Chapitre 14

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 Monsieur Roux m’avait appelé à huit heures du matin. J’ai failli l’enguirlander. J’avais passé une très mauvaise nuit, pour ne pas dire : pas de nuit du tout. Célia avait eu constamment besoin de mon aide pour se déplacer jusqu’aux toilettes. Alors je dormais par intermittence. Et ça durait depuis samedi. C’est dire si je l’ai eue mauvaise quand mon téléphone a sonné et que j’ai vu son nom apparaître à l’écran et, tout de suite, le ton de sa voix m’a paru accablé.

« Désolé, de vous déranger si tôt, Anicet. La Caisse nous a retourné votre dossier parce qu’il y a un document que vous avez oublié de signer. Oh je sais que je n’aurais pas dû vous appeler si tôt, mais elle nous l’a retourné vendredi, et je dois le renvoyer avant la fin de la semaine ; sinon, ce serait bête pour vous, vous risquez de perdre des points pour la retraite. Vous me direz que ce n’est pas grand-chose, mais tout de même, un sou c’est un sou, n’est-ce-pas ? Alors, je vous appelle aujourd’hui à la première heure, parce que je n’ai pas osé vous appeler le jour même à cause du weekend.»

J’étais ensuqué, dans les vaps, de tout ce qu’il m’avait dit, seuls huit mots s’étaient gravés dans ma tête : « Passer-voir-monsieur-Roux-pour-signer-un-document. »

J’ai mis un certain temps avant de lui répondre que je ne pouvais pas passer ce jour.

« Demain, Anicet. Demain… Mais pas plus tard. »

J’ai baillé à m’en décrocher la mâchoire :

« C’est noté monsieur Roux.

— Par contre, je ne serai pas là, et vous demanderez…

— Sylviane.

— Eh non, justement. Ma secrétaire, maintenant, c’est Maryvonne. Sylviane est devenue celle d’Ascutto. »

Echange standard, ai-je pensé. Les couples semblent mieux assortis.

« Bon, bon. Je demanderai Maryvonne.

— Merci, merci. Et encore désolé.

— Ce n’est rien. »

Il a pris un ton plus badin :

« Vous êtes sur un nouveau roman ? »

J’ai ri et failli lui répondre : « Oui. J’ai déjà le titre : ‘’Célia et son aide-soignant’’. Je suis redevenu sérieux :

« Je cherche des idées.

— C’est bien. Allez, au revoir et bonne journée. »

J’ai raccroché, j’ai tendu l’oreille, la maison était silencieuse, Célia dormait encore. Mon médecin traitant, passerait vers les dix heures. Je l’avais appelé pour qu’il m’ausculte. Non que je me sente fiévreux, mais on ne savait jamais. Mieux valait prévenir que guérir. Je voulais qu’il ausculte Célia également. Savoir si le lendemain je pourrais la ramener à Cannes, et clore enfin cette pénible parenthèse ; d’autant qu’une autre plus agréable m’attendait pour le weekend prochain : Gloria dans sa maison de Rapallo.

Je me suis dirigé vers la cuisine me préparer un café et deux tartines, puis j’ai filé sur la terrasse respirer le bon air. L’appartement sentait assez le renfermé et la maladie. Je n’avais pas entamé ma deuxième tartine que mon prénom a retenti dans mes oreilles suivi de :

« Tu es là mon sauveur ? »

J’ai levé les yeux au ciel, fini ma tartine, bu une longue gorgée de café, et je me suis levé.

Elle était assise le dos calé sur les deux coussins. Ses traits avaient repris soixante pour cent de leur aspect d’avant. Ses yeux brillaient un peu plus, et son rictus s’était transformé en sourire.

« Je me sens beaucoup mieux, tu ne peux pas savoir. Par contre, je pue et mes cheveux sont gras et collants. Je voudrais prendre une douche.

— Tu crois que c’est prudent ? » Lui ai-je demandé à travers mon masque, que je portais chaque fois que je devais m’approcher à moins de deux mètres d’elle.

