur le trottoir :

« Tu aurais dû recevoir mieux qu’une simple étiquette ; sauf que j’ai merdé, Anicet. Merdé à bloc. Excuse-moi.

— Et, c’était quoi ?

— Une enveloppe avec une carte de vœux et une lettre assez longue. » Elle a vidé sa tasse et respiré un grand coup : « Ta voisine m’a fait flipper a-t-elle lancé d’un ton de plaidoirie de la défense. Elle me parlait en me regardant comme si j’étais une terroriste. D’un air brutal, elle m’a dit que tu n’étais pas là – je le savais – et que je n’avais qu’à repasser mercredi. C’est justement ce que Roxane ne voulait pas. Sinon, plus de surprise. Je te jure, cette femme me foutait les jetons. J’ai failli partir, quand j’ai entendu une autre voix derrière qui lui disait : ‘’C’est qui ?’’ Alors elle m’a demandé qui j’étais. C’est là que j’ai eu l’idée de me faire passer pour une de tes cousines en transit à Nice. Elle l’a répété à sa mère qui lui a dit : ‘’Mais qu’elle nous le donne et j’irai le poser chez Anicet.’’ Elle me l’a pris des mains, j’ai dit merci et je me suis barrée. Une fois rentrée chez moi, je me suis rendu compte que j’avais oublié de lui remettre cette fameuse enveloppe.

— C’était un cadeau d’anniversaire ?

— Oui. Que je devais te remettre de sa part le lundi 2.

— Celui d’Alex Cantié ou…

— Le tien, Anicet. Le tien ! Depuis qu’elle a lu dans un magazine que tu es Alex Cantié, elle n’a pas arrêté de me parler de toi. C’est elle qui m’a appris que tu as flirté avec Déborah. Cet été là, j’étais en vacances en Irlande, dans la maison familiale… On est cousines par nos mères qui sont sœurs jumelles. » Elle a écrasé sa cigarette et vidé sa tasse. « Quand tu es passé à la télévision, elle a appelé sa mère et sa sœur pour qu’elles allument leur poste. Pendant tout le temps, elle est restée les yeux collés à l’écran. Si elle avait pu passer à travers, elle l’aurait fait. A tel point qu’à la fin je l’ai charriée : ‘’Dis donc, tu es amoureuse de lui !’’ Si tu avais vu sa réaction. Enervée, comme si je l’avais piquée au vif. Pour ton cadeau, une semaine avant – elle était à Nice en vacances – elle s’est trituré la cervelle pour t’en choisir un qui te marquerait. Exit livres, stylos, parfums… Et puis elle a eu le déclic : faire mouler son sein gauche. J’ai été étonnée de ce choix, elle qui trouvait glauque que tu aies une telle collection. » Elle a haussé les épaules, tiré une dernière bouffée, écrasé sa cigarette : « Mais bon. Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle a dégotté une sculptrice… A Gairaut, tu te rends compte ?... Comme le dimanche elle devait retourner à Marseille, elle m’a demandé si je pouvais te l’amener. Elle a écrit la carte et la lettre qu’elle a fourrées dans cette fameuse enveloppe.

— Mais pourquoi tu ne l’as pas glissée dans ma boîte aux lettres.

— C’est ce que j’ai voulu faire. C’est elle qui m’a dit de la déchirer.

— Là, je t’avoue que je ne comprends plus. »

Elle a secoué la tête :

« Moi non plus. Quand je lui ai dit que j’avais oublié l’enveloppe, elle était furax. Je lui ai promis de la glisser dans ta boîte aux lettres. Une heure après elle m’a rappelé, pour me dire de laisser tomber. De tout déchirer. Elle ne voulait plus que tu saches que ce cadeau venait d’elle. Du coup, c’est moi qui étais furax. ‘’Et sa voisine ! Qu’est-ce que tu en fais de sa voisine ? Je te rappelle qu’elle m’a vue’’ Elle m’a répondu qu’elle t’expliquerait tout au ‘’Cadratin’’.

— Sauf qu’elle ne m’a rien dit du tout, sinon qu’elle s’appelait Rosy Ram, qu’elle ne m’avait jamais vu auparavant… Et que son mari était jaloux. »

Elle a haussé les épaules :

« Jean-Marc jaloux ? N’importe quoi. Ça fait cinq ans qu’ils sont mariés et quatre ans qu’on se demande ce qu’ils font encore ensemble. Lui il fait sa vie de son côté, elle du sien.

— Pas d’enfants, je suppose.

— Même pas en rêve il en veut. Tout ce qui l’intéresse c’est sa carrière. C’est un ambitieux, un arriviste. » Elle a reniflé, sorti une cigarette de son paquet qu’elle a commencé à tripoter : « La pauvre ! Elle qui rêvait de vivre dans une grande maison à la campagne avec un mari, des enfants, des poules et des lapins… »

Elle m’en avait parlé un jour à Gairaut, où j’attendais Déborah qui était au téléphone avec une copine. Je l’avais charriée :

« Et ton mari et tes enfants, ils seront dans des cages, eux aussi ?

— Mais non, que tu es bête. Eux ils vivront dans la maison avec moi. »

L’évocation de ce souvenir avait fait resurgir de tas d’images d’elle que j’ai vite chassées. Joséphine n’avait pas à connaître – du moins pour le moment – les sentiments que je ressentais pour ma petite sauterelle.

Elle a regardé sa montre :

« Je vais devoir y aller Anicet. J’ai une cliente qui ne veut que moi et elle ne va pas tarder à arriver. »

J’ai acquiescé et fait signe au serveur en lui tendant un billet de cinq euros. Quand il m’a eu rendu la monnaie, nous nous sommes levés.

« Je ne sais pas quelle sera sa réaction quand je lui apprendrai que je t’ai tout dit. Moi, en tout cas, je me sens soulagée, Anicet. Je suis désolée. Vraiment désolée. J’aurais dû passer outre, glisser l’enveloppe dans ta boîte aux lettres.

— Tu n’y es pour rien, Joséphine. C’est elle qui devrait l’être »

Elle a sorti de son sac un petit bloc elle a griffonné quelque chose et me l’a tendu.

« Ses coordonnées. » Puis : « Si elle me demande les tiennes ?

— Tu peux les lui donner… Et lui dire aussi que ma collection n’existe plus. »

Elle a pris un air étonné ; puis m’a fait un dernier sourire avant de s’éclipser.

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