Chapitre 11

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  •  « Vous m’avait fait demander votre Altesse ?
  • — Oui. Je veux que vous et vos hommes aillez placarder ceci sur tous les murs de la ville »
  • Et je lui ai tendu une feuille sur laquelle j’avais fait imprimer le portrait que m’avait fait la fille de madame Prunier, avec le texte suivant :
  • « Elle se prénomme Roxane, elle a entre trente et trente-trois ans. Le Prince héritier la recherche, pour la remercier du magnifique cadeau qu’elle lui a fait. »
  • Le garde a pris l’avis de recherche et, avant qu’il ne s’en aille je l’ai rappelé.
  • « Non. Rendez le moi et laissez tomber. Après tout, si elle veut rester anonyme, ça la regarde. »
  • Les rêves ont du bon sens. Pourquoi m’acharner ? Si elle attendait des remerciements de ma part, elle m’aurait fourni plus de renseignements sur elle. Je me suis levé, j’ai regardé le soleil briller dans un ciel bleu pur. J’ai filé sous la douche, revêtu mon peignoir et filé dans la cuisine. Sur un plateau j’ai chargé mon bol, une cuillère, un couteau, une serviette, du beurre et de la confiture d’abricots, un pot de yaourt et la cafetière. J’ai transporté le tout sur la terrasse. J’ai perçu le bruit du grille-pain éjectant les deux tranches dorées à point, j’en ai glissé deux autres. J’ai pris le temps de petit-déjeuner. Maïa m’a appelé, comme tous les matins. Elle m’a demandé si j’avais bien dormi, je lui ai raconté mon rêve et ma décision. Je lui ai rapporté mon coup de fil de la veille avec Célia, et le weekend sur le lac majeur que je lui avais promis. Elle m’a remémoré le nôtre au lac de Côme. « Oui, j’y ai repensé hier soir. A recommencer ma Sanseverina adorée. » Elle a ri. J’adore son rire. Elle m’a invité à déjeuner pour me raconter sa soirée de la veille :
  • « Excellent le restaurant ! Sublime le Don Giovanni. Mais lui, pas d’affinités. »
  • J’ai poussé un soupir de soulagement :
  • « J’ai encore mes chances, alors. »
  • Elle a ri à nouveau :
  • « J’adore ton rire.
  • — Que mon rire ?
  • — Non. Tout. »
  • Nouveau rire :
  • « Je t’attends à midi ?
  • — Oui. »
  • Un Ange rieur est passé :
  • « Qu’est-ce-que tu vas faire de beau en attendant ?
  • — Profiter du soleil. Promenade sur le bord de la mer en passant par la vieille ville.
  • — Heureux. Si je n’avais pas eu tout ce travail, je t’aurais accompagné. »
  • Nous avons raccroché, non sans nous être embrassés partout.
  • Le tram est arrivé. Le quai était investi par les agents de la GSCT (Groupe de sûreté contrôle des transports). Un ado s’est fait pincer sans ticket. Il balisait. Ça devait être la première fois – et sans doute la dernière. Un contrôleur s’est chargé de lui dresser le PV. Je suis monté dans la rame qui s’est ébranlée non sans faire retentir ses deux coups de sonnettes.
  • Opéra-Vieille Ville. Mon arrêt. J’ai descendu les quelques marches qui mènent à la descente Crotti, j’ai tourné à gauche sur le rue de la Préfecture -Carriera de la Caserna pour les Niçois- pour aboutir à la place du Palais, où tous les samedis les bouquinistes, amateurs ou professionnels, l’envahissaient joyeusement, pour notre plus grand plaisir à Ludwig et moi-même lorsque, adolescents, nous déambulions à travers les éventaires, sans trop de sous en poche, afin de dégoter à un prix défiant toute concurrence, un livre qui aurait échappé à nos yeux de lecteurs avides, que nous emmenions à la plage, ou au château, selon les saisons, en attendant de voir passer deux ou trois filles qui n’eussent pas été insensibles au regards que nous posions sur leurs courbes.