Elle a hoché la tête :

« J’ai l’habitude des gastro. Deux jours au lit, un jour debout à la maison et hop, plus rien le troisième jour. Comme si je n’avais rien eu. » Elle a pris un air vraiment dépité : « Dommage pour notre beau weekend. Il ne se reproduira plus. » Ses renifle-ments s’espaçaient de moins en moins. Je sentais venir la crise de larmes. Je l’ai freinée à temps en lui caressant les cheveux :

« Le lac Majeur ne va pas disparaître de sitôt.

— Mais ça ne sera pas avec toi.

— Mais peut-être avec l’homme de ta vie. Parce que tu vas le rencontrer. J’en mets ma main au feu. Une belle femme comme toi (Et je ne mentais pas) ne reste pas long-temps toute seule. La preuve, tu en as viré deux avant moi. »

Elle a baissé la tête, une larme a coulé :

« Le plus dur ce sera de me défaire de tout l’amour que j’ai… »

Elle s’est levée d’un coup.

« Je vais prendre ma douche. Tu pourras rester près de la porte ? »

J’ai acquiescé.

Une heure et demie après, le médecin avait confirmé les dires de Célia. Encore un jour de repos (Petite promenade si elle le souhaitait), de traitement et de régime et le lendemain elle était guérie. Quant à moi, pas de symptômes, mais par précaution, il m’a prescrit un traitement homéopathique, et m’a autorisé à ne plus porter de masque.

Comme elle s’était rhabillée, j’ai défait les draps du lit.

« Laisse. C’est moi qui ferai la lessive. Il faut bien que je fasse quelque chose pour toi. » Elle a tout chargé dans ses bras. « Puis je te préparerai un bon petit café avec des tartines, et je te ferai à déjeuner. Comme ça tu garderas un bon souvenir de moi. » Elle a filé dans la salle de bain.

« Je garderai quand même un bon souvenir de toi, Célia… » J’allais ajouter : « Comme de chacune de mes maîtresses. » Mais elle n’avait probablement pas entendu.

En buvant mon deuxième café sur la terrasse (Elle s’était assise en face de moi, une écharpe autour du cou) je me suis souvenu que le lendemain, mardi, j’avais mon rendez-vous avec Lambert. Si je devais ramener Célia à Cannes, revenir à Nice, discuter avec Lambert, je n’aurais sûrement pas le temps de passer voir monsieur Roux et lui signer ce document. Donc, je devais passer lundi.

« Ça te dirait de faire une promenade dans le Vieux Nice ? »

Elle a hésité, j’ai poursuivi :

« Il faut que je passe à mon ancien bureau pour signer un document.

— Et ça va être long ? »

J’ai levé les bras au ciel :

« Ça peut prendre dix minutes comme ça peut prendre deux heures. Si mes ex-collègues commencent à me harponner… »

Elle a hoché la tête :

« Je vois. Tu veux y aller maintenant ?

— Non ! Après le déjeuner. » J’ai regardé l’heure. « Même en partant maintenant, je trouverais porte close. » J’ai trempé ma tartine dans le bol, je l’ai mangée : « Tu réfléchiras.

— Oui. »

Avec les quelques filets stockés dans mon congélateur, quelques tomates qui me restaient, des oignons qu’elle m’a demandé d’acheter, le tout agrémenté d’herbes de Provence et d’huile d’olive, elle m’a préparé un colin au four à m’en lécher les babines. (Elle en a mangé aussi, mais, sans rien d’autre…), et m’a avoué que la cuisine était sa deuxième passion. Après la salade de fruits (Elle n’a mangé qu’une pomme) et le café (Elle a bu une tisane), elle m’a fait savoir que, si je n’y voyais pas d’inconvénients, elle préférait rester à la maison. Elle étendrait le linge, elle ferait la vaisselle, ferait un peu de ménage…

« Ne te fatigue pas trop, tout de même.

— Ça me fait plaisir et puis, comme je te l’ai dit, avec tout ce que tu as fait pour moi… Puis j’en profiterai pour appeler me parents, ils me croient au lac Majeur.

— Je tâcherai de faire vite. Si tu veux écouter de la musique… »

Je lui ai montré la chaîne, ainsi que les CD.

