Chapitre 12

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 A 18 heures, j’étais en bas de chez elle, qui m’attendait devant le portail. Elle avait chaussé des baskets grises, portait un denim moulant, une large chemise blanche très échancrée à peine glissée dans son pantalon, et un long gilet. Ses grandes lunettes de soleil retenaient ses cheveux savamment décoiffés. Son parfum sentait la fleur d’oranger. Elle était belle, adorable, désirable, et lorsqu’elle m’a sauté au cou en plaquant ses lèvres contre les miennes et que sa langue est venue houspiller la mienne, j’ai eu une violente érection. Elle s’est écartée, a fait un tour sur elle-même :

« Je te plais ?

— Beaucoup. »

Nous sommes montés dans la voiture. Elle a posé sa tête sur mon épaule :

« Ca ne te gêne pas. »

J’ai fait « non » de la tête.

Le trafic était dense. La radio passait « L’alouette » de Haydn. Quatre heures au-paravant, elle m’avait envoyé un sms où elle regrettait son comportement téléphonique du matin, et que j’avais bien fait de lui raccrocher au nez. Elle avait enfin pris conscience qu’entre nous c’était irrémédiable. Si je ne pouvais pas l’aimer comme elle le souhaitait, (Et sur ce point, elle a apprécié ma franchise et ma sincérité quant à mes sentiments pour elle) alors elle devait apprendre à se détacher de moi. Et notre weekend en perspective sur le lac Majeur, lui en donnerait le courage. Non, elle ne se jetterait pas sous un train, après notre rupture, ni même du haut de la corniche de Rauba Capeu (là où nous nous sommes rencontrés). Elle irait consulter un psy, pour se comprendre, et comprendre enfin les hommes. Elle m’embrassait et m’avait demandé de la prévenir quand je serais dans Cannes.

Je lui ai répondu que je ne lui en voulais pas du tout, et je la remerciais de me comprendre. Je me suis excusé à mon tour de mes emportements, de mes comporte-ments pas toujours galants, trop souvent empreints de goujaterie. Ces deux jours sur le lac, me donneraient à moi aussi du courage. Notre rupture ne serait pas plus pénible pour elle que pour moi. Je l’ai embrassée à mon tour et lui ai promis de la prévenir dès que j’aurais quitté l’autoroute.

« C’est vrai ?

— Quoi ?

— Ce que tu m’as écrit à propos de la rupture ?

— Oui. »

Elle s’est tue un petit instant puis :

« Mais alors c’est que… »

Elle a secoué la tête :

« Non, rien. »

Elle a haussé les épaules et j’ai aperçu une larme perler au coin de son œil. J’avais de la peine pour sa peine, et j’en avais une part de responsabilité. En effet, très vite j’ai réalisé qu’elle tombait amoureuse de moi. Et comme je ne l’aimais pas, j’aurais dû la quitter plus vite. Lui offrir un dernier repas et mettre un point final. Mais sa bouche, ses lèvres, ses seins, son sexe et son cul, m’attiraient. Les mouvements lascifs de ses reins lorsqu’elle était au-dessus de moi, le contact de ma peau contre la sienne lorsque j’étais sur elle, me donnaient envie de différer sans cesse cette rupture. Je m’en voulais terri-blement de cette attirance ; et dans ces moments-là, je me montrais désagréable, sans la moindre complaisance, sans sollicitude aucune. Et plus je criais, plus elle m’aimait. Plus elle criait, plus je la détestais. Mais son lit n’était jamais loin.

Si je n’avais pas fait la connaissance de Gloria…

« A quoi tu penses ?

— Pourquoi toujours penser ? Je conduis, je regarde la route et le paysage, j’écoute la musique, je sens ta tête sur mon épaule, je respire ton parfum. Je suis bien. »

Elle m’a donné un léger baiser sur le cou.