  • Je me tâtais pour savoir si oui ou non, j’allais m’asseoir pour boire un café, lorsqu’une femme, assise à l’une des tables, a attiré mon attention. La place près de la sienne venant, par chance de se libérer, je l’ai occupée et, après avoir passé commande, je me suis mise à l’observer le plus discrètement possible. Elle me faisait face, mais, trop occupée à pianoter sur son téléphone, elle ne se rendait pas compte que je la détaillais, tandis que dans ma tête tous les éléments se mettaient en place. La trentaine : oui. Pas très grande : oui. Cheveux noirs coupés courts : oui. Yeux verts : oui. Dents de la chance : oui. Seins : non, hélas. Ils étaient petits, ronds et fermes. J’ai détourné la tête. Le garçon m’a apporté mon café, mon verre d’eau, et la coupelle noire sous laquelle il a glissé la note. Une voix féminine m’a interpellé :
  • « Anicet ? »
  • Je me suis retourné. C’était ma fausse Roxane. Elle m’a regardé d’un air à la fois étonné et surpris, elle m’a souri et, d’un ton intimidé qui trahissait une certaine agitation, elle m’a demandé si je la reconnaissais puis, tout de suite après :
  • « Je suis la femme de Lambert. »
  • Il me l’avait présentée un soir d’été 2012. J’étais dans une boîte de nuit entre Villeneuve Loubet et Antibes, au bord de la mer. Sa voix m’a demandé bas à l’oreille :
  • « C’est l’écrivain ou le Don Juan qui est ici ce soir ?
  • — Les deux. »
  • Ariane était partie se refaire une beauté.
  • « Tout seul ?
  • — Jamais. »
  • Il a cherché du regard.
  • « Tu vas la voir bientôt. Mais présente-moi.
  • — Oui, pardon. Je te présente Joséphine. Joséphine, je te présente Anicet, alias Alex Cantié le romancier. »
  • Je me suis tapé le front :
  • « Tu as coupé tes cheveux !
  • — O… Oui, il y a un mois. »
  • Visiblement, ma présence à ses côtés l’embarrassait. Attendait-elle quelqu’un ? Un amant ? Une maîtresse ? (Pauvre Lambert !) Elle s’est mordu le coin du pouce droit :
  • « Si j’avais su que je te rencontrerais, j’aurais amené les deux tomes de ‘’Seins au formol’’. Le premier m’a captivée. Je suis au début du second. »
  • Tout cela débité sur un ton qui fleurait moins la sincérité que la flatterie. Disait-elle vrai ? J’ai fait comme si. Je lui ai rétorqué, aimablement :
  • « Donne-les à Lambert, mardi. Nous devons nous voir.
  • — C’est vraiment sympa de ta part. »
  • J’ai levé les bras au ciel :
  • « C’est la rançon de la gloire. »
  • Elle a souri, regardé sa montre :
  • « Désolée, il faut que je parte, j’ai une course urgente à faire. »
  • Ça sentait le prétexte à quatre sous…
  • Nous sommes faits la bise et elle a filé. Je l’ai regardée s’éloigner d’un pas pressé, vers le fond de la place puis continuer tout droit sur la rue du Marché. J’ai vidé ma tasse et mon verre d’eau, j’ai remis cela et sorti mon carnet. (Jamais sans mon carnet !). J’ai noté :
  • « Café du Palais. Vendredi. Joséphine, la femme de Lambert ressemble à 90% à ma prétendue cousine Roxane. (Sauf le tour de poitrine !) Combien sont-elles à Nice à posséder les mêmes caractéristiques physiques ? Et en France ? Et dans le monde ? A part cela, elle m’a paru manifestement gênée par ma présence. (Attribut barré, remplacé par : ‘’troublée’’). Je… »
  • Le garçon m’a servi mon deuxième café et verre d’eau. Je lui ai tendu un billet de cinq euros, en lui disant qu’il pouvait tout garder. Il m’a remercié, a déchiré par la largeur la moitié des deux tickets avec ses dents, puis il s’est éclipsé. J’allais me remettre à écrire lorsque mon téléphone a vibré. Célia venait de m’envoyer un sms : « Bonjour mon chéri. Tu es à Cannes ? » Je lui ai répondu : « Bonjour Célia. Non, je suis à Nice. Je passerai te prendre ce soir à 18 heures, comme nous l’avons convenu. ». J’ai rangé mon carnet et mon stylo dans la poche. J’ai bu une gorgée de café. Le téléphone a sonné. Son nom s’est affiché sur l’écran. J’ai répondu avant la fin de la sonnerie. Sa voix était affolée et au bord des larmes :
