Chapitre 8

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 Rosy Ram : « Encore désolée d’avoir dû refuser de prendre un verre avec vous. J’avais tellement hâte de voir ma nièce. »

Alex Cantié : « Ah oui. Le bébé de votre sœur qui venait d’accoucher. »

Rosy Ram : « C’est cela »

Alex Cantié : « Qui s’appelle ? »

Rosy Ram : « Louise »

Alex Cantié : « Très joli prénom. Si j’avais une fille je l’appellerais Louison. »

Rosy Ram : « (Emoji sourire) C’est un prénom de garçon ! »

Alex Cantié : « Hélas oui. Pourtant au XVII ième siècle, il était féminin, et ça leur allait très bien »

Rosy Ram : « C’est vrai »

Alex Cantié : « Enfin… Si j’avais une deuxième fille. La première je l’appellerais Stéphanie. Comme ma mère. »

Rosy Ram : « (Emoji triste) Comme je suis désolée. »

Alex Cantié : « C’est gentil. »

Rosy Ram : « Ce doit être une blessure qui ne se referme jamais. »

Alex Cantié : « En effet. Jamais. (Emoji pleure) »

Rosy Ram : « Puis je vous poser une question… indiscrète ? »

Alex Cantié : « Aucune ne l’est. Ce sont les réponses qui le sont. »

Rosy Ram : « (Emoji sourire) C’est pour cela que vous n’avez jamais voulu vous marier ? »

Alex Cantié : « (Emoji surpris) Vous en savez des choses sur moi. »

Rosy Ram : « (Emoji content) Je suis toute votre actualité. Ne vous ai-je pas dit que vous êtes mon auteur préféré ? Vous savez que je peux citer par cœur des passages de vos romans ? »

Alex Cantié « (Emoji surpris et pouce levé) Mais ceci ne me dit toujours pas où je vous ai déjà vue. »

Rosy Ram : « Dans le métro, comme vous me l’avez dit, quand je vous ai présenté mes deux tomes de ‘’Seins au formol’’

Alex Cantié : « Je vous ai dit aussi, qu’auparavant j’étais sûr de vous avoir déjà vue. »

Rosy Ram : « Que rajouter de plus à ce que vous savez déjà : je suis née à Nice, je vis et travaille à Marseille où je suis institutrice. »

Alex Cantié : « Et depuis quand ? »

Rosy Ram : « Après mes études. A 24 ans. »

Alex Cantié : « Donc vous êtes restée à Nice jusqu’à cet âge-là ? »

Rosy Ram : « Non, je suis allée à Bordeaux après le bac. »

Alex Cantié : « Donc, vous êtes partie à l’âge de quoi… dix-sept ans ? »

Rosy Ram : « Douze. Cela vous ennuie si l’on continue demain ? Il est tard et demain j’ai cours. »

Alex Cantié : « Aucun problème. Bonne nuit Rosy. »

Rosy Ram : « Bonne nuit, monsieur Cantié. »

Alex Cantié : « Je dormirais mieux si vous m’appeliez Alex. »

Rosy Ram : « Bonne nuit, Alex. »

Avant elle, il y avait eu Evelyne, Adrien, Catherine, Solange…

La sœur de mon voisin de vol, Françoise, était venue le matin. La cinquantaine opulente, dynamique et souriante. Elle s’inquiétait pour son frère qui travaillait trop. Il avait gardé un excellent souvenir de moi et lui avait promis qu’il me lirait lors de ses prochaines vacances.

Elle avait découvert à la médiathèque de Marseille : « Sainte Laureen tuez pour nous », où l’héroïne est violée et tuée par un inconnu alors qu’elle n’a que sept ans. Trois jours après ses funérailles, elle se met à faire des miracles. Très vite sanctifiée, elle s’aperçoit de là-haut que la condition féminine ne s’améliore guère sur terre, alors elle décide de revenir, et de venger ses « sœurs » d’une façon expéditive : en tuant ceux qui ne les respectent pas.

« Je l’ai lu en cinq heures la première fois, en une demie journée la deuxième fois et en deux jours la troisième fois. »

Après l’avoir rendu, elle s’est précipitée dans une librairie l’a acheté ainsi que tous les autres, qu’elle a lus et relus et relira encore.