« Moi aussi. »

L’autoroute était dégagée. Je ne voulais pas dépasser les 90. Je n’avais plus res-senti cette douce sensation depuis les premiers jours de notre liaison, lorsque nous étions encore deux boiteux. Je ne voulais pas rompre cet instant magique, oublier qu’à la fin du weekend je la reconduirais chez elle, et après un dernier baiser, je la verrais ouvrir le portail de son immeuble, s’engouffrer dans le couloir et disparaître. Je ne voulais pas penser si, par la suite, nous resterions en bons termes ou bien nous nous oublierions. Je voulais goûter ce moment, le savourer comme un mets délicat, dont on sait qu’à la dernière bouchée, il n’en restera plus rien. Oublié le sein de Roxane, oubliée Rosy, (que j’avais pris soin de prévenir dans un message de ma déconnexion du réseau, pendant les trois jours suivants), oubliée Maïa (non, pas elle. Jamais elle. Eloignée, à la rigueur) qui allait passer le weekend aux Issambres chez Linda, son amie galeriste de New York. Ces trois jours étaient pour Célia, et rien que pour elle.

Un douanier m’a fait arrêter sur le côté. Il m’a prié de descendre du véhicule et de lui ouvrir le coffre. Pendant ce temps, un chien tenu en laisse par l’un de ses collègues, reniflait l’intérieur de l’habitacle.

Il m’a fait un léger signe :

« Merci. Vous pouvez repartir. »

J’ai redémarré. Célia s’est bouché le nez :

« Qu’est-ce qu’il puait ce chien ! »

Elle n’avait pas tort. Sa forte mauvaise haleine, avait anéanti le doux parfum de la fleur d’oranger. Elle a fouillé dans son sac, sorti le flacon et aspergé la voiture.

« Ça va mieux ? »

Le remède était pire que le mal, mais je lui ai répondu par l’affirmative.

« Et toi, à quoi tu pensais ?

— J’écoutais la musique, je voyais les notes défiler les unes derrière les autres.

— Comme c’est extraordinaire, de pouvoir déchiffrer une partition avec la même aisance qu’un livre.

— Quand on a appris à lire la musique, c’est tout à fait banal. Aussi banal qu’un Chinois qui lit du Chinois. On croit que le solfège c’est difficile. Ça ne l’est pas plus que d’apprendre que le A et le M font AM que le O, le U et le R font OUR et que le tout fait AMOUR. »

Elle m’a soufflé le mot dans l’oreille. J’ai esquissé un sourire.

« C’est tombé dans l’oreille d’un sourd, m’a-t-elle dit. »

J’ai fait « non » de la tête et j’ai mis le clignotant. La sortie « Nice Nord » n’était plus qu’à une centaine de mètres. Et c’est à la sortie de la bretelle que j’ai réalisé que j’avais quitté trop tôt l’autoroute.

« J’aurais dû prendre la prochaine, pour le port. »

Elle s’est redressée, elle a regardé vers l’extérieur.

« Tu es sorti où ?

— Chez moi. Réflexe conditionné. » J’ai haussé les épaules : « Je pense que, question distance, c’est kif-kif. »

Moins de quinze minutes plus tard j’avais garé la voiture sur le parking, et comme nous disposions d’une bonne demie heure avant le restaurant, je lui ai proposé une promenade le long du port et du boulevard Franck Pilatte, qui longe la côte rocheuse de Nice ; puis, devenant le boulevard Jean Lorrain, il serpente et s’élève au-dessus du cap de Nice, (que l’on peut parcourir par un magnifique chemin douanier), jusqu’au boulevard Carnot plus connu sous le nom de Basse-Corniche, ou Corniche du Bord de Mer. Sur le trottoir d’en face, les résidences de luxe, vue imprenable sur la mer, côtoient les superbes villas Castor et Pollux, le parc Vigier aux allées ombragées, l’ex maison du séminaire, et le tribunal administratif qui jouxte le square Théodore de Banville, d’où l’on peut admirer la somptueuse villa Beau-Site, et le Château de l’Anglais, toujours aussi rose, témoins intemporels des heures fastes et prospères de la Riviera.

La chemise trop ouverte, le pantalon trop moulant, sa silhouette élancée et l’élégance de ses traits, faisaient détourner le regard des passants ; et je n’étais pas peu fier de la tenir par la taille pour sentir les mouvements sensuels de ses courbes à chacun de ses pas. Oui, elle me plaisait, elle me plaisait énormément et je la désirais à chaque seconde. Et peut-être encore plus que quelques semaines auparavant, car je savais notre rupture proche et que je voulais garder d’elle (à défaut de son sein) le meilleurs des souvenirs.

Nous avons marché les yeux rivés vers l’horizon où le soleil n’allait pas tarder à y faire son plongeon quotidien.

« J’ai faim.

— Oui. C’est l’heure de faire demi-tour. »

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