  • « Je croyais qu’on passerait aussi la journée ensemble. »
  • Cette perspective n’était pas sans me déplaire. Nous l’aurions coulée dans son lit, qui était le seul endroit où nous vivions un accord parfait. Mais après lui avoir signifié, la veille, de façon assez ferme, mon désir de rompre notre liaison, aller la voir dans le seul but de faire l’amour, m’eût fait passer pour un goujat à mes yeux. Même en sachant qu’elle aurait été heureuse de ce moment. Le weekend, c’était autre chose. Je le lui avais promis et, malgré la tournure désastreuse que prenait notre relation, elle y tenait tou-jours et je pouvais considérer cela comme un chant du cygne, en espérant toutefois que tout se passât bien. Car elle était imprévisible. Elle pouvait passer du rire aux larmes, de la docilité la plus passive à l’entêtement le plus farouche, en un battement de cils ; et dernièrement, ces battements étaient de plus en plus rapides. J’avais mis cela sur le compte des nombreuses et fatigantes répétitions, suivies de concerts non-stop dans tout le département (Au risque de me répéter, je bénissais le ciel de vivre à 40 kilomètres d’elle…). Mais tout de même, si tous ceux et celles qui ont des métiers harassants, exténuants, stressants, devaient être à ce point versatiles, la vie deviendrait encore plus infernale qu’elle ne l’est déjà.
  • « Désolé que tu l’aies cru, mais j’ai des choses à finir avant lundi. (Ce qui était faux et archi-faux !!) »
  • D’une voix plaintive elle m’a demandé :
  • « Des choses plus importantes que moi ? »
  • J’ai soupiré :
  • « Célia, je t’en prie, ne recommence pas.
  • — Pourquoi tu ne m’aimes pas ? Parce que tu ne me trouves pas belle ? Pas intelligente ? Pas assez bien pour toi ? »
  • A chacune de ses interrogations, son ton montait d’un cran. J’ai levé les yeux au ciel. S’il y avait une chose dont j’avais horreur c’était ce type de discussions intimes via les ondes hertziennes et, qui plus est, dans un lieu public où tout le monde pouvait écouter. Depuis l’invention du téléphone portable, tout le monde s’était mis à déballer les bons et les mauvais moments de sa vie privée. Sans gêne, sans pudeur, certains poussant le vice jusqu’à parler très fort, voire à hurler. Aucun lieu d’épargné. Même dans les églises. Un jour, lors des obsèques d’un collègue, j’avais entendu toute une scène de ménage venant d’un enterrement voisin.
  • Le bar s’était rempli. Avocates et avocats, venant du palais de justice ou en attente de s’y rendre, avaient envahi les tables. Ils buvaient leurs cafés en silence ou parlaient discrètement. A l’autre bout du fil, Célia continuait de m’assommer de son amour. Les décibels de sa voix pleurnicharde ne cessaient d’augmenter.
  • « Nous parlerons de tout cela ce soir.
  • — Tu veux te débarrasser de moi ? Pourquoi ? Qu’est-ce-que je t’ai fait ? »
  • Je perdais patience, mais je gardais mon calme.
  • « Tu ne m’as rien fait, Célia. Et je t’ai dit que j’avais du travail. Je passerai te prendre ce soir et nous aurons tout le weekend pour discuter. »
  • Je l’ai entendue renifler, puis :
  • « Pourquoi tu parles si bas ? Je ne comprends rien.
  • — Parce que je suis dans un lieu public et je n’ai pas envie de déballer nos problèmes devant tout le monde. Alors, sois sympa. Va te promener, il fait beau, et la Croisette est belle. »
  • Alors elle s’est mise à pleurer et à parler encore plus fort et, malgré que cela ne me plût guère, je lui ai raccroché au nez ; puis j’ai mis mon cellulaire sur silencieux. J’ai vidé ma tasse, je me suis levé et me suis dirigé vers le cours Saleya.

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