Chapitre 15

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 Si Stéphanie de Monaco avait comparé l’amour à un ouragan qui emportait tout. Moi mon parangon, c’était la haine. La haine qui s’était abattue sur ma collection et l’avait détruite. Barbarie, méchanceté, stupidité. Non, vraiment je ne pouvais lui trouver aucune excuse. Et le long sms qu’elle m’avait envoyé pour me demander pardon, me l’avait fait détester encore plus. Même pas capable d’assumer son acte jusqu’au bout, de le revendiquer pleinement. Non. Venit, vidit delevit; puis, sans même justifier son geste, elle m’a demandé pardon. Et elle a cru pouvoir être quitte en me proposant un dédom-magement, plus le moulage de son sein gauche. J’ai haussé les épaules. Son sein je n’en voulais guère, même si elle l’eût fait mouler dans du platine. Quant à me dédommager de quoi ! De la matière première ? Une brindille comparée à la valeur que j’y avais attachée. Incalculable, celle-là, incommensurable. Sans compter le viol qu’elle avait perpétré en entrant dans mon bureau, dans mon antre, sans mon consentement. Même Maïa ne l’avait jamais fait.

Lui répondre ? Ne pas lui répondre ? Et si oui, de quelle façon : Agressif ? La vouer aux gémonies ? Lui souhaiter les pires tortures terrestres et éternelles ? J’ai pris mon temps pour réfléchir et je n’avais pas encore pris ma décision lorsque je me suis rendu au « South » ; d’autant qu’une deuxième contrariété était venue se greffer dessus : Gloria m’annonçait que son client Génois avait pris un autre avocat. Adieu weekends à Rapallo. Néanmoins, si je venais à Rome… Qui sait ? Nous vautrer dans son lit pendant une dizaine de nuits, m’aiderait à surmonter ce manque. Mais, avais-je besoin de faire près de sept cent kilomètres pour cela ? Comme si Nice n’était pas pourvue de femmes séduisantes, voluptueuses et lascives. Le bar de Victor n’en manquait pas, et je me suis demandé à plusieurs reprises, si les plus jolies créatures de la ville ne se passaient pas le mot pour venir prendre un verre chez lui. Pourtant, lorsque je me suis assis à ma place habituelle, commençant à poser mes yeux sur les tables fémininement occupées, je ne voyais que des visages fades et insipides. L’étaient-ils vraiment où mes yeux me jouaient des tours ?

Victor est venu à ma table. Je me suis levé pour lui faire la bise.

« Alors, tu as trouvé ton bonheur ? »

J’ai dodeliné de la tête, il a écarquillé les paupières :

« Comment ! Même pas la moitié d’une ? »

J’ai rigolé :

« Je ne suis pas venu pour draguer. J’ai rendez-vous avec un présentateur de télé.

— De Paris ?

— Non, de Nice » Lambert s’est approché : « D’ailleurs, le voilà. »

Journaliste, baroudeur, capable de trouver une aiguille dans une meule de foin, concepteur et animateur de l’émission « Répondez s’il vous plaît », dans laquelle j’allais devenir l’un de ses prochains invités, notre amitié s’était forgée tout le long de nos études à Carlone. Avec Julien, un autre littéraire, aujourd’hui dessinateur de BD vivant à Saint Jeannet, nous allions attendre Ludwig devant la fac de droit, pour partir en goguette, trouver des filles pour le weekend. Quelques-uns, mémorables, nous les avions passés à Puget et baptisés : les-weekends-des-lits-qui-grincent. Son diplôme en poche, il est monté à Paris, où il a travaillé d’abord pour la presse écrite, puis pour la télévision nationale. Correspondant dans tous les pays les moins sûrs du globe, il s’était marié une première fois, avait divorcé, puis, avait rencontré Joséphine, lors d’un séjour en Irlande. Ils se sont plus, ils se sont mariés, ils sont partis vivre à Marseille pendant un an, où il continuait ses allées et venues dans ces contrées instables. Après avoir été enlevé, pendant trois jours par un groupe rebelle, d’un pays d’Afrique, où il avait vu mourir l’un de ses confrères, Joséphine lui avait exprimé ses craintes ses angoisses ses anxiétés. Elle ne voulait pas que leur fille, devienne orpheline. Alors, il s’est rangé, s’est fait muter à Nice où, pour le quotidien local, il s’occupait de la politique Française et internationale.

Après les présentations et la commande (Moi mon habituel Campari, lui une bière brune), il a sorti les deux tomes de « Seins au formol » :

« Joséphine m’a dit que tu voulais bien les lui dédicacer.

— Tout à fait. » J’ai sorti mon stylo, j’ai ouvert le premier des deux : « Elle a changé de look depuis le mois dernier.