C’est en montant dans le tram du retour que je me suis aperçu qu’à la place des clés de la maison, j’avais emporté celles de la voiture. Avec ces deux nuits presque blanches, je n’avais pas toute ma tête. Je l’ai appelée. Trois sonneries après je suis tombé sur sa messagerie : « Célia, c’est… moi. Je suis sorti sans mes clés. Je sonnerai à l’interphone. Merci. Bises. » Deux stations plus loin, j’ai reçu un sms de sa part : « Désolé pour toi. Si le gardien n’a pas un double, tu devras appeler un serrurier ! » Plus un émoji : « désolé ».

Si j’avais été un personnage de « cartoons », on aurait pu voir apparaître, au-dessus de ma tête une foultitude de points d’interrogation, et de points d’exclamation. Je me serais gratté le crâne, j’aurais relu le message, et, de nouveau, les mêmes signes de ponctuation seraient apparus au-dessus. Je me serais tourné face à l’écran et j’aurais dit d’un ton ballot : « Mais quelle mouche l’a piquée ? ». C’était à peu près la réaction que j’ai eu en lisant son message. Pourquoi était-elle partie si soudainement ? Je la savais versatile, mais tout de même, elle m’aurait prévenu : « Anicet, rester une nuit de plus chez toi, n’arrangerait rien. C’est fini et bien fini entre nous. Alors, j’ai préféré rentrer chez moi. Aller voir mes parents, pleurer dans leurs bras. Dormir chez eux, etc. Merci encore pour tout ce que tu as fait pour moi. Tu es mon sauveur » Quelque chose dans ce style. Ou, encore plus bref : « Merci pour tout, je rentre à Cannes, je te rends ta liberté. Bises. ». Mais ce texto si froid, si laconique, à la limite ironique (« Désolé », répété deux fois : l’une en Français, l’autre en émoticône), sans un merci, elle qui le matin m’avait encore appelé son sauveur. Quelle mouche l’avait piquée, comme aurait dit mon personnage de « cartoons ».

Je l’ai appelée. A la troisième sonnerie, je suis de nouveau tombé sur sa message-rie. J’ai commencé à m’affoler. « Célia, pourquoi cette froideur soudaine ? Tu as réalisé qu’entre nous, il n’y avait plus d’espoir, et tu as voulu rentrer chez toi ? Je te comprends. Tu joues le détachement, tu as raison. Bon, bonne chance alors. Je voulais te remercier et te dire combien j’ai été désolé de ton état durant ce weekend et que, malgré les contraintes, ça m’a fait plaisir de te savoir avec moi. Je t’embrasse. Je ne t’oublierai pas. »

Réponse de sa part : «Tout ce que tu pourras me dire, me dire, me rentrera par une oreille et ressortira par l’autre. Fiche moi la paix, maintenant. »

Mon immeuble n’avait pas de gardien, mais Maïa avait un double de mes clés, et je suis descendu à son arrêt. En sonnant à son portail, j’ai eu l’éclair. Elle n’aurait pas agi ainsi, s’il n’y avait pas eu un élément déclencheur. L’appartement était calme, pas de slip ou de soutien-gorge d’une ancienne maîtresse y traînait, pas de photos, pas de…

Quand Maïa m’a ouvert, j’avais compris. Qu’elle ait pu trouver la clé de la porte de mon bureau, dans mon trousseau de clé, je n’y croyais guère. Par contre, distrait par ces deux mauvaises nuits, au point de confondre mes clés, avec toutes ces allées et venues que je faisais de mon bureau au salon, la porte entr’ouverte que je laissais constamment, mais que je prenais soin de refermer à clé, chaque nuit, avant de m’allonger sur le canapé, avais-je pris soin de vérifier si oui ou non…

« Qu’est-ce qu’il t’arrive mon trésor, tu es tout pâle, tout chamboulé.

— Célia est rentrée à Cannes.

— Ça devrait te réjouir.

— Pas si elle a fait ce que je pressens : mettre à exécution sa menace. »

Elle a tenu à m’accompagner, malgré mes protestations.

Sainte Maïa !

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