Quand son tour est arrivée, elle m’a tendu les deux tomes avec un sourire qui a triplé agréablement le nombre de mes palpitations cardiaques.

« Bonjour mademoiselle du métro ! »

Elle s’est souvenue de la façon dont je l’ai regardée :

« Ne m’en veuillez pas. Mes yeux, sont intenables dès qu’ils aperçoivent une jolie femme ; et vous êtes bien plus que jolie. »

Elle a rougi un peu. Je lui ai demandé :

« A qui dois-je le dédicacer ? »

J’espérais que son prénom allait éclairer ma lanterne.

« Rosy... Avec un ‘’Y’’ »

A part l’actrice, ce prénom n’avait jamais retenti dans mes oreilles. Rose, Rosette, Roselyne. A l’île d’Yeu où je passais mes vacances d’été avec papi et mamie (Ciel ce que Maïa me manquait…) j’avais fait la connaissance d’une Rosine, que j’aimais retrouver chaque année. Elle était rouquine, bouclée et constellée de taches de rousseur. Elle avait un petit cheveu sur la langue et des mains très douces qui prenaient les miennes, quand elle m’entraînait en courant vers l’océan.

Mais Rosy ne me revenait pas, et je ne sais pas pourquoi, j’ai eu l’impression que ce n’était pas son vrai prénom. Quelque chose qui ne collait pas entre elle et lui. Un peu comme si j’avais une chatte racée que j’eusse appelée Pomponette.

J’ai acquiescé, abaissé mon stylo sur la feuille et elle, pressentant sans doute de ce que j’aillais lui écrire en dédicace, m’a supplié :

« Vous savez, je suis mariée et… »

Je ne lui ai pas laissé le temps de finir sa phrase :

« … Et vous ne voudriez pas que j’écrive une dédicace un peu trop… personnelle. » (Je n’ai pas osé dire : « Intime »)

Elle a approuvé d’un sourire, qui m’a paralysé de bonheur j’ai écrit : « A Rosy, l’une de mes plus ferventes lectrices. Amicalement. »

Elle m’a remercié. J’ai osé :

« Je peux vous inviter à boire un verre après la séance ? En tout bien tout hon-neur. » (C’était la deuxième fois en moins d’un an que j’ajoutais cette formule à ma proposition)

Malgré cela, elle a refusé :

« Pas à cause de mon mari, mais de ma sœur qui vient d’accoucher, et j’ai hâte de la voir ainsi que ma nièce.

— Refus accepté, Rosy.

— On peut se parler sur Facebook, m’a-t-elle glissé après une hésitation. Je vous suis sur Facebook, et mon nom c’est Ram. Rosy Ram.

— Très bien. C’est noté.

— Mais…

— Mais ?

— C’est moi qui vous contacterai… Vers les dix heures du soir, dix heures et demie. Ce n’est pas trop tard ? »

J’ai fait « non » de la tête. Elle m’a encore remercié, elle s’est éclipsée, laissant la place à Damien, un jeune boutonneux qui avait dû les acheter en cachette de ses parents.

La veille, une journaliste de la radio où j’étais invité à parler de mon livre, a passé un mauvais quart d’heure...