— Ça lui va super bien, m’a-t-il lancé avec un petit regard égrillard. »

J’ai acquiescé, et lui ai rendu les livres. Il m’a remercié, les a rangés dans son attaché case. Il en a extrait une chemise orange semi-rigide, de laquelle il a sorti divers documents qu’il m’a remis, afin que j’en prenne connaissance. Le premier était un rappel du principe, ainsi que du but de cette émission culturelle consacrée aux artistes régio-naux, le deuxième document comportait une liste de six artistes de rue exclusivement Azuréens – ou de longue adoption. C’étaient : une slameuse de Grasse, un mime et dan-seur de Nice, une portraitiste d’Antibes, un couple de jongleurs de l’Escarène, un auteur compositeur interprète de Villefranche sur mer, véritable troubadour dont les textes étaient écrits en Français du Moyen—Âge, sur des musiques tout ce qu’il y avait de plus contemporaines ; et enfin, une imitatrice, de Nice également, dont les contrefaçons vocales parvenaient à bluffer la personne même dont elle avait emprunté les expressions. Parmi eux, je pouvais n’en choisir que trois. D’emblée j’avais désigné les deux derniers que j’appréciais tout particulièrement pour les avoir entendus plusieurs fois à Nice, et dans l’arrière-pays ; puis, après une courte réflexion, j’ai choisi ensuite, le couple de jongleurs. L’ultime document était le contrat concernant ma prestation, que je devais lui signer en deux exemplaires. Mon passage était prévu pour le mercredi 3 juin.

Notre entretien a duré deux bonnes heures au terme desquelles, il s’est levé :

« Ça y est, on a fini les travaux. L’appartement est à nouveau présentable. Tu passeras dîner un de ces soirs. J’en parle à Jo et je t’appelle.

— Ça marche. »

Puis nous nous sommes levés :

« Tu vas par-là ? Lui ai-je demandé en indiquant la place Masséna. »

Il a secoué la tête négativement et m’a montré le sens opposé :

« Gubernatis. »

Alors nous nous sommes fait la bise. Victor, qui était occupé à une table, a mis en attente ses clients pour venir nous saluer.

J’ai traversé l’avenue Felix Faure et je me suis engagé sur la coulée verte.

Tracée sur la dernière partie du Paillon, entre le Théâtre National de Nice et la mer, cette longue promenade, constituée de quatre bandes de longueurs inégales séparées par des allées carrossables, qui permettaient aux voitures et aux bus de passer d’une rive à l’autre du fleuve, désormais souterrain, remplaçait tout à la fois l’ancienne gare routière surmontée d’un jardin suspendu, horrible de par sa conception et son tracé, un ancien square miteux où traînait, presque invisible la statue du général Masséna, enfant du pays, et n’attirait plus que des clochards et des promeneurs (euses), dont les chiens, à force d’urines et de déjections, avaient pollué les allées. Dans son avant dernière partie, elle venait supplanter l’ancien forum Jacques Médecin, véritable casse gueule à cause de ses dalles toujours à moitié décollées, et ses multiples escaliers, montants ou descendants, aux degrés glissants. Enfin, de l’autre côté de la place Masséna, que le passage du tramway avait rendue piétonne, elle se terminait en se confondant avec le grand jardin Albert 1er.

Ce long poumon vert, proposait un voyage botanique à travers les cinq continents. C’était également un lieu de détente et de paresse, où l’on venait s’asseoir sur l’herbe, ou s’étendre à l’ombre des arbres. Occupant une partie de l’espace, une immense aire de jeux. Une baleine en bois, grandeur nature, en était l’attraction principale. Les enfants aimaient la traverser de part et d’autre, soit en grimpant sur son dos, soit en passant à travers ses multiples cordages, anneaux et agrès qui composaient ses entrailles. Enfin, cette coulée verte, était un long musée à ciel ouvert où peintres, sculpteurs et photographes, venaient régulièrement exposer leurs œuvres, quand ce n’étaient pas des forums dédiés aux beautés cachées du département.

Le parcours que j’avais emprunté, l’avant dernier, était surtout prisé par son immense miroir d’eau. Un groupe d’étudiantes Italiennes, essaim de jeunes filles les unes plus belles que les autres, m’a dépassé en riant et en s’interpellant. J’ai levé les yeux au ciel : « Si elles pouvaient avoir huit ou dix ans de plus, je pourrais les reluquer sans passer pour un pervers… ». Les plus intrépides, se sont élancées sur la grande dalle, que les 128 jets d’eau étaient en train d’arroser. Elles lançaient des cris de joie en parcourant l’espace, tout en évitant de ne mouiller autre chose que leurs chaussures et le bas de leurs pantalons. Celles restées sur le seuil, s’amusaient à les photographier. L’une d’entre elle, ravissante chrysalide aux yeux de chatte, m’a regardé avec intensité et m’a souri. Mon cœur s’est mis à déconner. Une enseigne à très gros caractères s’est allumée dans ma tête. Elle portait une inscription en lettres rouges : « ATTENTION !!! MINEURE ». Je ne le savais que trop… Elle s’est retournée vers sa camarade la plus proche, et lui a lancé d’un ton quelque peu désolé :

« Mica male ! Ma un po troppo vecchio per me ! »

Juste retour des choses : si je la trouvais encore trop jeune pour moi, c’était normal qu’elle me trouvât déjà trop vieux pour elle. J’ai passé mon chemin, les yeux encore empreints de sa candide beauté.

J’étais en manque de douceur féminine, et rentrer chez moi sous ce soleil qui était encore loin de tirer sa révérence de l’autre côté de l’horizon, m’aurait replongé dans le cafard de ma collection décimée. Aucun impératif, d’ailleurs, ne me contraignait à reprendre le tram direction mes pénates, et j’ai bifurqué à gauche, vers l’immense statue d’Apollon, trônant au milieu de la fontaine du soleil, au fond de la place Masséna, qui la dominait de toute sa superbe, et que personne ne viendrait plus troubler. J’ai descendu les quelques marches qui la surélèvent et me suis engouffré dans la vieille ville par la rue Saint François de Paule, où se trouve l’hôtel de ville. Ludwig, s’il avait été là, il aurait hurlé au sacrilège, lui qui n’abordait Le Vieux Nice – qu’il préférait par-dessus tout, et dont il connaissait les moindres rues et ruelles – que par le côté opposé, c’est-à-dire la place Garibaldi :

« Tu comprends, frérot, la meilleure façon d’apprécier le Vieux c’est d’y entrer par le nord, en amont de la place Rossetti. Prendre la rue Pairolière, jusqu’à la place Saint François, puis la rue du Collet, d’où partent la rue Droite et la rue Bunico, et qui, plus loin aboutit à la place Centrale d’où partent la rue de la Loge, la rue Centrale, la rue Mascoïnat, avant qu’elle ne devienne la rue de la Boucherie que traverse la rue du Pont Vieux, la rue de la Halle et la ruelle de la Boucherie. Puis, devenant la rue du Marché, on y croise l’escalier de la porte fausse et la rue Gallo, la rue du Pontin, la rue Moulin, et là on traverse la frontière et l’on est au sud avec la rue de l’Abbaye, et la rue de la Préfecture qui conduit à la rue du Malonat au pied du Château. »

J’en étais là de ma réflexion lorsque mon téléphone a sonné et son nom s’est affiché sur l’écran.

« Salut frérot, je te dérange ?

— Pas du tout. J’allais t’appeler. Je viens d’avoir un long entretien avec Lambert. Tu t’en souviens ? (Il a approuvé) Je passe dans son émission, celle dont je t’ai parlé, le 3 Juin. Retiens-le dans ton agenda. Je veux t’y voir.

— C’est noté. Je tâcherai de descendre avec Violette. Je pense que d’ici là, je me serai remis.

— De quoi ? »

En courant pour attraper le métro à la station Saint Michel, il avait raté une marche et fait un roulé-boulé jusqu’au sol.

« Heureusement que j’ai appris l’art de bien rouler, sinon on me ramassait en petits morceaux. Tu aurais vu les gens attroupés au tour de moi. Ils croyaient que j’étais évanoui, ou pire : mort. La tête qu’ils ont fait quand je me suis relevé et que j’ai dit ‘’C’est rien, c’est rien.’’ Tu parles. Quand j’ai vu l’état de mon poignet !

— Ton poignet ?

— Fracassé. J’ai dit : ‘’Merde’’, et j’ai failli repartir, mais un agent de la RATP a voulu appeler les pompiers. Va pour les pompiers, alors.

— Tu es toujours à l’hosto ?

— J’attends qu’on me plâtre. Vio est là.

— Remets-toi vite frérot.

— Merci. Mais ce n’est pas pour cela que je t’ai appelé. Je négocie un contrat pour la traduction anglaise de ‘’Seins au Formol.’’

— Sérieux ?

— Ben oui. Tu vois, toi tu casses la baraque et moi le poignet… Et le droit qui plus est.

— Ah ! Si tu m’avais écouté à l’école, tu aurais appris à écrire aussi de la main gauche.

— Je pourrais te rétorquer la même chose.

— Tu as raison. Bon, je vais monter fêter ça.

— Je t’attends. »

Quand il m’a demandé ce que je faisais de beau, et que je lui ai répondu que je me promenais dans la vieille ville :

« J’espère que tu es entré du bon côté.

— Hélas non. J’avais rendez-vous rue Felix Faure…

— Et tu es rentré par la descente Crotti.

— Non, par Masséna et la rue des Phocéens. »

Il a soupiré mais ne m’a pas hurlé au scandale. Quand nous avons raccroché, j’étais place Gauthier. Devant le Palais Sarde et mon ancien bureau.

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