« Désolé, madame. C’est vous qui avez commencé. Je répondais aux questions de votre confrère à propos de mon roman. Puis, il a débordé sur ma collection. Eh oui. Quelqu’un a dû faire courir le bruit. Quelle importance ! Il y a des collectionneurs plus singuliers que moi. Je vous fiche mon billet, qu’il y en a qui collectionnent des pénis, des phallus, des verges, des zobs, des vits. Moi je collectionne des seins, des nichons, des nibards, des lolos, des roberts, (Au fait, avez-vous trouvé un substantif pour les maniaques comme moi ?) et ça ne vous a pas plu ! Et je ne vous ai pas plu ! Je l’ai vu à votre façon de me regarder. Vous avez attendu bien impatiemment votre moment pour me sauter dessus, pour me faire avouer que je suis un obsédé, un lubrique, un pervers, dont les yeux riboulent devant chaque corsage, devant chaque gorge (soutenue ou pas), devant chaque poitrine (féminine bien sûr). Eh oui, madame, je l’avoue et, au risque de me répéter : « Mes yeux bruns sont atteints de tropisme mammaire. Ils sont les tourne-seins de votre florescence » (Deux alexandrins ! Quel exploit !). Quoi qu’il en soit, madame (veuillez me pardonner si j’ai oublié votre nom…), votre intervention a fait le buzz sur la toile, surtout les dernières secondes. Rosy s’est marrée, s’est bidonnée. C’est la première chose qu’elle m’a dite cette nuit sur messagerie. Rosy Ram : « Quelle interview d’anthologie. Je ne peux me passer de la voir et la revoir et de me marrer à chaque fois ! ». La vidéo commence au moment précis où vous me posez la première question d’un ton tout ce qu’il y a de plus agressif, de plus vitupérant : « Collectionner les seins de vos maîtresses, vous êtes un pervers à la limite du maniaque. Je suppose monsieur Cantié que c’est la première chose que vous remarquez, chez nous. » De mon sourire le plus doux je vous ai répondu : « Désolé, madame. Je regarde d’abord vos yeux. Vous savez : les yeux miroirs de l’âme, ‘’Belle Marquise vos beaux yeux me font mourir d’amour…’’ et cætera. » Le public se met à rire, votre ton est monté d’un cran : « Alors ils viennent en seconde place ? » Mon rire s’est teinté d’ironie : « Et non, encore désolé madame. » Le rire des spectateurs s’est intensifié. J’ai poursuivi : « C’est votre bouche. Paul Brulat a dit : ‘’Rien ne révèle autant un homme que ses mains, et une femme que sa bouche.’’ » Votre ton est monté encore d’un cran : « Alors, ils viennent en troisième position ! » Là, ce n’est plus une question que vous m’avez posée, mais une affirmation, à laquelle j’ai rétorqué : « Encore faux madame. » La traînée hilarante s’est propagée même parmi les techniciens, les preneurs de son et les cameramen. J’ai poursuivi : « Ce sont les mains : ‘’Téméraires blancheurs, oiseaux de paradis’’ » Et avant que vous ne m’agressiez derechef, j’ai conclu : « Vos seins viennent en quatrième position… Que voulez-vous, il faut bien que j’en passe par là, sinon, vous vous vexeriez. » Et, sous un tonnerre d’applaudissements, on voit mes yeux se braquer sur votre poitrine, (que je n’aurais pas méprisée) à l’instant précis où le deuxième bouton de votre chemisier a sauté, et les pans se sont écartés. Votre confrère et moi-même présents autour de la table, avons pu admirer le galbe sensuel de vos seins, ainsi que votre soutien-gorge rouge. Et d’un ton expressément malicieux et suffisamment intelligible, je vous le fais remarquer. Ah, l’expression de votre visage !!! Si vous aviez eu un miroir devant vous… Car je ne pense pas que vous faites parties des dizaines de milliers d’internautes qui se sont régalés. Ludwig m’a annoncé trente mille exemplaires vendus de mieux, après cette interview. Avouez, madame, que si on avait voulu le faire exprès, on n’y serait pas arrivé. »

J’ai éteint l’ordinateur. Jeudi était déjà vieux d’une heure treize. Je me suis levé pour aller ranger le sein de Roxane que j’avais gardé près de moi, pour le voir et le caresser. Avant de le poser à la place que je lui ai conférée : la première (« Miroir ô miroir, quel est le plus beau de toute la collection d’Anicet ? »), je l’ai embrassé et :

« Qui que tu sois Roxane, je te remercie pour ce merveilleux cadeau. »

Puis j’ai filé chez madame Prunier pour nourrir son chat.

« Demain j’appelle ta maîtresse pour lui dire, d’une part que tu vas bien, que la maison est calme et puis, je lui demanderai de me décrire cette mystérieuse cousine. Parce qu’en vérité, je n’en ai pas, mais ta maman l’ignore. Tu comprends ? Et attendre son retour, dans dix jours, je n’en aurai pas la patience. »

Il m’a répondu par un « Miaou » qui ressemblait plus à un : « Qu’est-ce-que tu attends pour remplir ma gamelle », qu’à une adhésion à mon propos.

Je l’ai caressé :

« Tu as raison. »

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